Mouvances amoureuses
Par une belle nuit bleue, lumineuse comme dans les rêves
Entre le lit et le champ de bataille
Ce n'est pas un auteur que j'ai décidé de mettre en scène mais très précisément une œuvre qui se trouve avoir été écrite par Molière, en l'occurrence : Amphitryon.
L'ambivalence du ridicule et du sublime en amour est un thème qui me hante depuis quelque temps. Sa richesse de registres, à l'intérieur d'une partition modeste " celle d'un orchestre de chambre mozartien " réduite à six ou sept protagonistes, fait d'Amphitryon, avec la musicalité des sentiments qui s'y déploient, un véritable bijou. J'avais donc envie d'explorer ce pays enchanté, parfois traversé d'ombre et de gravité, où l'on voit vivre l'être humain aimant.
Cette histoire de rencontre entre les dieux et les mortels, entre le surnaturel et la réalité où la poésie aristocratique la plus raffinée côtoie la comédie populaire, où tout un monde complexe, protéiforme, se divise en divinités et êtres humains, maîtres et valets, hommes et femmes, a fait ressurgir en moi des souvenirs du Songe d'une nuit d'été, et de Shakespeare en général. En effet, s'y retrouvent pratiquement la même déclinaison de styles, une problématique un peu semblable concernant les mouvances amoureuses, les visages multiples de l'amour, la difficulté, voire peut-être le plaisir de se perdre en amour, quitte à risquer d'y perdre sa propre identité.
La pièce pose de façon très ouverte les questions de la force et de la fragilité du couple, elle interroge aussi les figures du pouvoir, celui qui s'exerce d'un individu sur l'autre, du maître sur le valet, des puissants - en l'occurrence les dieux - sur le commun des mortels, des hommes sur les femmes… Rarement déclinaison de rapports de domination m'est apparue dans une œuvre théâtrale aussi étendue et variée.
Comme le Songe d'une nuit d'été, Amphitryon est une œuvre nocturne mais la nuit y est d'une grande clarté, celle de la lune et des étoiles qui brillent comme des projecteurs de théâtre. Le premier personnage à fouler le plateau est la Nuit, le deuxième acte se joue à la lumière du jour, et j'ai envie de replonger le troisième acte dans la nuit : non pas une nuit noire, mais un beau bleu nuit, lumineux comme dans les rêves. On y oscillera en permanence entre l'onirique et le cauchemardesque. Elle contribuera a accentuer la confusion entre les identités ainsi qu'entre les dieux et les mortels. Cette belle nuit autorisera aussi bien les extases de l'accouplement que les affres de la bastonnade.
Bien qu'écrit au XVIIe siècle, c'est bien au début du XXIe siècle que je mets en scène ce texte. Les références historiques de l'époque ne peuvent donc être exprimées à travers les mêmes symboles… Pour le public de l'époque, il était clair que Jupiter vivait sur la scène aux côtés d'Alcmène une aventure semblable à l'idylle vécue par Louis XIV auprès de la Marquise de Montespan, en l'absence d'un époux envoyé par le roi au combat. De nos jours, c'est à travers d'autres " images " qu'il faut tenter de témoigner, à la manière du conte, du merveilleux de la fable : il était une fois un roi tout puissant qui, pour l'amour d'une belle dame… Les hommes sont au front, ils en reviennent. Ils sont militaires, aristocrates et doivent à leur pays un service de guerre. Leurs valeurs essentielles sont l'honneur et la gloire. Les costumes évoqueront cet entre-deux, cet aller et ce retour entre le lit et le champ de bataille. Il nous faut préserver ce parfum ancestral d'une aristocratie - fût-elle décadente - qui conçoit la guerre comme un art et un devoir, l'un des enjeux de la pièce étant de montrer le " coup de pied " que donnent les dieux dans la " fourmilière ", le trouble qu'ils jettent par leur dédoublement dans cette société très réglementée, très sûre de ses hiérarchies et de ses valeurs.
Stuart Seide
Propos recueillis par Yannic Mancel, octobre 2001
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille