Cromwell

du 25 au 28 novembre 2002

Cromwell

CLASSIQUE Terminé

« Il y a beaucoup de questions sociales dans les questions littéraires et toute oeuvre est une action… Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire… Le drame sans sortir des limites impartiales de l’Art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine. » Victor Hugo, 12 février 1833

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« Il y a beaucoup de questions sociales dans les questions littéraires et toute oeuvre est une action… Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire… Le drame sans sortir des limites impartiales de l’Art, a une mission nationale, une mission sociale, une mission humaine. » Victor Hugo, 12 février 1833

Au-delà de la commémoration du bicentenaire de la naissance de Victor Hugo à laquelle nous participons avec cette oeuvre forte, l’homme Hugo nous intéresse. Figure populaire par excellence, Hugo reste cependant peu connu. Créer Cromwell (seulement 2 adaptations en 1956 et 1971, jamais d’intégrale) est pour nous une contribution à la popularité et à l’exploration de son théâtre.

Il y a dans ce théâtre la mise en oeuvre révolutionnaire de la liberté. Liberté dans le fond, liberté dans la forme.

Hugo dénonce ainsi toutes les oppressions. Il démocratise le théâtre, il donne vie au peuple. Pour cela il invente la théorie des contraires, met en oeuvre le grotesque, libère l’alexandrin...

Le théâtre de Hugo, dans sa quête d’universel et d’identitaire, devient un symbole du monde, un théâtre total.

Toutes les forces de ce théâtre parcourent Cromwell.

Drame de la conscience, Cromwell est une oeuvre où, au plus profond, s’affrontent liberté, fatalité, providence. 

Drame de la vie, Cromwell est une magnifique réflexion politique, à savoir quelle est la légitimité de tout pouvoir.

Pièce incontournable par la beauté de son style, la force de son action et la majesté de son charisme, Cromwell émeut, bouleverse et questionne. Nous n’avons d’autre projet.

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Cromwell (1599 - 1658) a 58 ans, il est Lord Protecteur d’Angleterre depuis 4 ans. Chargé du gouvernement, il a institué la République d’Angleterre en 1649 après la décapitation du roi Charles 1er. Il ambitionne, en cette année 1657, d’être roi mais il hésite encore à rétablir cette royauté qu’il fit abolir. Le Parlement et le Conseil privé le poussent à devenir monarque ; cependant quelques voix solitaires, le poète Milton, le républicain Carr, désapprouvent fortement et le lui font savoir ; mais surtout, farouchement opposés à ce sacre, les Puritains (ex-partisans de Cromwell qui lui reprochent de trahir ce pourquoi il a gouverné et de vouloir détourner le pouvoir à son profit) et les Cavaliers (partisans de Charles II, fils de Charles Ier, héritier légitime du trône et en exil à Cologne), ennemis hier, s’unissent aujourd’hui pour assassiner demain, Cromwell-roi. Cependant les Cavaliers veulent devancer les Puritains et enlever Cromwell.

Cromwell averti par ses agents et par une succession de quiproquos connaît les deux complots (auxquels il croit que son fils Richard participe) et les déjoue. On apprête alors comme prévu la grande salle de Westminster pour le couronnement mais au dernier moment Cromwell refuse la couronne et dans un geste de clémence gracie les conjurés… 

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Cromwell, « drame vertigineux où évoluent plus de soixante-dix personnages, ayant chacun son âme et son visage » (François Brousse), est un long poème de 6413 vers. Nous avons réduit la pièce pour qu’elle permette ainsi, par son accessibilité - au moins dans sa durée -, à un plus large public de découvrir ce texte ignoré et d’illustrer ainsi ce mot de Hugo à propos d’art : « Tout à tous ».

Nous avons condensé la pièce en veillant à préserver d’abord et bien sûr l’unité d’action - d’intérêt dirait Hugo-, l’équilibre dramaturgique, la structure de la pièce et toute la thématique hugolienne tant sur le fond que sur la forme. Très peu d’alexandrins ont été modifiés, l’alternance des rimes féminines et masculines a été maintenue.

Une deuxième adaptation plus libre a été faite pour un travail sur plusieurs mois avec une trentaine de collégiens. Travail qui sera présenté une dizaine de fois en divers lieux en juin 2002 (dossier disponible sur demande).

