Un mot de l'auteur
Fellag, l'autopsieur
Portrait de Fellag
Morceaux Choisis
Musiciens
Marc Perrone (accordéon diatonique)
Jean-Luc Bernard (percussions)
Paco El Lobo (guitare et chant)
J’ai toujours écrit. Avec un crayon sur un cahier, avec mon cœur sur des planches, mon doigt sur le sable, mes yeux dans l’air du temps qui passe… Pour fixer des doutes, des peurs, des certitudes, des révoltes, pour faire peur à la mort, faire appel à la vie.
Ecrire m’a toujours semblé nécessaire pour décrypter l’inconnu afin de le rendre plus familier, donc moins angoissant. Chaque mot que je pose sur une feuille est pour moi comme le coup de piolet de l’archéologue qui essaie de dégager la roche pour se rapprocher de l’origine et du sens des choses.
Ecrire c’est mon placebo. Plus les mots se nouent, plus je me dénoue et mieux je me sens.
Ecrire c’est se donner en pâture aux émotions comme un acteur qui se livre à des milliers d’yeux qui le mangent.
Voici quelques textes qu’on pourrait appeler contes, récits ou nouvelles et qui peuvent basculer vers le théâtre si un acteur veut bien les pétrir avec son âme et son corps.
Fellag
Mohand Fellag est connu et reconnu comme un acteur d'exception, un comique caustique et grinçant qui triomphe sur les scènes françaises et internationales depuis de nombreuses années.
Il est conjointement un auteur de premier plan, "un autopsieur" magnifique. Son premier roman Rue des petites daurades, publié chez J.C. Latès en février 2001, puis C'est à Alger en sont les preuves éclatantes. Il écrit depuis toujours et ses mots gravés sur le papier sont la base, les armes et l'essence même de son art.
Suite à des lectures - mise en espace de plusieurs de ses récits inédits réalisées en sa compagnie au TILF dans le cadre des manifestations "Les Griots de l'an 2000" (juin 2000) et "Printemps Algérie" (mai 2001), j'ai décidé de créer un spectacle puisant dans la moisson de ses nombreuses nouvelles inédites en le priant de participer activement au projet. Il écrira de nouveaux textes aux vues d'improvisations et d'échanges de travail dans le cadre d'une résidence de création au sein de laquelle il nous fera également bénéficier de son regard aigu et sensible d'homme de théâtre.
Son écriture contient une saveur antique et burlesque qui éclaire et qui sauve.
Fellag s'inscrit dans la grande lignée d'une tradition toute latine et orientale, mariant subtilement l'oral à l'écrit. Il est ainsi, un digne fils spirituel de Dario Fo dans la grande tradition de la comédie italienne, des Mille et une nuits, du Salon de musique écrit et porté au cinéma par Satiajit Ray, de l'immense Toto, des pulchinella et autres arlequins de la comedia dell' arte et du théâtre napolitain.
Nous nous inspirerons, sans plagiat ni copie, de tous ces univers, en nous référant plus précisément au monde du varieta (music-hall populaire italien du début du XXème siècle) dont l'exemple éclatant est la rencontre de Toto et la Magnani.
Ces récits seront mis en jeu par un couple d'une comédienne et d'un comédien alternant solos et duos, soutenu par un trio de musiciens. La musique puisera dans les sonorités de la culture méditerranéenne et plus précisément de la tradition napolitaine.
Nous serons des conteurs, nous replongerons dans le théâtre des origines, mêlant métaphores, poésie et pan de vie. Nous répondrons ainsi au désir d'un public le plus large possible, d'entendre à travers nous, humbles passeurs d'histoires, qu'au commencement était le livre dont la voix proche fait bruisser la langue à l'oreille de l'enfant qui ne sait pas encore lire.
Hugues Massignat
Fellag : en arabe, bûcheron, coupeur de route. Au figuré : bandit de grand chemin
Mohand Saïd Fellag est né en 1950 dans le Djurdjura en Kabylie. Son père : une sorte de Raimu. Un homme lisse, sans tabou, qui a combattu dans les rangs de l'armée française pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il lui apprend l'impertinence. Sa mère : un éclat de rire. Elle rit trois ou quatre heures dans la journée.
