- C'est pas vrai Splivie, dis-moi que ce n'est pas vrai.
- Si, si. J.C. est mort.
Hommage à John Coltrane
Entretien avec Luc Clémentin
Emmanuel Dongala, le jazz, Coltrane et les « Africains-Américains »
John Coltrane, un esprit libre jusqu’à l’extrême
La presse
“J.C. est mort”... L’homme qui prononce ces mots arrive à peine à parler. Son interlocuteur est figé. Le choc est immense pour ce jeune Africain émigré aux États-Unis qui apprend que son idole vient de disparaître.
J.C. c’est John Coltrane, le saxophoniste de jazz, le compagnon de Miles Davis, de Thelonius Monk et d’Archie Shepp, parti pour d’autres aventures. John Coltrane, le “Malcolm X du jazz”, le “jeune homme en colère” conduisant sa musique jusqu’aux portes de l’extrême. Sa musique qui soulève et bouleverse au plus profond de soi, sa musique qui résonne dans les brumes de l’alcool, de la drogue et dans la fièvre des libertés. John Coltrane, au cœur de cette nouvelle, écrite au début des années 80 par Emmanuel Dongala, l’un des écrivains africains les plus talentueux qui a choisi pour titre le chef d’œuvre du musicien.
A Love supreme comme la quête spirituelle d’un créateur révolutionnaire, comme la mémoire déchirée de ses fulgurances rauques. A Love supreme comme le souvenir de l’Amérique de la ségrégation et des combats pour y mettre fin. A Love supreme comme la prise de conscience d’un exilé et l’étonnant regard, fasciné et inquiet, porté par la communauté noire américaine vers le continent africain. A Love supreme comme une soirée de jazz, comme un instant de connivence, comme un partage complice.
Par la Compagnie Ultima Chamada.
Bernard Magnier : Pouvez-vous nous dire ce qui vous a conduit vers l’adaptation de cette nouvelle d’Emmanuel Dongala ?
Luc Clémentin : Le TARMAC de la Villette, dans le cadre de sa participation à « Jazz à la Villette », m’a proposé en 2005 de faire une lecture de cette nouvelle d'un auteur francophone, qui évoque le jazz et restitue les liens existant entre le continent africain et la communauté noire des États-Unis d'Amérique. Je disposais d'un peu de temps donc très vite la qualité et la force de cette nouvelle, m'a donné envie d'une forme plus aboutie. La rencontre avec les musiciens a été déterminante car elle a permis d'inventer la partition musicale qui vient se mêler au texte. Un comédien, un saxophoniste, un batteur et un contrebassiste racontent ensemble cette histoire.
Quelles sont les qualités majeures de ce texte ?
La force de ce texte tient à la très belle restitution de la profession de foi de ce sacré grand musicien qu'a été John Coltrane, J.C… La manière avec laquelle Emmanuel Dongala aborde la question de l'engagement politique à travers l'exigence artistique de Coltrane est aussi un élément très intéressant.
Quels ont été vos partis pris de mise en scène ?
Je souhaitais faire entendre le plus simplement possible ce magnifique témoignage d'amitié et de profond respect pour sa quête d'absolu, d'un écrivain à un musicien. Après quelques répétitions, le choix de faire du narrateur un patron d'une boîte de jazz qui raconte, derrière son bar, « sa » rencontre avec Coltrane s'est imposé naturellement. La configuration du foyer du TARMAC, avec la possibilité d’une immédiate proximité du public, assis à des petites tables autour du trio de jazz et du bar, permet de restituer le lien sensible et intime qui existe dans la nouvelle.
Adapter un texte qui initialement n’est pas un texte de théâtre, est-ce une plus grande liberté pour un metteur en scène ? Est-ce au contraire plus contraignant ?
