Conseillé à partir de 14 ans.
Babacar et Gina reconnaissent leurs souffles sur un quai de métro parisien alors que des milliers de kilomètres de terres, de frontières les séparaient à la naissance. Une symphonie de la rencontre improbable. Autour d’eux, un monde absurde, incompréhensible. L’histoire d’une course folle à travers les frontières séparant la très vieille Afrique et la très vieille Europe. Un hymne à la terre sur laquelle nous marchons tous et qui pourtant nous différencie selon la règle immuable de la possession.
Jacques Derrida a écrit : « Il n'y a pas de culture ni de lien social sans un principe d'hospitalité ».
Il y a quelques années, je regardais un documentaire sur les passages illégaux dans l'enclave de Ceuta, située entre le Maroc et l'Espagne. Un jeune sénégalais parlait de ses différentes tentatives pour passer en Europe, je l’écoutais et derrière ses mots, je voyais le fossé qui me séparait de lui. Je l’ai trouvé beau malgré la situation, son visage marqué et surtout son sourire surréaliste. Il avait toujours son sourire et n’abandonnerait jamais.
Il s'agit ici, clairement d'une révolte qui nous anime. J'ai réuni quinze artistes. Ils m'accompagnent tous comme un seul être vers l'envie commune de parler de notre époque, de notre Histoire commune et de notre inconscient collectif liés à la terre et à la frontière.
Je suis français, né de parents algériens, ces questions habitent mes écrits, mes projets. Tout mon travail consiste à les faire résonner au théâtre. Nous allons créer cette pièce en pensant évidemment à l'actualité, tout en restant pleinement dans la fable théâtrale, dans le rire et dans les larmes.
Sidney Ali Mehelleb
« Revenez quand vous voulez, mon vieux. La porte sera toujours ouverte. Fermez-la en sortant ! » Groucho Marx
« [Mexianu Medenou] porte le spectacle, il est tout en légèreté et en finesse. (...) le jeune comédien est virevoltant au milieu d’une belle distribution qui défend avec ardeur cette histoire très touchante qui nous ouvrre les yeux sur le destin tragique des sans-papiers. » Stéphane Capron, Sceneweb, 5 janvier 2017
Il y a maintenant six années, je regardais un documentaire sur les passages illégaux à la frontière de Ceuta. J’ai été hanté par certaines images, dont une. Il y avait une image infrarouge, filmée de nuit, d’un nombre important de jeunes africains courant pour passer la frontière entre le Maroc et l’Espagne. Ils couraient dans un sens et les balles volaient de l’autre, en atteignaient certains, d’autres passaient à travers les rafales… Au début, je ne comprenais pas ce que je regardais. Je pensais à des images de fictions, je ne sais toujours pas pourquoi j’ai eu ce réflexe. Puis, j’ai vite compris qu’il n’y avait là aucune distance, les images étaient brutes. Quelques jours après, je voyais un autre reportage sur ces passages de frontières mais cette fois-ci sur la mer, en canaux. Autre manière de ne plus comprendre, ce qu’est une frontière. Un jeune sénégalais parlait de ses différentes expériences, je l’écoutais et derrière ses mots, je voyais le fossé qui me séparait de lui. Je l’ai trouvé beau malgré la dureté de ses expériences successives, son visage marqué et surtout son sourire surréaliste. C’était un choc émotionnel qui m’intriguait. Il avait toujours le sourire et n’abandonnerait jamais.
J’ai commencé à écrire, quelques jours après, les premières scènes du passage à la frontière. Toutes se sont mises en place naturellement. Quelques mois plus tard, j’allai voir ma famille à Marseille, je devais pour un déménagement faire un tri dans mes cartons de lycéen… quel étonnement de tomber sur de vieux cahiers remplis de textes concernant ces passages aux frontières ! Là est l’inconnu pour moi. Quelles sont les raisons qui au lycée, m’ont poussées à écrire sur la frontière et ceux qui les traversent « illégalement » ? Je ne me souviens d’aucun fait pouvant engendrer ces écrits. Pourtant, les traces sont là. Étant d’origine algérienne, je fais certains rapprochements avec des expériences familiales, des liens se font mais je ne peux pas plus expliquer mon besoin d’écrire et porter sur une scène cette histoire.
