Aujourd’hui artiste associée à l’Odéon, la brésilienne Christiane Jatahy a été découverte il y a peu sur notre continent. Elle s’y est rapidement fait connaître par la qualité et l’originalité du croisement qu’elle invente entre théâtre et cinéma. Tous ses spectacles visent à faire en sorte que les questions posées dans les œuvres ne soient pas simplement jouées devant nous mais authentiquement adressées, avec toute leur charge d’urgence et de vérité. Tous tendent donc à remettre en question la temporalité théâtrale ordinaire et la frontière étanche séparant le plateau et la salle.
Depuis 2011, l’artiste s’est engagée dans une recherche bâtie autour de grandes figures féminines du répertoire théâtral, travaillant à « introduire dans une fiction préexistante la réalité de notre temps et la complexité des relations actuelles, tant personnelles que sociales. » Dans Julia, d’après Strindberg, la caméra permettait de révéler au public les espaces sociaux ou intimes relégués à la marge de la fiction. Le destin de Mademoiselle Julie y prenait la force d’une performance, et l’interprète, Julia Bernat, finissait par interpeller directement, en français, les spectateurs du Centquatre. Dans What if they went to Moscow ? (Et si elles y allaient, à Moscou ?), présenté la saison dernière à La Colline, une réécriture des Trois sœurs de Tchekhov donnait au public un rôle d’interlocuteur au sein du dialogue entre représentation et documentaire, interrogation fictive et recherche d’une solution effective. Dans ces deux spectacles, la question posée restait la même : les choses étant ce qu’elles sont, que faire aujourd’hui ?
Elle se pose encore dans A Floresta que anda. Le projet se bâtit à nouveau sur un territoire « entre installation vidéo, performance et cinéma live ». Cependant Jatahy franchit une nouvelle étape et ne parle plus d’adaptation, mais de « session » ou de « composition sur Macbeth, » réalisée avec la complicité active du public. L’espace scénique paraît se confondre avec celui d’une galerie d’art contemporain. Les spectateurs y circulent à leur guise, libres de s’attarder ou non devant les écrans où sont diffusés des entretiens avec quatre victimes de la violence d’État. Tous quatre sont jeunes, souffrent actuellement de leur situation, luttent contre elle au nom d’un autre avenir.
Julia Bernat, seule actrice à avoir traversé l’ensemble de la trilogie inaugurée avec Julia, est aussi seule à circuler parmi les invités du « vernissage ». La présence féminine qu’elle incarne est comme l’émanation de l’inconscient de l’œuvre – une sorcière guidant le public sur les deux versants du rêve, du côté du peuple et du côté des régicides. Quant à Macbeth, il revient chaque soir à un interprète différent d’en incarner brièvement la figure. « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de savoir qui est Macbeth, mais ce qu’est Macbeth », explique Jatahy : « un Macbeth est toujours le produit de certains choix ». De tels choix, comme en témoignage l’accrochage vidéo mais aussi le film réalisé en cours de « session », se font encore tous les jours, au Brésil et dans le monde entier. Jusqu’au temps où les tyrans, comme Macbeth au dernier acte, voient se réaliser l’impossible prédiction : une forêt en armes, qui se lève contre eux – car cette forêt est faite d’hommes. Et au théâtre, Jatahy le reconnaît volontiers, « la forêt du titre, c’est le public ».
« Vertige de la sensation, vacillement de la vérité, démultiplication du jeu : ce que l’on ressentait alors, d’une manière troublante, est poussé à son comble dans La Forêt qui marche. (...) on retrouve la même friction entre la réalité et la fiction, l’artistique et le politique. » Brigitte Salino, Le Monde, 7 octobre 2016
Superbe création, pleine d'intelligence, pour nous faire prendre conscience de notre rôle dans ce monde où la violence règne en maîtresse. Vidéos, interaction avec le public, narration déstructurée, et un final plutôt didactique qui révèle le sens militant du travail de l'artiste.
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Superbe création, pleine d'intelligence, pour nous faire prendre conscience de notre rôle dans ce monde où la violence règne en maîtresse. Vidéos, interaction avec le public, narration déstructurée, et un final plutôt didactique qui révèle le sens militant du travail de l'artiste.
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