Dans la lignée du meilleur théâtre documentaire, Décris-ravage mêle savoir et fiction pour démêler l’indémêlable Question de la Palestine, en un feuilleton de 4 épisodes couvrant la période historique de 1799 à 1920.
Sous-titré « spectacle documentaire consacré à la Question de la Palestine depuis 1799 », Décris-ravage pourrait être une conférence très sérieuse sur un sujet très tragique.
Dans la lignée du meilleur théâtre documentaire, Décris-ravage mêle savoir et fiction en un feuilleton de 4 épisodes couvrant la période historique de 1799 à 1920. Une vraie fausse conférence érudite et critique autour de la question de la Palestine. Sans raccourcis simplificateurs et sans tabous, une réflexion sur le processus de constitution et de diffusion des récits de l’Histoire. Une fresque remuante qui embrasse siècles et continents.
Souvent Adeline Rosenstein est derrière son pupitre, occupée à nous communiquer ce qu’elle a pu rassembler et ce qu’elle a pu comprendre : faits, cartes, arguments. Mais souvent aussi, elle laisse la scène à ses acteurs pour des saynètes, issues entre autres de pièces arabes inconnues ici, qui reconstruisent autrement dans l’espace les questions que pose et se pose la conférencière. Nous sommes donc deux fois les témoins de ce long conflit : en tant que citoyens et en tant que spectateurs.
Décris-ravage a reçu le prix de la « Meilleure Découverte » aux prix de la critique 2014 en Belgique.
« « décris-ravage » est un spectacle à la fois érudit, impertinent et ludique, une sorte de détournement du théâtre documentaire dans la joie du savoir. » Jean-Pierre Thibaudat, Mediapart, 30 mars 2016
Depuis 2009, je mène des entretiens avec des artistes occidentaux d’âges différents ayant vécu quelques mois en Israël ou en Palestine à différentes époques. Le projet Décris-Ravage est né de l’envie de confronter ces entretiens à des extraits de pièces de théâtre historiques en arabe traitant des mêmes événements. La rencontre avec l’auteur et chercheur palestinien Mas’ud Hamdan (Haïfa University) fut décisive pour engager un travail de recherche et de traduction de ces extraits.
Ces deux sortes de paroles, témoignages et citations de théâtre, devaient être introduites et contextualisées par des petits rappels historiques qui ont pris de plus en plus d’importance et bouleversés toute la temporalité du processus théâtral et du résultat. Face à la description d’un événement historique méconnu, le théâtre militant est son propre ennemi. Les points d’exclamation n’aident pas à comprendre. Démêler puis refaire le noeud de « ce qui a bien pu se passer pour qu’on en arrive là » exige de la patience. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, le noeud est gros de plus de cent ans. Il faut à chaque étape du travail, éviter les mots qui agacent, débusquer les termes qui découragent, qui tendent au lieu de délier. Après vingt ans d’indignation virulente, j’ai dû trouver autre chose. »
Adeline Rosenstein
En construisant Décris-ravage aviez-vous l’intention de produire un certain effet ?
Oui, j’avais envie de redonner l’envie de s’informer sur ce sujet de la Palestine et de dire qu’on pourrait un jour faire le tour de la question. C’est au moment de l’opération Plomb durci, en 2008, qu’est née l’idée de ce projet : casser la lassitude scandaleuse, mais un peu compréhensible, qui s’installait chez des gens que je connaissais, disons plutôt de gauche (même si ce mot est aujourd’hui « empoisonné » en France) – des gens qui au cours de la première ou de la deuxième intifada se seraient mobilisés et qui ne le faisaient plus. Au départ, ce projet était vraiment adressé aux
gens autour de moi.
C’est pour faire le tour de la question, justement, que cette pièce est devenue une série ?
Peut-être. En 2010, j’ai monté ce qui est maintenant le prologue. Et, puis au fil des ans, les divers épisodes se sont succédés. les 6 épisodes, soit la série complète, seront crées au printemps, à Bruxelles. Chaque épisode s’articule autour de trois « rubriques » comme trois grosses marmites où piocher : des travaux historiques, des témoignages de gens qui sont passés là-bas et un chantier de traduction de pièces arabes sur la question. Je cherchais, en fait, à créer une multiplicité de portes d’entrée : le point de vue surplombant de l’historien, le point de vue à hauteur d’homme du témoin qui est nécessairement partiel, le point de vue et le langage plus cinglants du poète ou du dramaturge.
L’historien, le témoin, l’écrivain possèdent chacun leur langage.
Oui, mais parfois ce sont les mêmes mots sauf qu’ils les utilisent d’une autre façon. J’essaie, sans être exagérément didactique de montrer en quoi l’usage des mots peut différer de l’un à l’autre. Pour ce travail de Décris-ravage, je m’appuie beaucoup sur les travaux de l’historien Henry Laurens qui s’intéresse à cette question de l’historicité des mots, à partir de quand on commence à les utiliser ou ne plus les utiliser, les remplacer par d’autres. Ce
qui apparaît, disparaît, change, c’est un peu la ligne de cette série de pièces.
