Chorégraphe et directeur du Musée de la danse, Boris Charmatz soumet la danse à des contraintes formelles qui redéfinissent le champ de ses possibilités : avec manger, c’est le centre de gravité du mouvement qui se trouve déplacé ; comment mouvoir le corps non à partir des yeux, des membres, mais de la bouche ? Carrefour où se mélangent nourriture, voix, souffle, salive, la bouche est un lieu de circulation où le moi et l’altérité se rencontrent, s’échangent, s’ingèrent.
En saisissant cette métaphore comme moteur chorégraphique, Boris Charmatz balise un champ de l’oralité, qui rayonne de bouche en bouche jusqu’à envahir tout l’espace. Dans ce mouvement continu d’ingestion surgissent des mélodies mastiquées, des sculptures de voix, de nourriture et de peaux, esquissant un horizon collectif et sensuel. À la frontière de l’installation mouvante et de l’objet sonore indéterminé, manger est un « réel avalé », une utopie déglutie : une lente digestion du monde.
Gilles Amalvi
2, place du Châtelet 75004 Paris