Spectacle en langue italienne surtitré en français.
Une mise en scène immortelle
Derrière Winnie… les étoiles
Le Piccolo Teatro
Pour finir en beauté ce cycle italien à l’Athénée, une pièce mythique et une mise en scène immortelle : Oh les beaux jours de Beckett, dans la mise en scène de 1982 de Giorgio Strehler, avec une grande dame du théâtre italien, Giulia Lazzarini, l’inoubliable Ariel de La Tempesta. L’occasion de découvrir une lecture positive de cette pièce si noire de Beckett.
Winnie, dernière survivante d’une apocalypse en cours, à moitié enterrée dans un cratère qui se referme inexorablement, soliloque avec Willie, l’homme de sa vie, qui semble déjà mort malgré ses réapparitions épisodiques. Mais Winnie - interprétée par Madeleine Renaud à la création de la pièce en 1963 à l’Odéon par Roger Blin - possède l’énergie de ceux qui vivent au milieu du chaos. Elle refuse son engloutissement en exécutant les mille gestes de la vie quotidienne : maquillage, toilette, discours d’autosatisfaction. Par son babillage et sa coquetterie, elle se rassure et reste digne, comme ceux qui, atteints d’une maladie incurable, luttent contre la déchéance.
C’est sa joie indestructible et sa volonté de vivre jusqu’au bout qui sont la base de l’interprétation de la divine Giulia Lazzarini, à qui Strehler avait demandé de souligner cette force. Car pour lui, "lorsque dans Oh les beaux jours, la poésie crie d’une voix si forte, l’homme ne se nie pas ; au contraire, il s’affirme".
"C’est l’art exorciste d’éloigner le mal, de le combattre à coup de petites fleurs. Le petit chapeau rouge, les épaules puissantes, les bras robustes, les mains merveilleuses, pétulantes, parlantes. Regardez Giulia Lazzarini. Vous comprendrez ce qu’est le théâtre : comme un exercice de mémoire pour abattre le temps, ne jamais se rendre." Franco Cordelli, Corriere della Sera, Rome, février 2004
Cette production du Piccolo Teatro de Milan sera le premier rendez-vous de l’année Beckett à l’Athénée, qui poursuivra cet hommage avec une autre grande mise en scène-surprise au deuxième semestre 2006…
Traduction : Carlo Fruttero
Reprise de la mise en scène : Carlo Battistoni
Lorsque Strehler mit en scène Giorni felici, je ne travaillais pas avec lui, mais j’assistais aux répétitions de temps à autre pour être près de Giulia et observer Strehler travailler, le voir s’approprier le texte de cette façon si singulière, avec cette volonté absolue de faire le meilleur, cet attachement vraiment unique à la perfection.
En assistant à ces répétitions, je pense avoir recueilli l’humus, l’essence de ce travail dépensé sans compter au cours de cette première aventure avec Beckett, et ce après tant d’années théâtrales. Je me souviens qu’une fois, lors d’une répétition qui n’avait pas encore lieu sur le plateau du Piccolo, via Rovello, et encore sans le sable blanc qui deviendra ensuite le symbole de ce spectacle avec Giulia quasiment engoncée dans son trou, j’ai vu Giorgio s’interrompre pour marcher vers elle et lui susurrer quelque chose à l’oreille. Il lui avait dit, Giulia me le confia par la suite, que derrière ses épaules brillaient les étoiles qu’il avait inventées pour elle, pour illuminer le ciel sombre de la nuit de Winnie : une note d’espoir. Parce que Strehler ne pouvait accepter ce qui lui semblait être le négativisme absolu de Beckett, et d’une certaine façon rien ne lui était davantage étranger.
Il cherchait à prendre une certaine distance grâce à un firmament inventé, mais également grâce au chant final de la valse de la Veuve joyeuse dans laquelle Winnie-Giulia ne « donnait pas le destin pour vainqueur ». Giorgio misa beaucoup sur cette volonté de résister, de survivre à tout prix, à commencer par sa requête adressée à l’actrice de parler rapidement parce que : « Si tu parles rapidement, lui disait-il, tu te sens vivante, si tu ne parles pas comme ça, tu meurs immédiatement. » Aussi Giulia chantait la fameuse valse sur un rythme effréné parce que Strehler voulait qu’elle annihile son environnement, pour ne pas s’enfoncer, s’enliser dans tout ce sable. Elle avait conscience de vivre sur scène une situation dangereuse et pour la vaincre elle s’agrippait au support de bois qui la soutenait, avec une tension telle qu’elle s’en blessait les mains.
Ce n’est pas la première fois que je reprends la mise en scène de Giorni felici, un spectacle qui perdure aujourd’hui depuis plus de vingt ans, et dont nous n’avons pas la moindre trace vidéo (et pas non plus bien sûr de la création dirigée par le maître). Aujourd’hui la principale difficulté qu’il y a à remonter ce spectacle est celle d’adapter un cadre déjà existant (et que nous connaissons tous, aussi bien Giulia, que moi et les techniciens qui y ont travaillé), à une personne qui a changé comme c’est le cas de Giulia durant toutes ces années ; de ne pas refaire les choses servilement pour laisser une liberté de mouvement à l’actrice qui est plus consciente de son personnage et qui a atteint une maturité d’interprétation extraordinaire, ce qui lui permet de faire véritablement ressentir sa souffrance au spectateur.