Y a-t-il une ligne narrative qui noue entre eux les épisodes ?
La série avance chronologiquement : les trois temps vont du même pas mais ne commencent pas en même temps. Le temps de l’histoire commence avec les expéditions de Bonaparte en Égypte en 1798. Le temps des témoignages commence en 1949, avec le récit d’un témoin argentin qui s’est installé dans un kibboutz en Israël pour participer à la construction du socialisme. Les pièces de théâtre en arabe auxquelles j’ai eu accès grâce au chercheur palestinien Mas’ud Hamdan sont filles de la défaite de 1967. Un théâtre arabe autour de cette question naît à ce moment-là. On sait que des pièces palestiniennes plus anciennes traitant du sionisme furent représentées mais il faut les retrouver. Ce n’est pas aisé pour le Palestinien lui-même et nous en ferons, je l’espère, le coeur d’une prochaine recherche.
En posant l’une à côté de l’autre des sources très différentes, y a-t-il le désir de trouver une traduction scénique à la séparation géographique des territoires ?
Non, ce n’est pas la traduction d’une topographie où les gens ne communiqueraient pas. Je crois que si j’avais voulu faire ça, j’aurais cherché à perdre les gens dans des méandres infinis. Or mon projet est de partager la complexité, surtout pas de perdre le public. Je crois plutôt que je travaille en assumant l’effet de collage de textes très différents avec moi qui parle au milieu et qui fait le lien. J’essaie d’être de bonne foi et d’amener le public dans les culs-de-sac où je suis moi-même entrée à la recherche de réponses. Il n’y a pas d’autre cohérence à Décris-ravage, je crois, qu’une certaine logique de la question. J’ai l’impression que dans les autres arts, ou dans les sciences humaines, on donne beaucoup plus de liberté au public, on compte beaucoup plus sur lui pour apprécier la nécessité ou l’évidence de la multiplicité des signaux, de la simultanéité des actes, de la non-linéarité des discours. Henry Laurens dit souvent qu’il faut raconter l’histoire en split-screen : pendant qu’il se passe ceci ici, il se passe aussi cela là-bas. Le collage est une bonne façon de tenir compte de cette profusion du réel et des récits.
Votre série théâtrale est une conférence entrecoupée de scènes théâtrales. On pense évidemment aux formes contemporaines qui ont mis en avant la figure du conférencier mais est-ce aussi une façon de convoquer la figure du conteur ?
La tradition du conteur bien sûr m’intéresse. Mais je ne crois pas que ce soit une source. J’ai pris beaucoup de distance avec toutes les traditions théâtrales. Il y a un moment où je me suis fâchée avec cet attirail qui me semblait incapable de représenter les choses qui me préoccupent le plus : que s’est-il passé ces 200 dernières années, ou ces 20 dernières années, pour qu’on en arrive là ? Je suis devenue impatiente avec tout ce que j’avais traversé – le clown, la mise en scène, les classiques allemands chéris, l’avant-garde russe chérie.
Avez-vous inventé une autre technique alors, par exemple une autre technique de jeu ?
Presque tous les comédiens qui m’accompagnent sont aussi des metteurs en scène et ils ont envie de chercher cet endroit du presque rien qui peut surgir entre nous. Bien entendu qu’on ne fait pas rien mais on s’observe les uns les autres pour trouver cette forme ténue qui n’est ni ça ni ça ni ça ni ça…
Et qui serait quoi alors ?
Dans Peuples exposés, peuples figurants, Georges Didi-Huberman propose l’expression : « regarder avec tact ». C’est peut-être ce qu’on essaie de faire. Ne pas recourir à des formes réflexes mais viser juste à chaque fois. Je me demande toujours ce que quelqu’un qui viendrait de Gaza penserait : je ne voudrais pas qu’il croit que nous utilisons les massacres et les morts pour donner une image de nous mais que nous cherchons humainement une façon de raconter à des gens découragés la violence de ce qui se passe.
Propos recueillis par Stéphane Bouquet, janvier 2016
Ce spectacle est très dense (4 épisodes en 2h30) et j'ai donc eu parfois du mal à suivre les détails. Cela dit, les grandes lignes du message sont claires et le mode de présentation est très ludique et décalé et il suscite souvent des sourires, ce qui est très efficace pour garder l'attention haute et bien marquer les esprits.
Pour 1 Notes
Ce spectacle est très dense (4 épisodes en 2h30) et j'ai donc eu parfois du mal à suivre les détails. Cela dit, les grandes lignes du message sont claires et le mode de présentation est très ludique et décalé et il suscite souvent des sourires, ce qui est très efficace pour garder l'attention haute et bien marquer les esprits.
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