Alors que le colonel Perón a la migraine, Eva Perón, elle, a un cancer. Et en souffre. Pas en silence. Eva Perón se meurt, et il faut que tout le monde le sache.
A moitié nue d'abord, puis dans une de ses plus belles robes de bal, elle va, vient, se fait faire les ongles, se souvient du passé. Elle trépigne, jure surtout, insulte tous ceux qui croisent sa route.
D'abord son infirmière, jeune damoiselle soumise en uniforme. Puis Ibiza, majordome du palais, qui tire les ficelles du pouvoir, ou ce qu'il en reste. Enfin et surtout sa mère en quête désespérée des numéros de compte de sa rejetonne, dont elle compte bien hériter. Eva Perón peut-elle vraiment mourir ?... Si cela se produisait, c’est qu’on l’aurait empoisonnée ?...Qui a prononcé le premier le mot cancer ?...Mais alors comment mourir ?... Qui l’embaumera ?...
Et cette infirmière… qu’elle serait belle avec sa robe, son vison blanc, son émeraude…Devenue Eva, ne pourrait-elle pas aller au bout de ce qu’elle représente et mourir dignement et royalement par ses propres soins ?... D’ailleurs est-il juste qu’elle vive puisque Eva Perón doit mourir ?... C’est bien l’Eva Perón, épouse du dictateur argentin Juan Perón, vénérée par le peuple et rendue célèbre par ses discours et ses actions de charité très médiatiques, celle qu’on appelait Evita et qui meurt prématurément d’un cancer à l’âge de 33 ans dont il s’agit.
Le peuple décide de la canoniser, ignorant les accointances du régime péroniste avec Mussolini, l’hospitalité qu’il offrait aux nazis et ses comptes en Suisse bien remplis. Copi fait de cette histoire une farce, un feuilleton délirant à rebondissements rocambolesques auquel prend part le personnage principal, Eva, sous les traits d’une diva capricieuse et déboussolée, entourée d’une mère hystérique, d’un mari déjà mort, d’un ministre mafieux et d’une infirmière.
Distribution en alternance.
"Eva Perón se meurt. Elle a le cancer, nous dit-on. Comme le reste de sa vie, Maria Eva Duarte devenue Evita, met en scène sa propre mort. C'est le moins
qu'on puisse faire lorsqu'on est une ancienne comédienne promue au rang de divinité
par le peuple qui l'adule : Evita Vierge Marie des pauvres et des besogneux. Nous voilà
enchaînés, en compagnie de son mari, sa mère, son amant et son infirmière,
dans un étrange huis-clos, qu'il faut avouer être plus burlesque que morbide ; à la fois kitsch et dérisoire et poignant, pathétique car profondément humain.
Le caractère obsessionnel des personnages et le décalage permanent dans le jeu
où invite Copi créent une rupture volontaire pour nous parler du pouvoir
dans sa globalité et de l'oppression dans un sens universel plutôt que de traiter
une situation politique dans un pays donné à une époque donnée. Car Eva Perón,
c'est le spectacle de l'autre côté du miroir où mal-être, folie et solitude forment
définitivement le kit nécessaire du pouvoir et de la célébrité.
Eva Perón sera donc non seulement colérique, égocentrique, manipulatrice et dominatrice à souhait mais aussi et surtout complètement obsédée et angoissée par son image et cette fin qu’elle désire intensément grandiose digne du rêve et de la supercherie dans lequel elle a toujours voulu plonger le monde et elle-même et qu’elle s’accroche à croire et à désirer dans une tension et une grossièreté pathétique trahissant sa cruelle lucidité. Ponctué de visions d’horreur, de fantasmes érotiques, de jeux de soumission, le personnage d'Eva qui balance entre l'effrayant et le grotesque a quelque chose d'inoubliable.
(...)
La scénographie sera composée d’un magnifique canapé de chambre des années 50 avec un tapis en peau d’animal à poils longs et deux superbes malles noires rappelant deux corbillards ouverts devant le canapé. Des douches illumineront chaque personnage qui auront la plupart du temps une place précise dans l’espace tout autour d’Evita : les deux hommes juste derrière et de chaque côté du canapé et la mère et l’infirmière au même niveau qu’Eva à chaque angle du canapé."
Jean Leloup
94, rue du Faubourg du Temple 75011 Paris