Liz Santoro et Pierre Godard sont des expérimentateurs du mouvement. Alliant les dimensions scientifiques et corporelles, ils cherchent de pièce en pièce à comprendre comment celui-ci naît, s'échange, se transmet, et se teinte d'une couleur particulière quand on est soumis au regard des autres.
Avec For Claude Shannon, du nom de l’un des pionniers de la théorie de l'information, ils créent à chaque fois une représentation différente, conçue comme un acte unique, puisque la partition est basée sur une contrainte tirée au hasard tous les soirs.
Il en résulte une pièce fascinante par sa rigueur, à la gestuelle minimale et ultra-précise. Les interprètes obéissent à une logique mystérieuse et indéchiffrable mais palpable dans l’intensité de leurs présences, et invitent à un voyage qui aiguise l’attention et les sens.
L.D.
Cette nouvelle « machine chorégraphique » de Liz Santoro et Pierre Godard approfondit les recherches menées autour du lien entre mouvement et texte, en s’appuyant sur la musicalité de la syntaxe. Comme l’indique le titre de la pièce – hommage au père de la théorie de l’information – les chorégraphes puisent également leur inspiration dans la notion d’information comme voisine des notions de redondance et de bruit. Thème récurrent de leur écriture, la répétition leur permet de travailler sur une physique de l’attention et de tenter d’inscrire une trace dans la mémoire des spectateurs. C’est en jouant sur l’incertitude de cette répétition, en « injectant du désordre là où règne l’ordre, et réciproquement », qu’ils déploient une danse porteuse d’étrangeté, dont la nature quasi mécanique vrille constamment vers d’autres dimensions.
For Claude Shannon recourt aux dépendances grammaticales entre les mots d’une déclaration du pionnier de l’informatique, Claude Shannon, afin d’extraire une structure linguistique qui génère à son tour des possibilités inépuisables de séquences chorégraphiques. Vingt-quatre “atomes” de mouvements pour les bras et les jambes constituent un lexique à partir duquel un certain nombre d’entrées sont choisies aléatoirement à chaque nouvelle représentation. Les danseurs doivent ainsi chaque soir assembler et apprendre une réalisation chorégraphique particulière parmi vingt-neuf milliards de possibilités qui ne peuvent être répétées. Ils s’appuient sur leur parfaite assimilation de la structure du texte, autant que sur l’intimité qu’ils ont acquise les uns avec les autres. Mettant en jeu tout à la fois les ressources de leur mémoire de travail et de leur mémoire à long terme, manifestant au public le prononcement des inconnues, soustrayant au regard les embarras de l’entropie, sans relâche ils commutent.
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