J’ai un compagnonnage avec Noëlle Renaude. L’année dernière, j’assistai à une lecture de Ceux qui partent à l’aventure. Je lui demandai de m’envoyer le texte. Je le lus plusieurs fois avant de voir se dessiner une « ouverture ».
Noëlle sait interroger comme personne le théâtre comme matériau. Quand on travaille sur ses textes, on travaille au plus près de l’écriture. Pour moi, elle est un peu Marcel Proust au théâtre. Elle pousse le metteur en scène et les comédiens à s’interroger sur leur Art et à le remettre en travail. Noëlle réinvente la forme théâtre. Elle invoque toutes les formes de l’oralité qui se développe à partir de l’écrit.
A l’instant où l’écrit est en recul ainsi que la maîtrise de la langue à l’école et ailleurs, Noëlle Renaude anime l’écriture comme un vaste jeu de Lego, comme un matériau jouissif où le spectateur piste la narration, reconnaît ses principes, reconnaît le théâtre et devient intelligent de jouir de sa connaissance.
Dans Ceux qui partent à l’aventure comme dans toutes ses pièces, Noëlle manie un humour décapant et caustique. Ce n’est pas un théâtre qui s’encombre de spéculations intellectuelles. Noëlle Renaude réussit à combiner la technicité d’une écriture contemporaine exigeante avec la pertinence d’un propos issu de notre réel. Pour le metteur en scène, tout est possible, tout est bon pour animer les fictions de Noëlle d’une théâtralité vigoureuse.
La disparition du jeune homme prend aujourd’hui un sens amplifié. Son échec d’entrepreneur questionne le modèle social d’une société guidée par l’esprit d’entreprise. Le droit à l’échec n’existe plus. Surtout dans la tête de ses proches. Le bien matériel, qu’il soit capitalisé ou immobilisé, conditionne les rapports. « Prudence et tirelire » sera la maxime du père, en réponse sans doute à une autre maxime, non énoncée, et qui pourrait bien être « risque et entreprise ». Ainsi le développement sans garantie entraîne-t-il le repli sur soi. A son insu sans doute, le texte de Noëlle pose à sa manière des questions de société, au travers de la simple fiction.
Renaud-Marie Leblanc.
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