Présentation
Cristal magique
Des armes et des larmes
Une obstination de sept années
Spectacle en langue russe présenté en version surtitrée. Conçu comme un simple «pressentiment» du gigantesque chef d’œuvre de Tolstoï – une « traversée » des premiers chapitres –, ce spectacle en langue russe, surtitré en français, sera non seulement l’occasion d’évoquer quelques aspects mythiques de la «grande Russie» à la veille de l’invasion des armées napoléoniennes, mais surtout de découvrir l’immense talent de Piotr Fomenko, l’un des plus grands metteurs en scène et directeurs d’acteurs du théâtre européen.
Pour la première fois sur la scène théâtrale, Guerre et paix. Pas tout entier. Le début du roman. Même pas toute la première partie, pas toute l’année 1805. Mais les destins sont déjà noués, le cercle des personnages est déterminé, l’échelle des événements est tracée. «L’espace du roman libre» que Pouchkine reconnaissait « à travers le cristal magique» des premiers chapitres d’Eugène Onéguine, chez Tolstoï se découvre de même dans toute sa plénitude dès les premières scènes de la paix. Le Théâtre lui aussi devait trouver son propre « cristal magique» pour aborder l’épopée de Tolstoï.
Quatre heures de bonheur ponctuées de deux entractes. Le chapelet égrené d’une simplicité divine, d’une humilité supérieure. Le théâtre russe est là dans son identité nue. Comme ramassée par Fomenko à la petite cuillère. La langue, hérissée d’enchantements, les corps sinueux, l’humour du «comme si » propre au théâtre infusent le tout. Peu importe que l’on connaisse ou pas ce roman-somme par cœur : le spectacle s’en souvient pour nous. Dans un désordre d’amoureux, il suit le fil de quelques motifs, les tresse. Veinés par la guerre ( celle des armes, mais aussi celle des larmes, des malentendus, du temps qui passe), toujours en quête de paix, les personnages oscillent, chaloupent, les acteurs tanguent, le roman s’écrit à vue; et la musique s’immisce en toute chose. Le spectacle s’achève quand la guerre (Napoléon, Koutouzov, Moscou incendié, etc. ) approche, quand elle gronde. Comment dire cela sur une scène ? Fomenko le dit sans bande-son tonitruante, ni cohorte de figurants. Simplement les cinq doigts d’une main qui pianotent, infime martèlement. Une main, puis trois, puis toute la troupe. Rien de plus. Rien de moins. Une amplitude sans fin.
Jean-Pierre Thibaudat - Libération
Au dire de Tolstoï lui-même, son roman-épopée Guerre et Paix lui a valu six ans "de travail incessant et exceptionnel", six ans pour rendre compte de la société russe, dans toute la diversité de ses couches sociales, à la veille de l'invasion des armées napoléoniennes,. Six ans pour témoigner du formidable élan patriotique qui a rassemblé ce peuple dans toute sa disparité, conditionnant ainsi sa victoire contre l'envahisseur. En mars 1868, Tolstoï écrit dans "Archive russe": "qu'est-ce que Guerre et Paix ? Ce n'est pas un roman, encore moins un poème, encore moins une chronique historique. Guerre et Paix représente ce que l'auteur a voulu et pu exprimer, dans la forme où cela s'est exprimé."
Cette définition pourrait s'appliquer au spectacle de l'Atelier Piotr Fomenko. L'histoire de sa conception est unique. Les premiers pas remontent à il y a huit ans. Après une longue "lecture à voix haute" par les acteurs, mois après mois, tome après tome, les questions ont commencé à se poser. Comment jouer un roman où évoluent plus d'une centaine de personnages ? Comment visualiser la guerre ? Doit-on la représenter ? Puis l'idée de la scénographie et l'adaptation ont vu le jour. Souvent interrompu faute de locaux où poursuivre cette entreprise gigantesque et présenter le spectacle, le travail a abouti sept ans plus tard à Guerre et Paix. Début du roman. Scènes.
Le début du roman. Même pas toute la première partie, pas toute l’année 1805. Mais les destins sont déjà noués, le cercle des personnages est déterminé, l’échelle des événements est tracée. Sur une toute petite scène, une vraie scène de chambre, la scène réduite à son minimum, les spectateurs se retrouvent d’un coup projetés dans le salon d’Annette Chérère, et puis, chez Rostov, à la fête de deux Nathalie, la fille et la mère. A l’Atelier-Théâtre de Fomenko, ni un vrai salon petersbourgeois, ni la maison hospitalière des Rostov ne peuvent en principe exister. Ici les procédés scéniques telles que l’allusion, l’image, la fonction particulière des objets sont polysémiques. Ainsi le théâtre a-t-il su créer par des moyens simples l’illusion de l’ampleur des ébranlements à venir. La vie paisible dans sa matérialité et dans l’approche du malheur – voici ce qui a permis au théâtre, à partir d’un petit nombre de faits et d’événements sélectionnés du roman, d’introduire les spectateur au cœur du récit et de leur proposer la possibilité de vivre librement tout « l’espace du roman ».
4, place du Général de Gaulle 59026 Lille