Le plus grand défi que propose à la culture, ce bi-centenaire de Hugo, c’est la création - enfin au bout de presque deux siècles - de cette oeuvre majeure qu’est le chef-d'oeuvre de sa jeunesse, ce Cromwell qui fut lu par les contemporains plus encore que la célèbre Préface, monument par sa force, par la beauté toute neuve de son écriture, mais par son gigantisme aussi qui le rend si difficile. Difficile par les dimensions (mais le théâtre contemporain connaît les représentations longues) et surtout par le nombre des personnages, et la présence des figurants (le peuple) ; c'est le point qui rend les représentations d'une telle oeuvre onéreuses ; or la nouveauté de Hugo est justement d'introduire les "masses", de montrer les hommes dans le spectacle.

L’adaptation d'une telle œuvre est donc une gageure, gageure qui me paraît admirablement tenue par l'équipe formée par Loïc Le Dauphin et Thierry Durand : respect de l'œuvre, jusque dans la versification, respect des personnages, de leur importance relative, clarté dans les coupures qui permettent une lecture vivante de l'action, respect de l'importance du personnage principal et de la présence du grotesque.

On ne peut que souhaiter qu'un pareil travail apparaisse sur scène dans les conditions que mérite sa valeur.

Anne Ubersfeld

Professeur émérite à l’Université Paris III, Anne Ubersfeld est spécialiste et théoricienne du théâtre hugolien. Elle a publié de nombreux articles dont l’Introduction à l’édition de Cromwell publié chez Flammarion. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages dont tout particulièrement : Le Roi et le Bouffon. Etude sur le théâtre de Hugo de 1830 à 1839, éditions José Corti.

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Cromwell est une pièce réputée injouable.

C’est l’une des raisons pour lesquelles Loïc Le Dauphin et Thierry Durand ont décidé de l’adapter. Adaptation d’une qualité admirable qui respecte la version originale de cette oeuvre grandiose. J’en profite pour les en féliciter.

Mon souhait est d’offrir au spectateur un rêve éveillé.

L’éphémère est le pilier de l’art théâtral. Voilà pourquoi je n’installe jamais les comédiens dans un confort qui aurait tendance à leur faire croire qu’ils y sont arrivés. Nous ne sommes jamais arrivés. Je préfère l’instabilité car elle permet au fur et à mesure des répétitions d’acquérir une liberté de jeu, elle met en relief les forces et les faiblesses des personnages, ainsi que celles des comédiens. Elle conduit au vrai, à l’essentiel. Au théâtre, rien n’est figé, rien n’est définitif. Une vigilance constante est nécessaire car je ne connais aucune ‘’recette’’ permettant de maîtriser tous les paramètres nécessaires à une parfaite représentation. La perfection naît de ce qui n’était pas prévu. Bien au-delà du texte.

Ce qui m’épanouit, c’est de chercher, de trouver, d’abandonner, faire, défaire, refaire. Je suscite la curiosité des comédiens en leur en disant le moins possible : « Le texte est écrit, votre rôle n’est pas de l’expliquer, mais de l’exprimer par votre corps, par votre voix, par vos émotions. Ce que je vous demande, c’est de vous engager personnellement, de mettre vos émotions au service des personnages. Ce qui m’intéresse, c’est ce qui n’est pas dit, c’est ce qui vous échappe. Ne soyez pas rationnels, ouvrez les vannes, soyez généreux, donnez-vous la possibilité d’offrir une gamme d’émotions la plus large possible. Vous parviendrez ainsi à vous faire comprendre par la magie d’une représentation quasi hypnotique. Maîtrisez votre peur afin de mettre en lumière vos zones d’ombre (et celles de vos personnages) encore inexplorées. Chassez l’ennui, ne pensez pas à ce que vous venez de faire, ni à ce qu’il vous reste à accomplir, soyez présents, toujours ».

Cette base de travail nous lie directement au fil conducteur de cette tragi-comédie : L’Affrontement de soi. Et s’il faut commenter l’impalpable, je dirais que ma vision de Cromwell est celle d’un homme égaré, obsédé, hanté. Un homme meurtri par une tension intérieure qui l’empêche d’être libre. Cette tension est commune à tous les personnages.

Dans cet espace intemporel où errent des âmes fantômes, seuls les fous sont libres.

La réussite de ce projet monumental exige que nous y allions tous dans le « feeling » pour nous donner l’opportunité d’être justes. Lier le sublime et le grotesque, l’émotion et l’artifice.

Donner du théâtre total par un spectacle total.

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Je me base sur une mise en scène sobre et dépouillée, privilégiant ce qui se passe sur le plateau, et non sur ce qui peut le rendre artificiellement beau.

