Depuis cinq ans, Bérénice vit à Rome auprès de Titus et attend que celui-ci l’épouse ainsi qu’il avait promis de le faire après le décès de son père Vespasien. Mais Titus n’épousera pas Bérénice et se séparera d’elle.
Le drame de Bérénice est donc celui d’une désillusion suivie d’une résignation : quand elle comprendra qu’elle n’a pas été trompée, que son amour a été payé en retour et qu’elle se sait toujours aimée, elle acceptera la séparation définitive.
Que peut-on donc voir dans Bérénice aujourd’hui ? Bérénice se situe hors du tragique racinien. Elle vit sa passion amoureuse dans le réel et veut posséder l’objet de son amour. Elle sait qui elle est et où elle va.
Loin de sacrifier au tragique habituel du théâtre classique, Bérénice sauve les trois héros. Elle fait de ce drame emblématique de l’amour et du renoncement une tragédie abstraite, et de l’amour partagé, une raison supérieure de vivre. Du même coup, nos trois héros deviennent humains et proches de nous.
Décidément, s’il est ancré dans des contextes éloignés des réalités de notre siècle, ce théâtre dit classique n’en continue pas moins d’interroger notre temps et nous-mêmes : dans Bérénice, l’une des questions étant celle de la relation pouvoir-amour.
Il s’ensuit qu’il y a là un lien à faire entre le passé et notre présent et matière à permettre une approche contemporaine d’une histoire presque mythique ; on pourrait dire : transformer le regard compatissant qu’on a d’ordinaire pour Bérénice en étant sensible à sa démonstration d’amour.
Bérénice est une tragédie de l'amour dans laquelle triomphe le devoir et où la catastrophe n'existe que dans les âmes. Mais pouvons-nous aujourd'hui nous contenter de ce sacrifice de l'amour à la raison d'état ?
Titus ne mettra pas moins de cinq actes pour enfin " parler " une séparation qu'il sait inexorable et qui laissera nos personnages vaincus et épuisés.
Bérénice, rompant avec la tradition classique d’une mort envisagée jusque là comme le seul véritable moyen d’être uni à l’être aimé, apparaît comme un personnage dont nous retenons autant le pathétique que le caractère moderne.
Bérénice n'appartient pas en propre au XVIIè siècle : elle est aussi des siècles à venir qui ont vu la femme poser l'exigence d'une parole vraie et refuser qu’on lui impose ses choix.
Jean-Claude Nieto
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