La pièce
Entretien avec Jean-Pierre Gryson
" Adulte ? Jamais. Jamais, comme lexistence qui ne mûrit pas, reste toujours verte de jour splendide en jour splendide. " Pier Paolo Pasolini
Synopsis
Jeannot, 15 ans, vient de mourir du sida. Son testament réserve à sa famille
des surprises, des révélations et des provocations inattendues. Dans cette pièce
bouleversante, Jean-François Caron, tout en laissant une large place à
limaginaire, va à lessentiel, au cur de lémotion, à la source
profonde de ce qui constitue notre humanité et notre force de vivre.
Résumé
Nous sommes dans létude dun notaire, où nous assistons à la
lecture du testament de Jeannot. Sont présents: son frère Juliot, sa sur Loulou,
son oncle Jos, et Serge, son ami, amant, complice. Son père, sa mère ne sont pas venus.
Le notaire, se débattant tant bien que mal face à une orthographe anarchique, dévoile
un testament qui attaque, caresse, réagit si on linterrompt, parle damour, ne
se laisse pas faire... un testament qui semble avoir hérité de la vie révoltée que son
jeune auteur vient de quitter.
À quinze ans, on na pas grand-chose à léguer. Après avoir réparti diverses
bricoles, ce Jeannot absent sengage dans un véritable combat avec son entourage. Il
ne sagit pourtant pas là dun banal règlement de comptes avec les vivants
mais plutôt de révéler à tous une vraie révolte et une vraie hargne de vivre au
travers de violentes attaques et de bouleversantes déclarations damour à
lhumanité.
Jeannot nous révèle ainsi sa vie, courte mais intense, folle, violente et débridée. On
découvre peu à peu que, si tout le monde a cru aimer Jeannot, peu lont compris,
peu ont su lui donner lamour quil réclamait. Serge, sans doute, son amour de
toujours; peut-être Mman, sa mère partie à la recherche de sa vie tout autour de la
planète et qui arrive à limproviste dans létude du notaire pour écouter
les dernières volontés de son fils "unique".
Mais le testament révèle également les douleurs et la folie de ceux qui
lécoutent, et lorsque le notaire en termine la lecture, les masques sont tombés,
les carapaces sont fissurées, la vie a progressé... Peut-être.
Entretien avec Jean-Pierre Gryson
Quest-ce qui vous a donné envie de monter Aux hommes de bonne volonté ?
À la fois la qualité de lécriture et lhistoire quelle sert.
La pièce a été une révélation pour moi. Le texte possède une inventivité et une
intelligence de lécriture rares. Une écriture chaotique, épurée, violée, dans
laquelle lapparemment sordide devient poésie et nous raconte une histoire
bouleversante. Une histoire sombre sans doute mais qui contient un formidable désir
damour. Cet amour, cest dabord celui qui unissait Jeannot à Serge; la
déclaration damour de Serge à son Jeannot mort est une des plus belles de la
littérature théâtrale. Mais ce besoin damour dépasse largement celui des deux
amants, il déborde sur la famille, à commencer par la mère, puis sur lhumanité
tout entière. Plus Jeannot et Serge senfoncent dans la drogue, le sexe et les
corps, plus ils atteignent la pureté parce queux-mêmes sont totalement purs. Ils
offrent ainsi une véritable vision christique du rachat de lhumanité par le
sacrifice du corps et de la vie. Tous les personnages sont absolument magnifiques
Javais envie de faire ce cadeau à des comédiens que jaime.
Et puis cette pièce entre parfaitement dans le domaine que notre compagnie, le Théâtre
Import-Export, souhaite explorer. En effet, nous avons créé le Théâtre Import-Export
en 1994, avec Mike Sens et Aline Blondeau, dans le but de travailler sur le répertoire
contemporain peu ou pas du tout connu en France. Il nexiste pas de crise de
lécriture dramatique contemporaine; cependant, il existe tant en France que partout
ailleurs un parcours semé dembûches pour les jeunes auteurs dramatiques avant que
leurs écrits ne voient le jour, cest-à-dire vivent sur une scène. Nous essayons
modestement de leur apporter notre petite contribution. Mon souhait est que les spectacles
que nous produisons puissent créer des désirs chez dautres metteurs en scène et
quils abordent les auteurs que nous essayons de promouvoir.