Le 1er novembre 1954, Fellag a quatre ans lorsque commence la guerre de libération. A huit ans et demi, Fellag gagne Alger avec un de ses frères. Il a neuf ans lorsqu'il rentre à l'école primaire, à Cheraga. Il y apprend le français, et dans la rue l'arabe dialectal.
En 1968, il entre à l’école de théâtre d’Alger. Il lit Aristophane, Eschyle, Plaute, Euripide. "C'est rude ! dit-il. Avec des sentiments ! Et ça y va !" Il découvre le théâtre de l'absurde, Jarry, Becket, Ionesco…
De 1973 à 1977, il est engagé comme comédien dans différents théâtres en Algérie puis en France, au Canada et aux Etats-Unis.
En 1987, il crée son premier one man show Les Aventures de Tchop, puis en 1989, Cocktail Khorotov. En 1990, en réponse à la montée du mouvement islamique, il crée SOS Labès.
Le 12 juin, le FIS l'emporte haut la main aux élections municipales. L'activisme islamiste gagne tout le pays. 1991, Fellag crée Un Bateau pour l’Australie-Babor Australia (inspiré d’une rumeur selon laquelle un bateau en provenance d’Australie allait y emmener tous les chômeurs algériens, pour leur donner un emploi, un logement et un kangourou ! La rumeur prit une telle ampleur que des gens se présentèrent devant l'ambassade d'Australie pour demander un visa. Cette crédulité révèle la profondeur du désarroi). Le spectacle est joué plus de trois cent fois en Algérie.
En décembre, les élections législatives sont annulées après le premier tour emporté par le raz-de-marée islamiste. Les militaires constituent un comité de salut public pour justifier le coup de force. Le 29 juin 1992, le président Boudiaf est assassiné sur la scène de la maison de la culture d'Annaba. Fellag était programmé pour jouer Un bateau pour l'Australie sur la même scène, quatre jours après. Alors commence une ère de violence, avec une série d'assassinats parmi lesquels des artistes et des intellectuels.
En septembre 1993, Fellag est nommé directeur du théâtre de Bougie (théâtre d'Etat).
Début 1994, la violence atteint son paroxysme. Fellag entreprend la tournée d'Un bateau pour l'Australie, en Algérie et en Tunisie, puis à la fin de l'année il s'établit à Tunis et crée Délirium. En 1995, Fellag s’exile en France où il écrit Djurdjurassique bled, pièce comique analysant avec une verve étonnante la scène sociale algérienne, qui fait un triomphe à sa création au TILF, puis en tournée. Il tourne également dans Le Gone du Chaâba de Christophe Ruggia. En 1999, il réécrit Un Bateau pour l’Australie et entame une tournée dans toute la France. En février 2001, il publie son premier roman Rue des Petites Daurades suivi de C'est à Alger (2002). Son prochain roman L'Allumeur de rêves berbères sortira courant 2003.
Recette pour réussir un bon cous-cous
(…)
Voyons maintenant la composition et la préparation de la sauce et les viandes qui donnent un caractère particulier au cous-cous royal.
Dans le faux couscous royal parisien on allèche le client acquis à la cause des relations affectives entre les deux cultures franco-maghrébine, avec une cuisse de poulet nourri avec des machins aux hormones de croissance qui envoie généralement les cyclistes en prison. Vous, vous avez le cycliste dans l’assiette. Juste à côté un morceau de tremblante de mouton que vous n’arriverez jamais à attraper avec la fourchette. Il faut le surprendre et l’attraper au moment où il ne s’y attend pas… Faites par exemple semblant de parler avec votre voisin de table du troisième chapitre de « La critique de la raison pure » - en soutenant qu’il aurait dû précéder le deuxième ce qui rend sa compréhension ardue et la vision de Kant sur l’étude de la raison de son époque un peu légère - tout en ayant un œil sur les mouvements de la bête. Au moment où sa vigilance se relâche vous lui sautez dessus avec les deux mains et vous le coincez avant qu’il ne s’échappe.