Avant, cette souffrance était pour ainsi dire la clef de son interprétation, aujourd’hui elle s’est transformée en une façon d’être et de sentir la scène, qui pour elle constitue quelque chose d’infiniment plus risqué, comme de faire de la voltige sans filet. Et puis, il est inutile de se le cacher, les choses ont changé également parce que Strehler est mort et que son absence nous marque beaucoup Giulia et moi. Ainsi chaque fois que nous travaillons sur ce texte, il y a cette tentative de ma part ou de celle de Giulia de se souvenir des suggestions du maître avec toute l’émotion que nous avons gardée pour lui.
J’ai souvent travaillé avec Giulia et souvent il y eut des tensions parce que je suis extrêmement exigeant avec elle, lorsqu’elle, au contraire, attendrait davantage de ma part de l’indulgence et de la compréhension. C’est très paradoxal, mais avec elle, il me semble mieux travailler lorsque nous sommes confrontés au travail d’un autre, même si c’est quelqu'un que nous avons fort bien connu, comme Strehler, peut-être parce que nous partons d’une base commune : elle est conditionnée par ce qu’il lui disait, et moi, je la corrige, me référant à ce que disait Giorgio. Avec amour.
Carlo Battistoni
Créé en 1947 par Paolo Grassi et Giorgio Strehler, le Piccolo Teatro de Milan fut le premier théâtre permanent d'Italie à recevoir un financement public.
Ses premières tournées à l'étranger remontent à la saison 1948-1949, lorsque Il Corvo de Carlo Gozzi fut présenté à Londres, Paris, Zurich et Knokke Le Zoute. De 1947 à nos jours - cinquante années d'une activité ininterrompue - la scène du Piccolo a accueilli plus de 200 pièces (soit plus de 16 000 représentations).
La direction du Piccolo a toujours agi en fonction des mêmes critères : d'une part, promouvoir la grande famille des classiques, d'autre part, défendre la création théâtrale contemporaine, non sans laisser une place au théâtre italien dont la contribution à l'art dramatique a, à quelques notables exceptions près, été plus notable du côté de l'interprétation - il suffit de penser à la Commedia dell'arte - que de celui de l'écriture. Au centre de cette tradition se trouve Carlo Goldoni, dont les pièces ont régulièrement créé l'évènement au Piccolo au fil des ans, avec une douzaine de productions, mises en scène pour la plupart par Giorgio Strehler.
Hormis Goldoni, d'autres auteurs favoris ponctuent la vie du Piccolo. L'un d'entre eux, et non des moindres, aura été Shakespeare, qui, avec dix mises en scènes de ses pièces, a fait l'objet d'une recherche critique et poétique constante, aboutissant à de nouvelles traductions et de nouvelles recherches.
Dans la grande famille des ancêtres illustres, Tchekhov avec La Mouette, Platonov, et deux versions de La Cerisaie, ainsi que Pirandello (avec les deux versions des Géants de la montagne, Ce soir on improvise et le récent Comme tu me veux), ont offert au Piccolo d'inoubliables réussites, tout comme la redécouverte de l'écrivain milanais Carlo Bertolazzi. Mais le Piccolo restera également dans les mémoires pour avoir été la « maison » de Brecht en Italie et en Europe, d'abord avec une représentation par l'École d'art dramatique, puis avec une première version de L'Opéra de quat'sous (1956), jouée en présence de l'auteur, puis, une fois encore, avec une nouvelle version, totalement différente, en 1972. Strehler a consacré à Brecht tout son talent de metteur en scène, comme en témoignent des productions telles que les deux versions de La Bonne Âme de Setchouan (1958 et 1981), Schweyk, ou l'inoubliable Galilée.
Mais ces grandes options du Piccolo et de Strehler ne sauraient résumer les activités d'un théâtre qui a monté des auteurs tels que Ibsen et Strindberg, Genet et Beckett, Lessing et De Filippo, des dramaturges choisis non pour la diversité de leurs origines, mais en fonction d'études thématiques, menées au cours des ans, répondant à un projet esthétique cohérent. Avec l'intention de faire de la formation de l'acteur un sujet central de son travail, le Piccolo Teatro a ouvert en 1988 une école d'art dramatique.
Bien que petit (« piccolo ») par sa taille, le Piccolo Teatro a toujours vu grand, d'un point de vue artistique, grâce à la qualité de son personnel : avec une équipe de 150 artistes, techniciens, collaborateurs, personnels administratifs, le Piccolo a produit et présenté quelque 227 pièces. Depuis 1986, le Piccolo gère le Teatro Studio, qui est la tête de pont de son école : un lieu de théâtre inhabituel, avec ses 400 places, qui est devenu au fil des ans un point de rencontre pour le théâtre européen et ses comédiens. Depuis peu, le Piccolo dispose d'une nouvelle salle, d'une jauge de 999 spectateurs. Ce Nouveau Piccolo Teatro a ouvert en décembre 1997 avec le début des répétitions de Cosí fan tutte, première production à être montée dans cette nouvelle salle.
Le 25 décembre 1997, Giorgio Strehler est décédé à Lugano. Sergio Escobar lui a succédé au poste de directeur en 1998, avec Luca Ronconi comme délégué artistique.
Extrait du site Union des Théâtres de l’Europe : www.ute-net.org
Square de l'Opéra-Louis Jouvet, 7 rue Boudreau 75009 Paris