La justesse et la rigueur du jeu priment et sans cette matière vivante qu’est le comédien, il n’y a pas de mise en scène possible. Cela ne veut pas dire qu’elle sera inexistante. Tout au contraire. Il y a dans ma démarche la volonté d’un travail minutieux, d’une mécanique précise et indispensable aux sensations échangées entre l’acteur et le spectateur. Ces bases permettent une totale liberté de jeu. Une mise à nue des émotions qui aboutit à la réalisation de cinq tableaux. Un spectacle visuel où dominent les couleurs blanches, rouges et noires.

Pour commencer, un plateau vide. Une introduction oppressante où tous les acteurs masqués (mis à part Lord Ormond) proclament Cromwell Roi.

Le premier tableau représente les protagonistes figés, toujours masqués, face public, dans une semi-obscurité. Un voile en fond de scène, opaque, laisse apparaître par moments, un tableau vivant. Au fur et à mesure de leurs interventions, les acteurs tombent le masque et le complot se trame.

Le deuxième tableau présente une salle des banquets lumineuse aménagée d’un mobilier laissé à l’abandon. Un tableau impressionniste où le glauque et le lumineux se mélangent. La solitude de Cromwell est mise en avant par l’intervention déchirée de sa femme Elisabeth. Une ambiance familiale morbide mêlée à l’éclat de la trahison incarnée entre autres par le pétillant Rochester. La lumière se voile aux interventions de Manasse et de Carr, puis devient ténébreuse lors de la confrontation entre Cromwell et son fils Richard. 

Le troisième tableau s’immisce progressivement dans le sombre et parallèlement dans le grotesque. Le décor est quasiment identique au tableau précédent. Cromwell, conscient des complots qui se trament, nous dévoile sa ‘’vision’’ dans un état de transe. La mise à nu est à son plus haut niveau. La sobriété est de rigueur, la lumière froide, la révélation hypnotisante. La mort rôde. Ambiance…

Le tableau quatre se trame dans l’obscurité, les comploteurs sont masqués, cagoulés.

Cromwell se déguise de manière grotesque. Les comploteurs armés de lampes torches, révèlent des expressions difformes, des visages méconnaissables. Le ridicule s’allie au grave. Chacun se dévoile derrière un masque pathétique. Le complot échoue. Cromwell triomphe. Les fous rient. La nuit s’impose.

Le dernier tableau se dessine sous nos yeux. Les ouvriers s’activent à installer le trône et à le rendre sublime pour masquer la farce.

En ce qui concerne la suite, je souhaite en révéler le moins possible, non pas pour jouer la carte du mystère, mais pour me laisser une liberté créatrice. Comme je l’ai dit plus haut, rien n’est figé, alors l’imaginaire sera ma conclusion.

Voilà maintenant six mois que les répétitions ont commencé. Ces notes en sont le condensé. Le final résultera de ces heures passées à « comploter » entre nous sur ce spectacle.

Alors, après ces intimes révélations, place à l’éphémère. Place au pouvoir d’une troupe qui marche dans la même direction, qui croit en ce spectacle et qui se donne les moyens de parvenir au sublime.

Thierry Devaye
Février 2002

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Le plateau étant dépourvu d’artifices, la scénographie s’exprime par des ambiances. Cromwell est un spectacle visuel : prédominance de rouge, d’orange, de bleu, effets d’ombres, plein feux. Tantôt tamisé, tantôt éblouissante, la lumière est le second souffle de l’action, elle suggère au spectateur un rapport à l’espace et au temps. C’est une porte ouverte à l’imaginaire.

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Un espace dépouillé. Un lieu sans éléments décoratifs qui expose et révèle des personnages confrontés directement aux événements, à leurs passions, à leurs débats de conscience. Un espace nu qui met en lumière les rapports de force, de séduction et de passion. Il me paraît intéressant de suggérer : dépourvus d’artifices, l’échange acteur-spectateur est plus vif, plus direct, plus sincère. L’émotion naît de cet échange.

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Intemporels, ils n’ont pas pour charge de séduire l’œil, mais de le convaincre. Trois couleurs prédominantes : blanc, rouge, noir. Couleurs plus vives pour Rochester (déguisé) et Dame Guggligoy. Utilisation de masques.

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Un thème oppressant lié aux obsessions de Cromwell. Un thème léger lié au grotesque symbolisé (entre autres) par les fous. Un thème nostalgique allusif à la famille de Cromwell (Elisabeth Bourchier, Lady Francis).

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