L’écriture de Babacar ou l’antilope n’a jamais été dissociée de la scène. C’était évident. Je suis acteur en premier lieu. Mon expérience du plateau ne se dissocie pas de mes envies de lier l’écriture et la mise en scène. Je vois ça comme trois marathoniens qui se tirent la bourre malgré les longs kilomètres à parcourir. J’imaginais le spectacle en écrivant. Plus j’écrivais, plus je laissais place à autre chose que la thématique des sans-papiers ; il a vite été très clair que ce ne serait pas un plaidoyer pour défendre cette « cause » . C’est là qu’intervient la deuxième partie du titre, la référence à l’antilope. Un animal sans territoire. C’est assez rare pour le préciser. Il était important pour moi de mettre au cœur de cette histoire le rapport à la terre, au territoire que ce soit à l’écrit et au plateau. L’antilope est arrivée par ces envies de courses que j’avais à l’époque, j’allais souvent courir et ce besoin m’interrogeait. J’entendais des commentateurs sportifs parler de Marie Josée Pérec, de Usain Bolt ou d’autres, les comparant à des gazelles ou des antilopes. Je me suis donc penché sur ces dernières et j’ai été fasciné. Je me suis dit qu’il serait beau, en imaginant le spectacle, de rapprocher Babacar et l’antilope, et de construire autour. L’antilope est sans territoire et bouge selon ses envies, ses élans. Cela crée des moments très simples de joie et d’autres moments plus tendus avec certains animaux qui eux, possèdent un territoire.
Sidney Ali Mehelleb
La pièce est constituée de trente et une scènes qui forment la ligne centrale de l'histoire, celle de Babacar, sa rencontre avec Gina. Un monde urbain et absurde gravite autour d'eux, dessiné par une galerie de personnages. Il y a également quatre scènes de Bouffons qui creusent La Grande Histoire de La Terre et de La Frontière et une scène Annexe qui concerne uniquement le personnage de Salima, où l'écriture (son écriture) vacille.
Pour créer Babacar ou l'antilope, je fais appel à plusieurs artistes. Camille Duchemin à la scénographie, Christine Mame à la lumière, Angélique Calfati aux costumes et Grégoire Durrande à la musique. Ensemble, notre objectif est de définir un dispositif scénique pour le jeu, un dispositif où le jeu des acteurs sera déployé et leurs imaginaires démultipliés. Ensemble, nous partons sur une thématique qui nous aide à enrichir l'histoire et le propos de la pièce. L'aéroport. La pièce se termine par une reconduite à la frontière, la frontière « officielle » , l'aéroport.
Dans les deux premières scènes, les enjeux sont posés d'emblée. Babacar, attendant le signal pour courir, passer ce mur barbelé et passer en Europe. De l'autre côté, à Paris, apparaît une jeune femme, Gina. Son quotidien, son intense quotidien virtuel, elle joue au foot sur sa console de jeux. L'élastique de leur rencontre est tendu. À partir de là, nous allons voir apparaître plusieurs obstacles au franchissement de la frontière.
Rencontre avec… Babacar
Pour décrire la dimension du personnage de Babacar et la manière dont il évolue, je dois m'arrêter sur le sous-titre de la pièce. L'antilope. Elle est un animal sans territoire, c'est ce qui m'intéresse ici. Rien dans le texte ne fait mention d'une quelconque raison sociale ou économique pour son passage à la frontière. Un choix volontaire. C'est uniquement un besoin vital de voyager, de bouger, d'aller voir ailleurs. Cependant, sa trajectoire n'est pas naïve, elle est positive. Babacar va se heurter aux situations qui découlent de sa situation illégale, mais dans l'envie il regarde devant. Pour lui tout est possible. Même face à la violence, ses réactions sont pleines de surprises. Il n'est jamais là où on l'attend, ses réponses et ses réactions sont fragiles mais puissantes par l'évocation qu'elles font d'un homme bon. Même face à l'atrocité, il désarçonne par sa joie de vivre et de bouger. Toutefois, cette dimension se trouve confrontée à des limites lorsque une phrase de trop fait déborder le vase de l'acceptation.
Rencontre avec… Gina et Mina
Gina a une tâche sur son cou en forme de sabot de taureau. Gina est cette Histoire Antique. Gina est une pile électrique passionnée par le football. Elle passe tout son temps sur sa console de jeux vidéo. Elle a peu de contact avec le monde, si ce n'est une amie, son amie Mina. Avec cette amitié sur le devant de la scène, je veux mettre en avant une génération, ma génération. Une jeunesse inondée d'informations où les émotions ne prennent plus la peine d'être traversées. Les trajectoires de Mina et Gina sont pleines de cette prise de conscience. Elles se prennent la réalité en pleine face, leurs corps vont changer, leurs places dans le monde vont changer et leurs voix aussi.
