Constellation-Le Marin

Saint-Denis (93)
du 9 au 21 mars 2004
1H30

Constellation-Le Marin

Ce sont trois femmes qui veillent. L'une rêve d'un marin naufragé, lequel s'inventerait une patrie de rêve pour ne pas trop souffrir d'avoir perdu la sienne, la vraie... Le Marin de Fernando Pessoa est un drame atemporel, désincarné, sans action. Le grand poète portugais y interroge le statut de la parole et de la réalité.

« La vie, il ne faut pas l’effleurer, pas même avec l’ourlet de nos robes. »

Le spectacle
Fernando Pessoa (1888-1935)

Extrait

Entretien avec Philippe Eustachon

Le Marin, de Fernando Pessoa (1888-1935), c'est un drame atemporel, désincarné, sans action. Le grand poète portugais y interroge le statut de la parole et de la réalité : " Mes paroles d'à présent, à peine les aurai-je dites, appartiendront aussitôt au passé, elles resteront hors de moi, je ne sais où, raidies et fatales. " Ce sont trois femmes qui veillent. L'une rêve d'un marin naufragé, lequel s'inventerait une patrie de rêve pour ne pas trop souffrir d'avoir perdu la sienne, la vraie...

C'est à partir des questions essentielles soulevées par Le Marin (la mort, l'ailleurs, notamment) que nous avons composé autour de ce texte - avec Yvett Rotscheid, qui signe la scénographie et les costumes - une "constellation", à l'aide de la parole vivante des interprètes, qui sont sept, soit six femmes et un homme. Chez Pessoa, il y a trois veilleuses. Chez nous, il y en a six. D'où un jeu constant sur la parole unique du poète, répercutée par les six comédiennes, auxquelles il a été également demandé de se définir personnellement, confrontées qu'elles sont à la problématique du poème, sur leur propre passé, présent, avenir.

C'est là plus que de l'improvisation, car il s'agit de retour sur soi et d'une profonde implication de chacune dans l'ensemble. C'est encore une manière de mesurer finement une oralité d'aujourd'hui à l'admirable rhétorique classique écrite par Pessoa. Un film vidéo, fait de mots, de phrases et de textes sera projeté. Constellation-Le Marin est conçu selon le glissement du jour à la nuit. Cela ne symbolise-t-il pas le passage de l'état de veille à celui de sommeil, propice au rêve ?

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Il naît à Lisbonne, en 1888. Dès son enfance, il devient orphelin de père. Sa mère se remarie ; en 1898, elle se rend, avec ses enfants, à Durban, en Afrique du Sud, où son second mari avait été envoyé comme consul du Portugal. […] En 1905, alors qu'il est sur le point d'entrer à l'université du Cap, il doit rentrer au pays. Après son retour d'Afrique, il ne quitte plus Lisbonne. […]

Anglomane, myope, courtois, timide, vêtu de couleurs sombres, réticent et familier, cosmopolite prêchant le nationalisme, investigateur solennel des choses futiles, humoriste qui ne sourit jamais et nous glace le sang, inventeur d'autres poètes et destructeur de lui-même, auteur de paradoxes clairs comme l'eau et, comme elle, vertigineux : feindre c'est se connaître, mystérieux sans cultiver le mystère, mystérieux comme la lune à midi, fantôme taciturne du midi portugais, qui est Pessoa ?

Pierre Hourcade, qui le connut à la fin de sa vie, écrit ceci : « Jamais, en prenant congé de lui, je n'ai osé tourner la tête ; j'avais peur de le voir s'évanouir, se dissoudre dans l'air ». Autre chose ? Il mourut en 1935, à Lisbonne, d'une colique hépatique. Il laissa deux plaquettes de poèmes en anglais, un mince volume de vers portugais et une malle remplie de manuscrits. Tout n'a pas encore été publié.