La liberté est beaucoup plus grande. Tout est possible car c'est au metteur en scène et au comédien d'inventer cette partition à laquelle pense forcément un auteur lorsqu'il écrit pour le théâtre : ce qui, derrière les mots, peut donner vie à ses protagonistes. En présence d'un texte dramatique, mon travail et mon plaisir de metteur en scène sont de trouver les clefs qui permettent de m'approcher des sources d'inspirations intimes, donc mystérieuses, de l'auteur. Il s’agit aussi de comprendre les raisons de son désir de voir ses personnages incarnés sur un plateau. Dans le cas d'une adaptation, ce deuxième aspect revient au metteur en scène-adaptateur… On peut donc dire que la liberté est deux fois plus grande !
Propos recueillis le 6 juin 2006 par Bernard Magnier.
Bernard Magnier : Vous êtes grand amateur de jazz et tout particulièrement de John Coltrane. Votre nouvelle A love supreme est consacrée à ce musicien. Pourquoi ce musicien plus qu’un autre ? Pouvez-vous nous dire ce qui vous séduit chez ce musicien ?
Emmanuel Dongala : Pour comprendre ma fascination pour John Coltrane, il faut savoir que je suis arrivé aux États-Unis au début des années 60, une époque où le jazz amorçait une de ces transformations qui en ont fait une musique vivante, toujours en évolution. Le genre dominant jusque-là était le be-bop qui avait fini par ringardiser le bon vieux swing. Avec son tempo effréné, ses improvisations basées sur la structure harmonique plutôt que sur la mélodie - ce qui produisait parfois des sonorités dissonantes qui horripilaient les adeptes du swing - le bop avait fini par rompre le lien étroit qui existait entre le jazz et la danse, avec les « big bands ». Du coup, les musiciens migrèrent vers les petits night-clubs où ils pouvaient s'éclater et pousser au bout leurs expérimentations. Ainsi donc, le bop qui avait commencé au milieu des années 40 avec des musiciens comme Charlie Parker et Dizzie Gillespie était à son apogée avec ses dérivés comme le hard-bop, le cool, la third-stream. Mais au début de ces années 60, les jeunes musiciens commençaient à se sentir à l'étroit dans le genre et aspiraient à autre chose. Cette autre chose fut le mouvement qui a sorti le jazz de l'ère be-bop et devait régner jusque dans le milieu des années 70, mouvement que, faute de mieux, on a dénommé « free jazz », « new wave », ou encore « new thing ». J'ai donc vécu cette période-là et c'est à travers la musique de John Coltrane que je voyais, de disque en disque, de concert en concert, sous mes yeux en quelque sorte, la progression du mouvement.
Au-delà de sa musique y a-t-il des aspects dans sa démarche de création, dans sa trajectoire personnelle qui retiennent également votre attention ?
Ce qui m'a fasciné chez Coltrane c'est sa capacité à se transformer. Comment littéralement en une nuit de 1957, il a pris la décision d'arrêter la boisson et les narcotiques qui avaient fait de lui un junkie, et comment... il l'a fait ! Comment il a apporté une dimension spirituelle au jazz, cette musique qui jusque-là était associée aux bouges et autres endroits mal famés. D'ailleurs, quelques critiques ont décrit sa musique comme du « spiritual jazz ». C'est aussi sa quête incessante de la perfection et de l'aventure. Après ce chef-d'œuvre absolu qu'est A love supreme, il n'a pas hésité à continuer sa recherche en se lançant dans le free jazz, aliénant ainsi ses plus fidèles admirateurs.
Dans votre nouvelle, vous évoquez une rencontre avec John Coltrane. A-t-elle eu lieu ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Oui, j'ai rencontré Coltrane brièvement lors de l'un de ses concerts à New York. Malheureusement, elle n'a pas été suivie d'autres. Par contre, à sa mort, le 17 juillet 1967, j'étais présent à la veillée mortuaire à St Peter Lutheran Church de Manhattan. C'est d'ailleurs durant cette veillée que m'est venue l'idée d'écrire cet hommage.
Quel regard portez-vous, plus de 20 ans après sa parution, sur cette nouvelle ?
