Présentation
Notes au jour le jour
Le couple Feydeau
En septembre 1909, Georges Feydeau quitte définitivement le domicile conjugal de la rue de Longchamp et s'installe à l'Hôtel Terminus, appartement 189. Un an avant, il avait publié Feu la mère de Madame, la première des pièces qui inaugurent le cycle des tragi-comédies conjugales en un acte. Délaissant le vaudeville où sa virtuosité lui a valu tant de gloire et de fortune, il semble s'acharner à conjurer, sous le masque des différents couples qu'il met en scène, dans ces courtes pièces, l'angoisse de son propre échec dans le mariage.
"Tu devrais me donner des droits d'auteur", lui fait remarquer un jour sa femme Marianne.
"Mais, ma chère amie, c'est ce que fais depuis que nous sommes mariés"...
Feydeau,Terminus rassemble trois des pièces en un acte, comme autant de fragments d'une biographie imaginaire de l'auteur, qu'il nous laisse entrevoir sans se départir de sa force comique et de son sens de l'absurde et cruelle réalité.
Le couple chez Feydeau construit un cocon infernal. Existe-t-il un animal qui construise sa prison, qui tisse petit à petit un lieu dont il ne pourra pas sortir? cf. Tchekhov: "Chez les insectes, la chenille donne un papillon ; chez l'homme, c'est le contraire : du papillon à la chenille".
Est-ce une démonstration générale? ou plus simplement un enchaînement mécanique qui ne vaut que pour le couple incriminé? Est-ce qu'on rit de ceux-là ou est-ce qu'on rit de nous-mêmes?
Il n'y a pas de grands principes chez Feydeau, mais une somme de petites choses et l'idée qu'on ne peut pas en sortir. Le concret le plus élémentaire, le plus plat, le plus insignifiant, nous rattrape sans cesse. Quand ça n'est pas la situation (un hoquet), ce sont les mots les plus ordinaires qui nous y renvoient implacablement. Le risque de se noyer (dans un verre d'eau) est permanent et la noyade bien réelle. On ne sort pas de ça ! La réalité ne nous lâche pas ! Le quotidien nous enferme en permanence dans le ridicule !
Réalité-Fiction: La vie (du couple) est un théâtre, un jeu de rôles. On ne sort pas de la distribution des rôles. Feydeau se sert de l'irréalité pour redoubler la réalité. Il n'y a plus de différence entre le théâtre et la vie, le théâtre submerge la vie, prend totalement sa place, la vie devient publique en s'exposant au regard des autres, la représentation est l'équivalent de ce qui se passe dans l'intimité, la notion même d'intimité vole en éclats.
Que reste-t-il de l'amour ? Il existe sans doute toujours mais il n'a plus d'expression possible, comme une bouteille qu'on ne peut pas déboucher, comme la valise qu'on ne peut plus ouvrir. Cet amour est obligé de se vivre et de se dire par les moyens qui contribuent à le détruire. A qui la faute?
Peut-on appliquer à Feydeau ce que dit Marguerite Duras dans La Vie matérielle ?
"[...] L'histoire d'un amour non avoué entre des gens qui sont empêchés de dire qu'ils s'aiment par une force qu'ils ignorent. Et qui s'aiment. Ça n'est pas clair. Ça ne peut pas se déclarer. Ça fuit tout le temps. C'est impuissant et pourtant c'est là. Dans une confusion qu'ils ont en commun, qui leur est personnelle et qui est l'identité de leur sentiment. Est-ce qu'ils aperçoivent quelque chose de ce qui se passe entre eux et qui les lie ? Ils savent plus que les autres dans le sens du silence à faire sur l'amour mais ils ne savent pas le vivre. Ils vivent à la place une autre histoire comme s'ils étaient d'autres gens. Quand on dit que les gens s'aiment, en général ils s'aiment d'amour. Ici ce sont des gens qui ne savent pas s'aimer et qui vivent un amour."
Laurent Caillon
Nous connaissons mal la vie privée de Feydeau, et il en sera ainsi jusqu'à la
publication - improbable - de lettres hypothétiques. Ses descendants semblent n'avoir
rien conservé qui touche à ce domaine intime.
En l'absence de documents, nous devons nous en tenir strictement aux faits et à
l'uvre.
Indiscutablement, Feydeau (malgré ses penchants volages abondamment manifestés dans sa
jeunesse) a fait un mariage d'amour. Fort belle, intelligente, toujours souriante et,
d'après certains témoins, très indulgente et compréhensive, Marianne Carolus-Duran a
mérité cet amour, - partagé semble-t-il - pendant de nombreuses années, au moins
jusqu'à la naissance de Jean-Pierre, en 1903.
En 1898, Sacha Guitry notait: "Cette famille est l'image du bonheur"!
Compagne des débuts difficiles, Marianne a certainement sa part dans la persévérance
acharnée de son époux, qui devait finalement le mener au succès. De ce succès, elle a
recueilli les fruits, notamment sur le plan du confort matériel, toujours important pour
une maîtresse de maison.
Par la suite, les erreurs financières de Georges qui ont entraîné certaines
catastrophes, la vie libre qu'il a toujours prétendu mener, n'ont pas manqué de créer
dans le ménage des troubles sans cesse grandissants. Imaginons d'ailleurs quel peut être
l'état d'esprit de cette jeune femme, qui passe le plus clair de ses soirées et de ses
nuits à attendre le retour du noctambule impénitent !
De son côté Feydeau, comme tout écrivain, a besoin chez lui de silence et de
concentration- et il supporte assez mal la turbulence de quatre petits enfants. Les
scènes vont bientôt éclater, à propos de tout et de rien :
"C'est moi, dit Jacques Feydeau, qui ai été le héros de On purge Bébé."
Et les choses se sont passées à très peu de choses près comme dans la pièce.
photo Willy Vainqueur Sur le mode mineur au début, les querelles vont devenir plus graves, épuisantes et lassantes à la longue, et Feydeau avouera à ses proches: "Vraiment, je n'étais pas fait pour le mariage!"
Il éprouve certainement beaucoup d'amertume et de souffrance intérieure à constater l'échec de cette union si joliment commencée et ses dernières comédies, quoique toujours gaies, porteront l'empreinte de cette peine
En septembre 1909, après une querelle plus violente que les autres, Feydeau s'enfuit de chez lui, emportant un peigne, une brosse à dents et un pyjama, et se réfugie à l'hôtel Terminus, près de la gare Saint-Lazare. A plusieurs reprises, il reviendra rue de Longchamp pour quelques jours, sous prétexte de prendre des affaires. Mais la rupture avec Marianne sera désormais consommée et l'appartement 189 du Terminus restera pendant dix ans le véritable logement du vaudevilliste.
Jacques Lorcey
Super pièce qui revisite l'univers de Feydeau dans la réalité délirante de la fin de sa vie.
Pour 2 Notes
Super pièce qui revisite l'univers de Feydeau dans la réalité délirante de la fin de sa vie.
2, rue Edouard Poisson 93304 Aubervilliers
Voiture : par la Porte d'Aubervilliers ou de La Villette - puis direction Aubervilliers centre
Navette retour : le Théâtre de la Commune met à votre disposition une navette retour gratuite du mardi au samedi - dans la limite des places disponibles. Elle dessert les stations Porte de la Villette, Stalingrad, Gare de l'Est et Châtelet.