Octavio Paz, Un inconnu de lui-même : Fernando Pessoa
Traduction française de Jean-Claude Masson, Éditions Gallimard

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"Je rêvais d'un marin qui se serait perdu sur une île lointaine. Sur cette île, il n'y avait que quelques palmiers, tout raides, des oiseaux tournoyaient autour… Je n'en ai pas vu se poser… Depuis qu'il s'était sauvé du naufrage, le marin vivait là… Comme il n'avait aucun moyen de revenir dans sa patrie et comme il avait mal chaque fois qu'il s'en souvenait, il se mit à rêver à une patrie qu'il n'aurait jamais eue ; il se mit à faire qu'une autre patrie ait été la sienne, une autre sorte de pays, avec d'autres sortes de paysages, et d'autres gens, et une autre façon de marcher dans les rues et de se pencher aux fenêtres… À tout instant il construisait en rêve cette fausse patrie, et il ne cessait jamais de rêver, le jour sous l'ombre mince des grands palmiers, qui se découpait, ourlée de pointes, sur le sol sablonneux et chaud ; la nuit, allongé sur la plage, sur le dos, sans voir les étoiles.(…)

Pendant des années et des années, jour après jour, le marin construisait en un rêve incessant son nouveau pays natal… Tous les jours il ajoutait une pierre de rêve à cet édifice impossible… Il n'allait pas tarder à avoir un pays qu'il avait tant de fois parcouru. Il se rappelait déjà avoir longé ses côtes pendant des milliers d'heures. Il savait de quelle couleur avaient coutume d'être les crépuscules dans un petit golfe du nord, et comme il était doux d'accoster, en pleine nuit, et l'âme appuyée sur le murmure de l'eau que fendait le navire, à un grand port du sud où il était passé autrefois, heureux peut-être de ce qu'il supposait de sa jeunesse…

(…) Au début, il créa les paysages ; ensuite il créa les villes ; puis il créa les rues et les chemins, les uns après les autres, les ciselant dans la matière de son âme - une à une les rues, quartier après quartier, jusqu'aux murs des quais, où par la suite il construisit des ports… Une à une les rues, et les gens qui les parcouraient et qui regardaient au-dessus d'elles de leurs fenêtres… Il en vint à connaître certaines de ces personnes, comme s'il les reconnaissait à peine… Il connaissait leurs vies passées et leurs conversations, et tout cela c'était tout simplement comme quand on rêve des paysages et que l'on commence à les voir…"

Fernando Pessoa, Le Marin
Traduction Bernard Sesé, Editions José Corti

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Depuis le temps qu’ensemble ils parcourent le monde et courent les aventures artistiques sous différentes latitudes, ils doivent en savoir long sur l’exil et les patries imaginaires chers à Pessoa : Yvett Rotscheid, scénographe, et Philippe Eustachon, metteur en scène et acteur ont donc imaginé ce Marin, hanté de paysages disparus et peuplé de chimères, à la façon d’un voyage. Un drame statique et néanmoins nomade, dont Philippe Eustachon, fraîchement rentré du Mexique où il a mis en scène un texte de Mario Bellatin, livre ici quelques balises, avant la reprise des répétitions à Toulouse.

Philippe Eustachon : L’histoire du Marin, c’est celle d’un homme qui a échoué sur une île déserte et qui se met à rêver d’une patrie imaginaire, à tel point qu’il en oublie sa propre patrie. Ce texte de jeunesse écrit en une seule nuit dans une sorte de transe est sa première pièce achevée et la seule éditée de son vivant. Le thème de l’exil y croise celui de l’imaginaire, et c’est ce qui m’intéresse. C’est le cœur du projet. Je me suis souvenu de ce texte en rentrant en France, à une époque où ma vie personnelle était assez nomade.

Stéphane Boitel : Vous avez en effet beaucoup voyagé et vécu de nombreuses expériences artistiques et humaines à l’étranger, notamment en Amérique Latine.
Ph. E. : En 1997, Yvett Rotscheid et moi sommes partis en Colombie où nous avons travaillé durant 18 mois. Nous y avons réalisé quatre ateliers dans quatre villes différentes et un spectacle pour le Festival ibéro-américain de Bogota, avec des groupes constitués d’acteurs professionnels et de personnalités fortes : une prostituée, un sicaire, un avocat, un ouvrier, des enfants de la rue. Pour que des rencontres puissent exister, déclencher des situations fortes et poser des questions à travers le théâtre, en travaillant à partir de leurs expériences. Ce qui a produit un véritable travail d’écriture, dans l’acception la plus ouverte du mot écriture : c’est-à-dire, pas seulement un travail sur une langue ou sur un style mais aussi un travail sur l’espace, avec les corps, la matière et les sons aussi. Cette expérience, nous l'avons développée et enrichie au Vietnam puis au Mexique, tout récemment.