Souvent, quand on relit des textes que l'on a écrit il y a longtemps, on se dit toujours qu'on aurait pu ajouter ceci ou retrancher cela. Mais presque trois décennies après avoir écrit A love Supreme, je trouve ce texte toujours aussi frais et toujours aussi vrai. En plus de son côté lyrique et poétique, il a, me semble-t-il, très bien capté l'esprit de cette époque de lutte pour les droits civiques des « Africains-Américains » durant laquelle musique et combat politique étaient mêlés. Mieux, il semble que le temps lui a donné cette patine que l'on trouve sur les vieilles photographies, ajoutant ainsi un brin de nostalgie et d'authenticité.
Quel accueil a été réservé à ce texte ? À votre recueil ?
C'est le recueil de nouvelles le plus connu et le plus lu d'Afrique francophone. Il a été et est encore dans les programmes de nombreux lycées. Il a été réédité plusieurs fois et, à mon grand chagrin, il existe même des éditions pirates. Il est aussi très utilisé dans les universités et les lycées américains qui ont un programme de français. J'ai aussi lu quelque part un critique qui considère Jazz et vin de palme comme la première nouvelle de science-fiction africaine. A love supreme a fait l'objet de nombreuses lectures publiques et de plusieurs mises en scène aussi bien au Congo qu'ailleurs. Cependant, je considère la mise en scène du théâtre du TARMAC comme la meilleure, avec son trio de jazz « live » sur scène.
Il y a quelques années, on évoquait la « fratrie » des écrivains congolais et on s’étonnait volontiers du nombre important d’écrivains dans un pays si peu peuplé et dépourvu de maison d’édition. Qu’en est-il aujourd’hui ?
La « fratrie » des écrivains congolais n'existe plus. Sony Labou Tansi et Sylvain Bemba, l'inventeur du terme, sont morts ; d'autres sont dispersés à travers le monde ; d'autres encore sont entrés en politique et leur allégeance politique prime désormais sur la confraternité. Enfin, les plus jeunes se sont laissés prendre au jeu des média en jouant perso et n'hésitent pas à se faire des crasses pour mieux briller. Non, la « fratrie » n'existe plus !
Aujourd’hui, vous vivez aux États-Unis, comment percevez-vous les liens existant entre les Africains-Américains et l’Afrique ? Une « mère-patrie » réelle ? Fantasmée ? Une terre d’origine lointaine ? Une fascination mêlée de crainte et d’ignorance ? Une attirance non-concrétisée ?
Dans les années 60, pendant la lutte des Africains-Américains pour leurs droits civiques, il y avait une véritable fascination pour l'Afrique, une fascination aussi bien idéologique qu'historique. Cela était dû au fait que l'Afrique venait de conquérir son indépendance et servait un peu de modèle ou du moins de repère historique à cette population qui luttait elle aussi pour son droit d'exister. C'est d'ailleurs vers cette époque-là que le terme « African American » a remplacé le terme « negro » qui désignait les noirs américains, c'est tout vous dire. Aujourd'hui, l'Afrique a déçu. Sous l'effet de loupe des média dont la plupart des Africains-Américains tirent leur information concernant le continent, l'Afrique n'est plus pour eux que le continent de la misère, du sida, des guerres civiles. Ils ne s'y intéressent pas vraiment. Heureusement qu'il y a une frange intellectuelle qui s'intéresse toujours à notre vieux continent, organise des voyages et même des programmes pour retrouver les régions précises d'Afrique d'où provenaient leurs aïeux à partir des recherches génétiques basées sur l'ADN.
Vous-même, comment y êtes-vous reçu en tant qu’écrivain ?
L'un de mes plus grands bonheurs est que j'ai pu percer aux USA en tant qu'écrivain, surtout en considérant le fait que je viens d'Afrique et que j'écris toujours en français. Mon dernier livre, Johnny chien méchant par exemple, a été désigné comme l'un des meilleurs livres de l'année 2005 par le Los Angeles Times. Depuis Le Feu des origines, tous mes livres sont systématiquement traduits. Enfin, durant l'année académique 2005-2006, un cours entier a été consacré à mes œuvres à l’Université de Californie de Los Angeles (UCLA).
Propos recueillis le 7 juin 2006 par Bernard Magnier.