Rencontre avec… Salima
Salima est tous ceux qui passent. Elle porte le monde dans ses mains. Elle écrit pour décrire et dire. Elle est celle qui par l'écriture donne du relief à l'absurdité du mot « frontière » . Salima est une Algérienne qui est aussi en attente pour passer. Babacar voit en elle une âme soeur instantanément. Salima est historienne. Elle est ici, pour voir, pour sentir et écrire. La folie de son écriture se situe ici dans une confrontation avec le réel, sa trajectoire est tragique. Elle fonce dans la rencontre avec Babacar comme une assoiffée du monde. Elle bouscule toutes les idées reçues sur la transmission de l'Histoire. Elle porte en elle le regard du vagabond, elle convoque toutes les grandes figures de révoltés, passant de Virginia Woolf à Bertrand Cantat en une réaction, elle est une réincarnation d'Arthur Rimbaud perdu en Abyssinie, elle est Albert Camus et Jean Genet par le regard qu'elle porte sur le monde, son charisme est celui d'Angela Davis. Elle se met en condition pour écrire avec son sang. Elle porte jusqu'au bout cette dimension. Salima possède une profondeur et une pulsion de vie et de folie qui feront aussi grandir Babacar. Ils parcourent ensemble des kilomètres, ils vivent ensemble et leur amitié trace une voie dans la terre. Sa voix est pour l'intelligentsia comme le feu... incontrôlable, à surveiller, à cadenasser.
Rencontre avec… des êtres
La galaxie de personnages qui gravitent autour de Babacar, Gina, Mina et Salima sont pour la plupart des êtres unis à leurs fonctions dans la société : un Homme Fusil, un Journaliste « presque super-héros », trois Flics et une Femme Flic, deux Hommes Pompiers, Un Homme Sécurité… une destinée tracée et subie. Ici résonne encore l'Antique filiation de la pièce. Des fonctions qui deviennent obstacles selon les situations. L'idée est de se confronter aux institutions et non aux êtres. Sentir les bords du cadre pour pouvoir l'exploser. Mais la particularité de cette galaxie est qu'elle n'est pas manichéenne. Chaque personnage possède une humanité, des contradictions et des réactions face aux situations. Ils expriment ma volonté de décaler le propos, d'être des êtres poétiques, des personnages de théâtre pour que le miracle (sous toutes ses formes) advienne. Le miracle est positif et négatif. Il regarde droit dans les yeux chaque personnage et lui intime de le traverser, de le connaître. Ces personnages sont voulus comme poreux. Poreux à la grande Histoire qu'ils représentent.
Rencontre avec… des bouffons
Il y a un univers parallèle à l'histoire centrale de Babacar. Un univers autre qui fait prendre de la hauteur... Celui des « Bouffons » . Des bouffons sortent de terre et prennent la forme d'abord de monstres, puis d'enfants monstrueux, puis d'huiles monstrueuses et d'une troupe de théâtre monstrueuse jouant l'Avare de Molière « dans un décor de 1900 » . Ils débarquent dans l'avancée du drame comme un cheveu sur la soupe pour apporter un regard différent, grinçant et drôle je l'espère. Ils ont en eux la capacité de mettre à distance par leurs frasques. Je les imagine comme une vision contemporaine des Marx Brothers. Ils mettent en relief, par tous les moyens possibles et imaginables, la bêtise du trait dessiné au sol pour dire « ici c'est chez toi, ici c'est chez moi » .
Sidney Ali Mehelleb
Le dynamisme des acteurs, l'intelligence de leur jeu, le côté complètement déjanté et parfaitement maîtrisé de la mise en scène. Des moments géniaux (la tirade des lettres d'Abyssinie, l'incrustation d'une scène de l'Avare, les scènes d'aveu amoureux sans la moindre trace de mièvrerie). Le propos: toute frontière engendre des possibilités inouïes et la peur, l'avarice et la paranoïa de la toute-puissance policière. Décidément une grande saison
Pour 1 Notes
Le dynamisme des acteurs, l'intelligence de leur jeu, le côté complètement déjanté et parfaitement maîtrisé de la mise en scène. Des moments géniaux (la tirade des lettres d'Abyssinie, l'incrustation d'une scène de l'Avare, les scènes d'aveu amoureux sans la moindre trace de mièvrerie). Le propos: toute frontière engendre des possibilités inouïes et la peur, l'avarice et la paranoïa de la toute-puissance policière. Décidément une grande saison
30, rue du Chevaleret 75013 Paris