S.B. : Constellation-Le Marin s’inscrit dans le prolongement de ces expériences précédentes.
Ph. E. : Ce projet est une suite logique. Il prend comme point de départ un texte écrit qui pose la question du langage et de sa nécessité, qui ouvre des portes vers l'imaginaire. Il induit l'ensemble de la démarche car il devient source vive et puits à inventions. Nous travaillons sur des paroles improvisées par les comédiens, sur ce qu'on pourrait appeler de "l’écriture brute", pour sortir des situations de drame et de conflit qui sont souvent traditionnellement représentées au théâtre. C'est une écriture en mouvement, attachée à une oralité, à une corporalité, qui implique ceux qui la portent et ceux qui la traversent dans une expérience pas forcément conventionnelle.

S.B. : Cela a-t-il modifié ta propre vision du texte de Pessoa ?
Ph. E. : Le travail avec les comédiens révèle que le texte va bien au-delà d’un simple rêve. Nous cherchons donc la manière de représenter ce théâtre sans drame. J’ai aujourd'hui la certitude que la pièce demande un langage très particulier. Je vais garder le travail que nous avons fait sur Le Marin à l’état de traces et transformer toute cette matière en une chose plus éclatée, plus fragmentée, plus ouverte. J'ai acheté dans un marché de Mexico une centaine de masques que je veux utiliser. Nous avons aussi enregistré une série d'entretiens avec les comédiens à partir des questions que pose le texte de Pessoa. D'une manière générale, je veux n’utiliser qu’en partie la langue de Pessoa et plutôt m'approprier ses questionnements de poète pour les traduire théâtralement dans une autre forme de langage. Nous avons imaginé avec Yvett Rotscheid, un dispositif scénique qui mettra l'accent sur les apparitions et les disparitions. Il y a plusieurs strates superposées : l’univers de Pessoa avec son texte (Le Marin), et tout ce qui a été et sera inventé par les comédiens, qui serait comme un regard subjectif sur ce texte, une interprétation (Constellation).

S.B. : Constellation avait d’abord été imaginé comme une sorte de préambule au Marin. Ces deux parties seront finalement mêlées.
Ph. E. : Constellation est née du texte de Pessoa, il en constituait en effet d’abord une sorte de première partie. Je souhaite aujourd'hui lier les deux, ne plus travailler sur deux parties successives mais sur deux modes distincts, deux formes mêlées. Dans tous les écrits de Pessoa des logiques de contradiction, d’opposition sont très présentes : l’affirmation d’une chose et sa destruction totale l’instant d’après. C’est une sorte de poétique des contraires. Je voudrais recouvrer quelque chose de cette parole en mouvement dans le tissage des formes : celle de Pessoa, assez abstraite, qui demande plus de retenue et plus d'intellect, et celle de la parole des comédiens, contemporaine, directe, moins codée, plus intime.

S.B. : Ce processus de création, très ouvert à la subjectivité et à la parole des comédiens, ne risque-t-il pas au final de menacer la cohérence du spectacle ?
Ph. E. : Cela dépend de ce que l'on entend par cohérence. Je ne suis pas à la recherche d'une cohérence, comme je ne suis pas dans le désir de raconter une histoire narrative. C’est l’expérience partagée sur ce texte, le fait d’avoir cherché ensemble différentes pistes au regard du même texte qui me porte et qui me permet d'ouvrir une voie et construire le spectacle. C’est un voyage, une expérience qui vécue au sein de l’équipe, devra être partagé par le public. Je crois que c’est dans cette expérience commune que le travail trouvera une forme de cohérence.

Entretien réalisé par Stéphane Boitel,
Théâtre Garonne, Toulouse
 automne 2003

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