Être ou ne pas être musicien... telle n’est pas la question lorsque John Coltrane naît à... Hamlet en 1926. La musique était à la maison ou presque. Son père, tailleur, n’était pas riche mais clarinettiste et violoniste amateur et sa mère pianotait à l’église pour accompagner les offices... C’est donc naturellement qu’il fera ses débuts chez les scouts, dans des salles de danse et des formations de rythm and blues.
Plus tard, il rejoindra Dizzie Gillespie, Miles Davis ou Thelonius Monk. On pourrait envisager de plus vilaines fréquentations musicales... Partout, il laisse la trace d’un esprit libre jusqu’à l’extrême, jusqu’à l’excès. Il ne peut se satisfaire des traces établies et s’invente des chemins de traverse et d’aventures.
Sa musique résonne dans les brumes de l’alcool, de la drogue et dans la fièvre des libertés. Elle soulève et bouleverse au plus profond de soi. Ses « folles avalanches cuivrées » meurtrissent et font mal comme une blessure ouverte, comme un drame soudain présent sous nos oreilles alertées. Ses solos d’une langueur jamais monotone l’ont rendu célèbre de même que sa quête d’absolu qui l’emportait vers l’inaccessible étoile. Son cri est brut, dérangeant, émouvant.
Sa carrière fort courte est jalonnée de balises, aujourd’hui essentielles pour les amoureux du jazz : Kind of blue, Giant steps, Ascension, My favorite things, et bien sûr, A Love supreme.
Dans la quête vers l’Afrique du « Malcolm X du jazz », on retrouve Africa/Brass, Dakar, Dahomey dance, Ogunde en référence au dieu du panthéon yoruba... et il faut aussi, bien sûr, leur associer Tunji, un morceau dédié à son ami nigérian, Babatunde Olatunji dont il aidera et financera le Center for Africa culture à New York et pour lequel il donnera son dernier concert à quelques semaines de sa mort en 1967.
Son jazz, incontestablement libre, volontiers mystique appartient à l’histoire mâtinée de légende des météores, en compagnie de Charlie Parker, cet autre « oiseau » d’un ciel enjazzé. Coltrane... Blue train en partance.
Discographie :
A Love supreme, Impulse MCD / MCA
The Heavyweight Champion : The Complete Atlantic Recordings, coffret de 7 CD, Rhino / WEA
"Idéale introduction à Coltrane pour les néophytes, le spectacle s'avère une passionnante relecture en profondeur pour les fans." Jazzman
"Bien mieux qu'un hommage, une pulsion partagée." Les Inrocks
"La sincérité rejoint le sublime." L'Humanité
"Un spectacle rare." Les Echos
"Un spectacle intense." Le Figaro
"John Coltrane n'est pas mort." Le Monde 2
Tout à fait d'accord ! le hall du théâtre est transformé en cabaret, c'est une ambiance sympa, on boit un verre en écoutant le comédien (qui est aussi conteur dans la vie) et les musiciens. C'est drôle, sérieux, entre fiction et histoire, émouvant... On a passé une excellente soirée !
Je ne connais rien au jazz, et j'avais un peu peur de m'ennuyer. Mais j'en suis ressorti enchanté ! Le texte, très bien écrit, raconte la rencontre du narrateur avec JC, et la vie du musicien, les hauts et les bas, sa quête de perfection, sa récupération politique. Le comédien est captivant, et le trio jazzy rajoute à l'ambiance. Les mots et les notes touchent bien après la fin de la soirée : la marque du bon théâtre !
Tout à fait d'accord ! le hall du théâtre est transformé en cabaret, c'est une ambiance sympa, on boit un verre en écoutant le comédien (qui est aussi conteur dans la vie) et les musiciens. C'est drôle, sérieux, entre fiction et histoire, émouvant... On a passé une excellente soirée !
Je ne connais rien au jazz, et j'avais un peu peur de m'ennuyer. Mais j'en suis ressorti enchanté ! Le texte, très bien écrit, raconte la rencontre du narrateur avec JC, et la vie du musicien, les hauts et les bas, sa quête de perfection, sa récupération politique. Le comédien est captivant, et le trio jazzy rajoute à l'ambiance. Les mots et les notes touchent bien après la fin de la soirée : la marque du bon théâtre !
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