Entre le poulet et le mouton sont joliment disposées quelques saucisses. Pour ceux qui ne le savent pas, je tiens à préciser que la merguez – à l’instar du gros saucisson appelé cashir parce qu’il est hallal – est une invention des juifs d’Algérie. Il symbolise les peurs ancestrales des circoncisions ratées. C’est pas par hasard si Freud n’est pas d’origine viking… D’où sa fameuse théorie : « Tout vient de là » qu’il a soutenu à l’université de Hansbruck et qui a fait scandale auprès de la communauté universitaire au moment où, de son cartable, il a sorti une saucisse sépharade qui lui a été envoyée de Tlemcen par le rabbin Bénichou pour étayer sa démonstration. Ces phobies, nous musulmans, les partageons avec eux. Nous pouvons dire que nous sommes unis par le « complexe de la merguez », et c’est dommage que le problème palestinien qui empoisonne les relations de cause à effet ne soit pas encore réglé car eux aussi ont droit de vivre le complexe de la merguez dans de bonnes conditions matérielles et psychologiques.
Le mur de Berlin
Des responsables d’un parti, connu pour ses idées avancées, ont écrit aux autorités allemandes pour leur proposer de racheter le Mur de Berlin pour le reconstruire ici en Algérie entre les hommes et les femmes. Les experts financiers disent que ce parti a fait une excellente affaire : pour le prix d’un mur ils vont en avoir deux. D’un côté le mur de la honte et de l’autre le mur des lamentations …
Allô !
La vie est une punition. Le corps est une prison. Notre passage sur terre, une épreuve. L’amour, la beauté, la joie, le plaisir, le bonheur, le désir, et la jouissance sont des illusions. La musique, le toucher, la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût ne sont que des tentations… »
J’ai peur, Samir. A force d’entendre les haut-parleurs hurler ces mots avec tant de rage et de conviction, je finis par croire que c’est la vérité. Que l’amour, l’attente, l’impatience de toi ne sont que des chimères. Je mène un combat sans fin pour les empêcher de m’envahir. Il m’arrive parfois de me dire que certaines de mes amies, ou les quelques voisines, qui se sont finalement résignées à se voiler, ont fait le bon choix. Elles ont perdu une idée de la liberté mais elles ont gagné la paix dans leur cœur. Même si elle est relative elle vaut peut-être mieux que ces tourments sans fin qui m’embrasent. Tu ne crois pas ?…
(…) Attends… Quelqu’un vient de se lever… (…) J’espère que ce n’est pas mon frère Karim… Il est malin comme un renard, celui-là. S’il me trouve au téléphone, ce sera ma fête. Je n’ose même pas y penser…
Nicolas
(…)
Nicolas mordille la chair émeraude en grognant de plaisir, la lèche à grands coups de langue, y pose goulûment les lèvres avec des petits bruits de succion hautement suggestifs ; puis il émet un râle abyssal, arrache d’un coup de dents le corps charnu de l’huître, et l’engloutit en gémissant, et pousse un cri qui se fraie difficilement un chemin à travers les galeries de son corps au summum d’une vibration à l’intensité incommensurable. La clientèle et le personnel sont tétanisés. Personne n’ose plus regarder personne. Reprenant ses esprits, Nicolas se lève et court vers la porte en renversant tout ce qui se trouve sur son chemin.
Après la représentation du lendemain, il revient tout seul acheter trois douzaines d’huîtres à emporter.
(…) et il remonte illico chez lui. Il ouvre la première avec fébrilité, la scrute, pousse un soupir déçu et la jette à la poubelle. Il en ouvre une deuxième, la scrute… Il ouvre, il jette… Il ouvre, il jette… Et ainsi de suite jusqu’à la dernière. Mais point d’huître miraculeuse comme la veille. Il allume une cigarette, en tire une bouffée et se rappelle qu’il y a un bon marchand d’huîtres au marché du boulevard Richard Lenoir.
Il descend les escaliers vitesse grand V, traverse la rue sans regarder devant, trois crissements de pneus et deux syncopes. Métro plus rapide que voiture. Pas de feux, pas de piétons. Gare de l’Est, Jacques
Bonsergent, République, Oberkampf, Richard Lenoir.
Sortie droite ? Non, sortie gauche. Distributeur automatique de billets de banque. Zwwwip… Bienvenue sur nos lignes. Tapez code… Tac tac tac tac ! Avec ou sans ticket ? Sans ticket ! Tac ! 100-200-300-400-500-600… Autre ? 500 ! Tac ! Zwwwip… Reprenez votre carte pour obtenir vos billets… Prenez vos bill… Nicolas arrache l’argent à la machine et fonce résolu droit devant jusqu’à l’étal du poissonnier.
211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris