Yann-Joël Collin pousse d’un cran le radicalisme de Beckett en se demandant, avec humour, que faire pendant cette attente. C’est prendre le risque, acteurs et public, de rencontrer le visage de notre humanité. « Ils aperçurent soudain, disait Tadeusz Kantor, l’image de l’homme, criarde, tragiquement clownesque, comme s’ils le voyaient pour la première fois, comme s’ils venaient de se voir eux-mêmes ».
L’ambition du projet est de partager totalement avec le public la situation proposée par Beckett : faire du théâtre pour ne pas mourir… la mort étant la fin de la représentation.
On se propose donc de poser en acte la problématique de Beckett : à chaque instant, la représentation interrogera sa fin. C’est à la fois son enjeu et sa nécessité, par le fait que l’acteur et le spectateur seront confrontés ensemble à leur propre existence, et à la condition humaine, à travers leur questionnement commun et constant sur la représentation : va-t-elle continuer, comment va-t-elle continuer si elle continue, et d’ailleurs qu’est-ce qu’on fait là tous ensemble, dans cette salle de théâtre et dans le monde ?
C’est la vie, dans sa dérision et sa vanité, qui est en jeu, c’est-à-dire non seulement ce dont il est question, mais ce qui s’éprouve, pour tous, au présent.
À chaque instant, on retrouverait quelque chose de la vision proposée par Kantor de la naissance du théâtre : « Ainsi que dans la lumière aveuglante d’un éclair, ils aperçurent soudain l’image de l’homme, criarde, tragiquement clownesque, comme s’ils le voyaient pour la première fois, comme s’ils venaient de se voir eux-mêmes. »
Yann-Joël Collin
« Une relecture radicale, interactive et comique. » Philosophie Magazine
« Vladimir et Estragon (...) nous conduisent, le rire au bord des larmes, aux frontières d’un temps qui s’est arrêté. » Theatrorama
« On appréciera surtout le travail de Yann-Joël Collin et de sa compagnie La Nuit surprise par le jour, décapante, immédiatement contemporaine, dans le plaisir d'un théâtre en train de se faire. » Théâtre du Blog
Pourquoi monter à nouveau En attendant Godot ?
C’est lié au travail de notre compagnie, La Nuit surprise par le jour, que nous avons créée en 1993. Notre travail « remarquable », au sens où c’est quelque chose qui nous distingue, est d’intégrer le public dans l’acte de la création, d’en faire une partie intégrante de la représentation. Nous venons de monter La Mouette de Tchekhov. Il n’y avait rien sur le plateau. Quand le public entrait, j’étais au milieu des gradins, derrière une petite table régie et puis je descendais sur scène et je commençais à lire le texte. Deux techniciens arrivaient et construisaient le petit théâtre précaire de Treplev. J’appelais les acteurs, la représentation avait lieu au présent.
Ce sera la même chose pour En attendant Godot ?
Oui. On a choisi Godot parce qu’on voulait aller au plus loin de cette relation avec le public. À quel moment peut-on éprouver le fait d’être absolument au présent de la représentation et où cela vous entraîne-t-il ? Dans Godot, il s’agit seulement d’attendre. Il faudra vivre ensemble cette réalité avec le public : attendre. Et inventer le texte en direct comme pour combler l’attente, et se raconter en attendant, se raconter médiocrement, avec tout le dérisoire de l’humanité, parce que la mort est au bout, la mort de la représentation aussi bien. Le public n’est pas dupe, bien sûr, puisque En attendant Godot est une pièce de répertoire, mais à nous d’inventer le moyen de jouer — et de vivre — au présent.
Ce défi implique-t-il une technique de jeu particulière ?
Qu’est-ce qu’une technique de jeu ? Je suis aussi professeur au Conservatoire national de Paris. J’y encourage souvent les jeunes acteurs à s’impliquer eux-mêmes, à jouer avec ce qu’ils sont. Ils doivent être porteurs eux-mêmes de leur propre parole. Donc non, pas de technique particulière. Nous n’allons pas donner le change en jouant de codes naturalistes. Il faudra plutôt suivre la parole de Beckett. Les personnages de Godot n’ont pas à proprement parler de conversations, ils ont très peu le temps de penser, il n’y a pas de temps psychologique où la pensée et la parole pourraient mûrir, tout arrive très vite, tout est jeté comme ça pour faire face au silence. Le plus gros du travail, pour nous, sera de maîtriser si bien le texte que nous pourrons donner l’impression de l’inventer.
Le rythme de la parole sera donc crucial ?
Ce rythme est inscrit dans le texte. On est très scrupuleux avec l’écriture : on ne doit pas s’arrêter, on ne s’arrête pas sauf quand il est indiqué silence, et parfois long silence. Un vrai silence donc, pas une pause, un temps trop long où l’on a le temps de se demander : est-ce que c’est fini tout ça ? la représentation, le théâtre, la vie ? Est-ce que nous sommes arrivés dans une impasse ? Mais quand ça parle, ça parle assez vite parce que le texte ne demande pas autre chose que d’être dit, de sortir. En répétant, nous nous sommes aperçus que le texte devenait vraiment vivant si nous acceptions ce rythme. Il faut que ça ne s’arrête pas, qu’on ne puisse plus arrêter celui qui parle qu’en le faisant taire de force comme il arrive à Lucky.
Souvent le monologue de Lucky sert aux metteurs en scène à parler de la violence de l’époque.
Mais la violence est là dès le départ. Bien sûr, l’arrivée de Pozzo qui traite un autre homme comme un animal, pour une raison qu’on ignore, peut être perçue comme de la torture gratuite en direct. Mais il s’agit de violence de la représentation elle-même : cela se passe non seulement devant Vladimir et Estragon, qui ne réagissent pas, mais aussi et surtout devant le spectateur, qui est renvoyé à sa responsabilité. Le corps est important chez Beckett.
Allez-vous le travailler rythmiquement ? chorégraphiquement ?
Évidemment, chez Beckett, le corps produit quelque chose de burlesque et de clownesque, mais il me semble qu’il faut être dans l’économie, pas dans la virtuosité qui remettrait de la distance pour créer un style. Les mouvements doivent rester très simples. Quand j’ai fait du clown, je me suis aperçu qu’il valait mieux partir d’une chose toute bête — essayer de faire tenir une chaise sur un mur, par exemple. C’est alors que l’absurdité de la vie, la tentative désespérée d’exister sur le plateau sont les plus apparentes.
Propos recueillis par Stéphane Bouquet, octobre 2015
comédiens formidables qui se décarcassent et se débattent, nageant dans l'absurde c'est parfois difficile à supporter et long, long c'est d'ailleurs le propos ... qu'est-ce qu'on peut attendre, comment et à quoi bon ?
Pour 1 Notes
comédiens formidables qui se décarcassent et se débattent, nageant dans l'absurde c'est parfois difficile à supporter et long, long c'est d'ailleurs le propos ... qu'est-ce qu'on peut attendre, comment et à quoi bon ?
94, rue du faubourg du temple 75011 Paris