Fernando Pessoa (1888-1935) publia à travers de nombreux pseudonymes une œuvre lucide et somptueuse qui exerça après sa mort une grande influence sur le lyrisme portugais. Pessoa dont le nom signifie " personne " au sens de " quelqu'un " n'était pas un menteur. Son œuvre est une fable, une fiction. Il ne fut pas un poète, mais plusieurs, tous réels et aucun vraiment existant, tous existants et aucun vraiment réel.
Les poètes n’ont pas de biographie : c’est leur oeuvre même. Pessoa, qui mit toujours en doute la réalité de ce monde, approuverait sans hésiter qu’oubliant les incidents et les accidents de son existence terrestre, on interroge directement ses poèmes. Rien, dans sa vie, n’est surprenant – rien, sinon ses poèmes.
Je ne crois pas que son « cas », s’il faut employer ce terme déplaisant, les explique ; je crois qu’à la lumière de ses poèmes, son « cas » bien plutôt disparaît. Au demeurant, son secret est inscrit dans son nom : Pessoa veut dire personne en portugais et vient de persona, qui désignait le masque des acteurs latins. Masque, personnage de fiction, personne : Pessoa. Son histoire pourrait se réduire au passage de l’irréalité de sa vie quotidienne à la réalité de ses fictions. On sait que celles-ci furent les poètes Alberto Caeiro, Alvaro de Campos, Ricardo Reis et surtout Fernando Pessoa lui-même. S’il n’est pas inutile de rappeler les faits les plus saillants de sa vie, c’est donc seulement en sachant bien qu’il s’agit là des traces d’une ombre. Le vrai Pessoa est autre.
Il naît à Lisbonne, en 1888. Orphelin de père, dès l’enfance. Sa mère, remariée, s’établit en 1896 avec ses enfants à Durban, en Afrique du Sud, où son second mari avait été nommé consul du Portugal. Éducation anglaise. Chez ce poète bilingue, l’influence anglo-saxonne sera constante dans la pensée et dans l’oeuvre. Sur le point d’entrer à l’Université du Cap, en 1905, il doit regagner le Portugal. Il quitte, en 1907, la Faculté des Lettres de Lisbonne et monte une imprimerie. C’est un échec, mot qui reviendra fréquemment dans sa vie. Il travaille ensuite comme correspondente estrangeiro, c’est-à-dire rédacteur ambulant de lettres commerciales en anglais et français, modeste emploi qui, durant presque toute sa vie, lui permettra de subsister. Sans doute, en quelque occasion, les portes de la carrière universitaire s’ouvrent-elles avec discrétion devant lui ; avec l’orgueil des timides, il repousse l’offre.
J’ai écrit discrétion et orgueil ; peut-être aurais-je dû dire méfiance et réalisme : en 1932, il brigue le poste d’archiviste dans une bibliothèque, mais sans succès. Nulle révolte, pourtant, dans sa vie ; tout au plus une modestie proche du dédain.
Après son retour d’Afrique, il ne quitte plus Lisbonne. Il habite d’abord une vieille maison, avec une tante célibataire et une grand-mère folle ; puis avec une autre tante ; un moment avec sa mère, veuve à nouveau ; le reste du temps, à des adresses incertaines. Il voit les amis dans la rue et au café. Buveur solitaire dans les tavernes et les auberges du vieux quartier. D’autres détails ?
En 1916, il projette de s’établir comme astrologue. L’occultisme a ses risques et Pessoa se voit un jour impliqué dans une opération policière dirigée contre le mage et « sataniste » anglais E.A. Aleister Crowley, de passage à Lisbonne en quête d’adeptes pour son ordre mystico-érotique. En 1920, il s’éprend ou croit s’éprendre d’une employée de commerce. La liaison ne dure pas. « Mon destin, écrit-il dans la lettre de rupture, relève d’une autre Loi, dont vous ne soupçonnez pas même l’existence… » On ne sait rien d’autres amours. Il y a un courant d’homosexualité douloureuse dans l’Ode maritime et Pour saluer Whitman, grandes compositions qui font penser à celles que donnera, quinze ans plus tard, le Garcia Lorca de Poète à New York.
Mais Alvaro de Campos, professionnel de la provocation, n’épuise pas Pessoa, qui porte en lui d’autres poètes. Pessoa est un chaste et toutes ses passions sont imaginaires ; ou plutôt, son grand vice est l’imagination. C’est pourquoi sa vie est sans histoire. Et il est un autre Pessoa qui n’appartient ni à la vie quotidienne ni à la littérature, c’est le disciple, l’initié. De celui-là on ne peut ni ne doit rien dire. Y eut-il révélation, illusion, autosuggestion ? Tout ensemble, peut-être. À la façon du maître d’un de ses sonnets hermétiques, Pessoa « sait et garde silence ».
Anglomane, myope, affable, discret, vêtu de noir, réticent et familier, cosmopolite qui prêche le nationalisme, investigateur solennel de choses futiles, humoriste au ton glacé, inventeur d’autres poètes et destructeur de soi, auteur de paradoxes limpides comme de l’eau et vertigineux comme elle : feindre, c’est se connaître, mystérieux qui ne cultive pas le mystère, mystérieux comme la lune de midi, taciturne chimère du midi portugais, qui est Pessoa ?
Pierre Hourcade, qui le connut à la fin de sa vie, écrit qu’à chaque fois qu’il prenait congé de lui, jamais il n’osait tourner la tête, de peur de le voir s’évanouir et comme se dissoudre dans l’air. Ai-je oublié quelque chose ? Il mourut à Lisbonne, en 1935, d’une affection hépatique. Il laissait deux plaquettes de poèmes en anglais, un mince recueil de vers portugais et une malle pleine de manuscrits. La publication intégrale de ses oeuvres n’est pas encore achevée.
Octavio Paz, Fernando Pessoa, l’inconnu personnel, Éditions Fata Morgana, 1998.
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