Il était une fois...
Notes du metteur en scène
La presse sur Andromaque
Il était une fois une Personne, archaïque, lointaine, originaire, faite de poussière et de sang, de désir et de mort, de femme et d'homme aussi, et de dieux anciens et de bêtes féroces. Cette personne vivait il y a très longtemps, en un temps d'avant le Temps, d'avant le Lieu. Je vous donne un exemple : à la guerre de Nulle Part (que l'on a dite "de Troie"), elle était là, c'était elle, mille figures d'elle-même en elle déchirées, mille figures d'elle-même qui se donnaient, aveuglément, comme premières.
Un jour, cette personne s'est divisée en quatre. Quatre enfants d'elle, à leur insu. Un prince et une princesse, et puis une princesse et un prince, comme en deux contes de fées emmêlés. Mais les fées étaient mortes, et les dieux désabusés. Que pouvaient-ils bien faire de tout ce sang écoulé déjà, de tout ce désir déjà assouvi ? Une tragédie.
Daniel Mesguich
"Racine, donc, est le nom d'un texte. Un pays textuel homogène, aux lois reconnaissables, et divisé, c'est ainsi qu'il se donne, en un petit nombre de provinces assez autonomes ; un océan balisé de havres et qui portent, pour la plupart, des noms de femmes : Andromaque, Phèdre, Esther, Iphigénie, Athalie, Bérénice... Un nom de femme dans chaque port.
Racine, je l'aime de plus en plus. Et j'avance que, le concernant, ce "de plus en plus" est la condition même de l'amour qu'on peut lui porter. Pas d'amour, pas d'amour du tout, pas de lecture, sans ce "de plus en plus". Quant à moi, je revenais de loin : j'ai failli le manquer.
Les textes de Racine tirent tous leur "origine" d'un mythe, d'un bout de mythe, et mettent en scène des figures légendaires qui donnent visage, précisément, à ce qui est toujours déjà effacé - oui, sans face, sans visage - en nous. A ce qui est, pour nous, la face cachée, mystérieuse, de nous ; et terrifiante souvent. C'est que ces personnages - ceux qu'on appelle des personnages - ne sont pas des personnes. Ce ne sont pas des femmes ou des hommes, ou des enfants, ce sont... des forces, peu visibles par nous à l'oeil nu de chaque jour, des bribes hasardeuses de ce qui, toujours, pourtant, tous, nous constitue. Des bribes de "sujet", si l'on veut. Mais vivantes.
Il faut imaginer Racine riant aux éclats lorsqu'il se défendait, écrivant telle ou telle préface, d'avoir rien inventé, d'avoir choisi un sujet préexistant dans l'histoire ou la mythologie grecque ou romaine. Certes, le "sujet" existait déjà. Mais... en chacun de nous. Sinon, où aurait été le théâtre ? Qu'aurait-il été ? Un reportage, tout au plus ; et plutôt ampoulé, non ?
Dès le départ, voyez-vous, à peine le livre ouvert, il faut... l'ouvrir encore. "Quel irrespect envers Racine, diront alors certains, que de vouloir ainsi lui faire des sens dans le dos, que de chercher midi à quatorze heures !" Mais voilà : midi n'est jamais à midi, et cet irrespect apparent est, je le crois, le respect même, qui avance que rien n'est écrit là légèrement, que tout, oui, tout et non seulement ce qui est admis, est à prendre au plus grand sérieux.
Ce qui n'exclut pas l'humour.
Racine : un pont de papier de la bibliothèque à l'âme, et chaque alexandrin, comme le chiffre de la lettre, comme une bouteille à la mer."
Daniel Mesguich
A aucun moment Daniel Mesguich ne joue au maître qui prétendrait nous faire découvrir Andromaque. (...) Cultivée par les jardiniers de l'éducation nationale, Andromaque a poussé dans tant de têtes avant d'entrer en scène tant de fois que Daniel Mesguich n'a qu'à boucler la boucle de ces répétitins par un noeud à sa façon. Ses tranches de Racine ont la finesse d'un carpaccio qui conserverait la forme initiale du morceau. Sa saveur. Fatalité théâtrale, le dédoublement est ici exploité un peu plus que de coutume. (...)
Tremblement de terre : Cette Andromaque aux miroirs brisés, aux héros rendus flous d'incertitude, émerge d'un véritable chaos. Le décor (Gérard Poli) est celui d'un théâtre mis à bas par quelque tremblement de terre. (...) Des silhouettes fantastiques peuvent commencer à venir prudemment le hanter. La note est au romantisme crépusculaire fin de siècle. (...)
Daniel Mesguich a jeté une bande d'aristocrates décadents parmi ces colonnes brisées. Dans leur existence antérieure, ils se sont beaucoup ennuyés. Et puis ils sont tombés sur Racine. Ils allaient pouvoir se donner l'impression d'exister.
Malgré la tentation du sarcasme qui affleure, ils se sont partagés les rôles avec le plus grand sérieux. A la fin des fins, leurs confidents seront là pour ajouter du trouble au trouble, avant de remettre en ordre les fragments d'un brillant discours qui serait celui d'un metteur en scène décidé à s'amuser avec eux et avec nous, jusqu'à s'en étourdir.
Le Monde, Jean-Louis Perrier
(...) Il faut prendre Mesguich comme il est, pour le meilleur et pour le pire, avec sa forte personnalité, provocante et séduisante.
Le pire, on le sait, c'est une propension incorrigible à la pléthore scénique (...) le meilleur, c'est une intelligence aiguë des textes, une fantaisie ou l'invention le dispute à l'esthétisme et une vision sensuelle du théâtre, la seule qui vaille.
Une humeur heureuse - celle de Mesguich, par la nôtre - fait que dans l'Andromaque qu'il nous présente, le meilleur l'emporte largement sur le pire, au point qu'on passera au compte des profits et pertes les quelques caprices saugrenus qui encombrent la mise en scène, pour ne retenir de celle-ci que l'élégance authentiquement racinienne. Toutes les beautés secrètes de l'oeuvre, Mesguich nous les révèle avec une remarquable délicatesse du coeur et de l'esprit. La puissance de la tragédie et la pureté du texte nous ont rarement été rendus avec autant d'amour et d'émotion.
C'est un choix romantique qu'a fait Mesguich, et il ne s'est pas trompé. "Si Racine vivait de nos jours, disait Stendhal qui ne se trompait pas davantage, et qu'il osât suivre les règles nouvelles, il ferait couler des torrents de larmes, au lieu de n'inspirer que de l'admiration, sentiment un peu froid."
Ce qu'on reproche si volontiers à Mesguich, il en fait ici une force qui frappe juste. Son génie baroque donne à ce texte de facture classique de la chair et de l'éclat.
Voilà un beau spectacle. (...) Le Figaro, Philippe Tesson
(...) Si toute mise en scène est affaire de regard sur l'oeuvre, l'oeil de Daniel Mesguich sur l'Andromaque de Racine ne finit pas, lui, de nous rendre intelligent. (...)
Mesguich laisse entrevoir les béances, les incertitudes qui se glissent entre chaque alexandrin ; c'est dans ces vides-là que le spectateur reconstruit avec bonheur son propre spectacle, se joue lui-même Andromaque. (...)
Mesguich met en scène Racine en révélant ses audaces, ses mensonges, ses illusions : il le donne à comprendre, à aimer, en se dégageant de toutes les contraintes du classicisme, mieux : en jouant superbement avec elles.
Télérama, Fabienne Pascaud
Place de la liberté (Boulevard Foch) 57103 Thionville