Cher Ulysse, ta méditerranée a disparu. Ton ciel aujourd'hui est parcouru de nuages noir pétrole, les dieux s'y entretuent.
La blancheur des années 80, immaculée et espérante, s'est grisée.
Il y a quelque chose de fané.
Tu es devenu Bloom, le juif errant de Joyce.
Tu es un Ulysse urbanisé dans les soubassements de la grisaille d’Homère.
Ton drapeau blanc est levé comme un dernier sourire, j’allais écrire soupir.
Tu navigues en boucle, et sur les rives d'Ithaque on n'entend plus qu'un blues.
Et pourtant tu restes encore tout près.
Et pourtant tu nous regardes.
Et pourtant tu nous redanses.
Jean-Claude Gallotta, janvier 2007
À la création, en 1981, Ulysse se présentait comme « une activité continue d’une heure trente ». Ce ballet écrivait ainsi une des premières pages de la nouvelle chorégraphie française. Jean-Claude Gallotta y traçait blanc sur blanc – décors, sol, costumes – une danse en forme de rupture-hommage avec le modèle de référence américain.
La pièce fut reprise en 1993, la revoici en 2007. Changée ? Forcément. Immuable ? Bien sûr. Toujours la même et inévitablement autre. Parce qu’en un quart de siècle, le monde a tourné dix mille fois sur lui-même, et pas toujours rond, et souvent ivre de ses propres abjections. La danse ne peut plus y répondre par sa seule beauté, par sa seule innocence.
Déjà, en 2001, Jean-Claude Gallotta avait offert à Ulysse son pendant au noir avec Nosferatu, à l’Opéra de Paris. Son Ulysse a donc traversé les deux dernières décennies comme l'Ulysse d'Homère a traversé les mers, comme l'Ulysse de Joyce a traversé sa journée du 16 juin 1904. De ces odyssées, aujourd'hui, le parchemin chorégraphique porte forcément la trace. Quelques lambeaux, quelques souvenirs, quelques plumes sont accrochés au manteau de l'homme.
« Cher Ulysse, » dit Jean-Claude Gallotta. Sa chorégraphie est d'abord une missive. Mais dans cette missive-là, il n'est pas dit que le monde ne reconnaît pas l'homme qui revient, il est dit au contraire que c'est le revenant qui ne reconnaît pas le monde, où il ne retrouve pas la sirène qui lui servait de guide.
Cher Ulysse, cher Jean-Claude, ton irruption fit grand bruit en 1981. Aujourd'hui, en te voyant entrer côté cour, plus fragile, plus secret, sur la scène aux blancheurs altérées, aux sonorités plus tourmentées, nous nous sommes dit que le jour était venu de nos reconnaissailles.
Claude-Henri Buffard
1, Place du Trocadéro 75016 Paris