Vous parlez de l'inventivité et de l'intelligence de l'écriture de
Jean-François Caron...
Oui. Dans Aux hommes de bonne volonté, il crée une situation
imaginaire, un testament qui répond à ce qu'on lui dit, et l'exploite de façon sans
cesse renouvelée, de telle sorte que le spectateur est amené à pousser son imagination
toujours plus loin. À aucun moment, on ne peut se dire "ça y est, j'ai compris le
truc"; toutes les hypothèses que l'on est tenté de former sont confortées quelque
temps, puis démenties, ce qui force à construire de nouvelles hypothèses. De plus,
l'écriture elle-même est investie par la vie: le testament est écrit sans orthographe,
ce qui peut parfois conduire le notaire à le lire sans le comprendre... Et un personnage,
Serge, est écrit sans ponctuation, avec tout ce que cela peut amener de sens et de
difficultés pour le comédien...
Dans le travail de mise en scène, quest-ce qui, selon vous, est le plus
important ?
Etre des témoins, des passeurs. Restituer simplement lémotion pure
dun texte, de la pensée dun poète, dune histoire. Mon souci est de ne
pas "fermer" la façon dont un spectacle peut être ressentie par les
spectateurs. Il faut respecter limaginaire des spectateurs, quil puisse vivre
librement au travers de ce que nous leur proposons. Le théâtre, cest dabord
une émotion véhiculée par un texte et un corps et débarrassée de toutes les scories
qui prétendent lenvelopper mais qui ne font que lalourdir. Mon idéal
dépure serait un comédien nu sur une scène nue avec un éclairage unique et
restituant sans interprétation toute lémotion et la poésie dun texte; je
crois que je ferai cela un jour.
Les comédiens joueront-ils avec laccent québécois ?
Quand on voit, en France, une représentation dune pièce de Durif ou de
Maeterlinck, personne ne sétonne que les comédiens ne jouent pas avec
laccent belge, mais dès quil sagît de textes québécois, il semble
quil y ait obligation pour les comédiens de parler avec laccent de la
"belle province". Comme si le théâtre venu du Québec ne pouvait être sorti
de son contexte géographique. Non, les comédiens dAux hommes de bonne volonté
ne jouent pas avec laccent. Ils sont tous français et il aurait été un peu
ridicule de tenter de leur faire prendre un accent qui ne leur appartient pas. Ou alors,
cest de limitation, ce qui ne mintéresse pas.
Comment rencontrez-vous vos comédiens ?
Quand je cherche des comédiens pour un spectacle, je mintéresse assez peu à leur
parcours. Cest ce quils sont plus que ce quils savent faire ou
prétendent savoir faire qui mimporte. En fait, jai réellement besoin
dêtre amoureux de tous les comédiens de mes distributions. Trois des comédiens
dAux hommes de bonne volonté étaient déjà dans Jacko, ma
précédente mise en scène, et la rencontre avait été magnifique. Trois autres nous ont
rejoint pour ce nouveau voyage et une nouvelle aventure humaine a commencé. Jai
toujours besoin de faire un mélange entre des gens qui me sont très proches et
dautres qui le deviendront peut-être.
Comment travaillez-vous avec eux ?
Il serait un peu long et compliqué dexposer en détail ma façon de travailler:
il faudrait assister à tout, de la première répétition à la dernière
représentation. Disons que pendant longtemps, nous explorons toutes les ressources de
lhistoire et de lécriture et dans les dix derniers jours de répétitions,
nous "fixons" le spectacle. Cependant, même lorsque la mise en scène est
fixée, nous ne sortons jamais dune démarche de recherche. Cela impose de
travailler avec les comédiens dans une relation de totale confiance et intimité car
chacun va au plus profond de son être et se met en danger permanent.
Et après Aux hommes de bonne volonté, quels sont vos projets ?
Je mettrai en scène Le pont tournant de la Rue Dieu de Mike Sens, un
monologue, mais qui se fera avec deux comédiens. Le spectacle devrait être créé début
2001. Peut-être aussi une autre pièce de Jean-François Caron. Jai envie de
continuer à travailler sur cet auteur car jaime profondément son univers, son
imaginaire et son style littéraire. Jai aussi très envie de jouer...
11, rue du Général Blaise 75011 Paris