Unis par une irrépressible soif de vengeance, Zîr Salem, héros légendaire de l’antiquité arabe, et Hamlet, prince shakespearien, se confrontent et se répondent dans leur quête de justice.
Ce récit théâtral et musical jette un pont entre Orient et Occident et invite, face aux injustices de notre monde actuel, à porter un regard critique sur la violence.
D’après Hamlet de Shakespeare et Al-Zîr Salem d’A. Farrag.
« Al-Zîr Sâlem dit : “je veux Kulayb vivant...” Qui aurait entendu parler du roi Kulayb sans la folie du prince Sâlem ? Personne peut-être... Ainsi, Kulayb est resté présent dans les esprits comme il l’est parmi nous ce soir. Sâlem nous racontera ses propres souffrances, ses méditations, il nous représentera son histoire. Que dire de Hamlet ? Ce prince danois dont le père fut assassiné par son frère ? De retour de Wittenberg, où il faisait ses études, Hamlet trouve son oncle installé sur le trône et couché dans le lit de sa mère. Le fantôme de son père lui apparaît alors, pour le pousser à la vengeance. Hamlet fuit cette action par des réflexions philosophiques qui nous révèlent le fond de sa pensée. Les moyens divergent, mais le résultat est le même dans les deux cas, et les conclusions sont aussi les mêmes pour les deux princes, elles se résument en un seul mot : le sang !
La pièce met les deux princes face à face, dans un non lieu et non temps absolus pour poser le problème de la vengeance. Elle reprend cette idée à travers leurs histoires simultanées, leurs ressemblances et leurs divergences. L’histoire de Zîr Sâlem est peut-être connue de vous, de même que celle d’Hamlet, et vous vous demandez pourquoi ce retour aujourd’hui à Hamlet et Sâlem ? Et pourquoi précisément ces deux-là ensemble ? L’idée du doute philosophique est bien au centre d’une civilisation, mais le doute d’Hamlet est-il réel ? Est-ce que nous continuons à y croire ? Devons-nous ici nous approprier ce même doute pour être moderne ? Je porte ce projet en moi depuis des années.
Edward Saïd disait : « Il n’y a pas un conflit d’idées entre l’occident et l’orient, mais un conflit entre l’occident et l’image que se fait l’occidental de l’orient. » En occident, on découvre que notre image n’est pas celle qu’on pense. En tant qu’oriental résident en occident, je me suis souvent heurté à ces préjugés qui façonnaient mon image ; on me renvoyait une image de moi faite selon des critères d’occidentaux.
C’est justement cette idée de heurt entre civilisations qui est à la base de mon projet, et c’est ce qui m’a poussé à choisir ces deux personnages. A l’aube de l’année 2015, l’actualité nous invite, chaque jour, que ce soit consciemment ou non, à évoquer les thèmes de la vengeance et de la justice. Comment promouvoir la paix lorsque tant d’injustices et souffrances nous entourent et nous écrasent ? Comment parvenir à porter un regard critique sur la violence qui envahit de plus en plus notre quotidien ? Comment développer une lecture des événements hostiles qui nous oppressent et qui transforment nos existences, malgré nous, en une lutte continue ? »
Ramzi Choukair
Voici une rencontre unique et insolite : celle d’un prince arabe, Zîr Salem, et du prince shakespearien, Hamlet. Tous deux sont confrontés à la cruauté et au meurtre. Avec des systèmes de pensées différents, ils initient un dialogue et explorent ensemble la question de la vengeance et de la justice. Ce conte théâtral et musical jette un pont entre deux cultures, beaucoup moins éloignées que l’on voudrait nous le faire croire et invite, face aux injustices de notre monde actuel, à porter un regard critique sur la violence. La pièce procède de deux sources différentes : la réécriture par Alfred Farrag de l’histoire de Zir Salem, héros légendaire du Moyen-Age arabe, et le Hamlet de Shakespeare.
À partir de ces deux textes, Ramzi Choukair construit une nouvelle oeuvre qui explore non seulement le thème commun aux deux pièces, celui de la justice et de la vengeance, mais aussi leur mode de récit. Ainsi, chacun des héros devient le spectateur de l’histoire de l’autre et influence son attitude La pièce de Ramzi Choukair exprime, à travers l’utilisation du théâtre, de la littérature et de l’imaginaire oriental et occidental, une prise de conscience d’une fausse opposition exacerbée. Il n’est pas utile ici de s’étendre longuement sur Hamlet : jeune prince du Danemark désemparé par la mort brutale de son père dont le fantôme lui révèle que son propre frère Claudius l’a empoisonné. Hamlet doit venger son père et, pour mener son projet à bien, simule la folie. Mais il semble incapable d’agir. En revanche, peut-être est-il bon de dire un mot sur ce personnage d’Al-Zîr Sâlem, qui appartient à un genre tout à fait particulier que l’on nomme sîra (pluriel siyar) issu de la littérature populaire semi-orale. Le prince Sâlem se retrouve au centre d’une guerre de pouvoir, opposant son clan à celui du roi Tubba’ Hâssan.
La pièce se concentre sur le moment où, à la suite d’intrigues amoureuses et de meurtres revanchards, Al-Zîr Sâlem souhaite venger la mort de son frère, Kulayb. Le récit aborde de façon claire le problème de l’absurdité de la guerre vengeresse. C’est aussi, d’une certaine manière, tout le système tribal et les alliances consanguines qui sont remis en question. LE PROjet 3 On peut légitimement se poser la question du rapprochement de ces deux textes de cultures différentes, de genèses différentes aussi. L’un s’élabore au fil des siècles à partir d’une légende ancestrale qui remonte à l’époque pré-islamique ; l’autre, écrit à une époque précise, possède un auteur connu ; pourtant les points communs sont nombreux.
Dans les deux cas, il s’agit, au départ, d’événements historiques ; les deux héros sont des princes auxquels une tâche de vengeance a été assignée ; tous deux hantent l’imaginaire de la culture dans laquelle ils ont été conçus. La pièce ne garde pas tout du récit de Zîr-Salem, comme elle fait aussi un choix dans les divers épisodes de la tragédie de Shakespeare. Un dialogue s’engage entre les deux personnages où chacun se révèle tour à tour spectateur et auditeur de l’histoire de l’autre. Et où chacun incite l’autre à se venger tout en doutant de son propre désir de vengeance : quelle est la valeur du prix du sang ? Le dilemne reste entier et la véritable justice impossible.
En des temps où des extrémistes de tout bord détruisent dans chacune des deux cultures l’image de l’autre, Al-Zîr Hamlet nous aide à jeter un pont entre ces deux cultures qui sont beaucoup moins éloignées que l’on voudrait nous le faire croire. Ramzi Choukair ne cherche pas à marquer des divergences entre des comportements et des sociétés qui seraient en conflit constant : loin des oppositions manichéennes, il tend à percevoir, à travers les personnages, des questionnements universels. Un discours métadramatique se dessine et nous renvoie à nos propres stéréotypes, que l’on soit spectateur occidental ou oriental.
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