La faillite des idéologies politiques
Un titre générique
Les axes de la recherche en 2004
La presse
Hamlet-machine a été écrit en 1977 par Heiner Müller qui prévoyait la faillite des idéologies politiques et du communisme. Hamlet et Ophélie entrent dans une ère glaciaire, marchande et médiatique. L’auteur invente avec ce texte une écriture polysémique d'une densité et d'une poésie extrêmes. C'est l'énigme de cette écriture qui conduit Clyde Chabot depuis quatre ans à développer un dispositif proposant aux acteurs et aux spectateurs d’explorer personnellement et collectivement le sens et les échos de cette pièce aujourd'hui.
A partir de ce qu’il voit et entend, le spectateur peut écrire sur un ordinateur relié à un écran, diffuser l’extrait d’un CD qu’il aura apporté ou encore manipuler une caméra avec retour sur un moniteur vidéo. Le spectateur est libre d’occuper une position d’observation ou d’action. Deux acteurs, un musicien, un vidéaste et - à partir de cette année - un informaticien, peuvent à tout moment réagir à ces interventions. Le sens du texte se réinvente sans cesse selon le contexte littéraire, musical et vidéo dans lequel il intervient. Cette création interroge aussi la possibilité concrète et sensible de réalisation d’une communauté éphémère.
Le projet se poursuit depuis plusieurs années dans un mouvement perpétuel de recherche. Il prolifère à travers le temps : deux étapes publiques de création ont déjà eu lieu en 2001 et 2002, le site internet a été créé en 2002 et l’installation Hamlet-machine : un musée (de théâtre) a été initiée en 2003. Si le rapport au spectateur et le lien au texte de Heiner Müller sont au centre du projet, chaque étape de création produit une œuvre en soi avec des partis pris dramaturgiques, des développements technologiques, une équipe et une esthétique évolutifs.
Pour cette nouvelle étape de création, des virus informatiques sont introduits dans le texte. Le projet se prolongeant à travers le temps, nous imaginons que la pièce, incluse dans la machine, vieillit et qu’elle est contaminée par des virus. Les perturbations textuelles seront surtout l’occasion de sonder plus avant la matière de la pièce, énigmatique par sa densité théâtrale, politique et poétique.
Les virus produiront des agencements inédits des mots, laissant transparaître de nouvelles fulgurances du texte et perturbant ainsi le jeu des acteurs. Une joute verbale entre l’acteur et l’ordinateur sera expérimentée grâce à la synthèse vocale. Le texte devient un partenaire de jeu à part entière, presque vivant, évolutif, ce qui ouvre de nouvelles pistes de jeu pour l’ensemble de l’équipe. Le logiciel Hamlet-disease est conçu spécialement à cet effet, en collaboration avec le collectif Music2eye. Un informaticien sera présent sur scène et travaillera en direct.
Le chant et la chorégraphie seront également investis par les acteurs. L’attention au corps avait déjà été introduite dans la deuxième étape de création. Elle sera développée et enrichie d’un travail avec un maître de chant sur la voix, le rythme, la musicalité.
Dans cette nouvelle étape, une danseuse interviendra sur scène chaque soir. Sa danse tentera d’être un reflet de la matière invisible, du corps collectif qui prend forme chaque soir entre les spectateurs, l’équipe artistique et les machines.
Le fondement de cette recherche est, en écho à la pièce de Heiner Müller, l’attraction / répulsion qui relient l’homme et la machine, l’homme et le système, chacun désirant ce que l’autre n’a pas. L’homme recherche l’insensibilité. « Je veux être une machine (…) aucune douleur aucune pensée » dit Hamlet dans Hamlet-machine. Nous imaginons que la machine/texte, avec la présence des virus, pourrait peu à peu s’animer d’une vie propre, se mettre à ressentir, à penser.
1ère et 2nd étape de création (2001 et 2002)
Une utopie concrète
En fin de compte l’enjeu du spectacle, c’est l’humain et sa difficile relation à l’autre. Un spectacle nourri de l’utopie communiste : nous pourrions tous produire quelque chose ensemble en ce lieu où nous sommes, pour une fois, libres d’observer ou d’agir et de devenir pour une seconde d’éternité comédiens, vidéastes, écrivains. Une utopie, c’est certain, car celui qui tapote le clavier depuis une demi-heure, dont le phrasé sublime est relayé par Hamlet n’est-il pas déjà un écrivain ? Celle qui se lance, dirigeant la caméra d’une main sûre, dans un cadrage pointu de l’étrange Ophélie n’est-elle pas déjà vidéaste ? Certainement, mais peut-être non. C’est ce « peut-être non » qui importe dans Hamlet-machine.
Violette Bernad, Mouvement, juillet 2002
Le spectateur, créateur virtuel
Il est possible, en pleine dictature médiatique, d'utiliser les médias pour offrir au public une expérience concrète qui catalyse la renaissance d'une conscience politique. Par le thème de Hamlet-machine - la fin de l'utopie communiste et l'absence d'utopies dans le capitalisme - et par la position des specta-c-teurs, le mise en scène de Clyde Chabot réunit les nouvelles formes et les anciennes. Elle modifie la position du public vis à vis d'une œuvre et vis à vis de questions essentielles : à quoi faut-il résister aujourd'hui ? Qu'est, qu'était pour vous le communisme ? Qui manipule qui ?
Thomas Hahn, Cassandre n°41, mai-juin 2001
Hamlet à l'infini
Le public est invité à se déplacer pour changer de point de vue et à interférer dans le cours du jeu et même du texte. Les acteurs évoluent sur une grille de travail très précise et se tiennent ouverts à toute proposition extérieure. Un musicien est aussi là au bord du plateau. L'œuvre de Müller - devenue ainsi une machine théâtrale à variations multiples - se prête complètement au jeu, lui opposant aussi une belle résistance. Il n'y a pas de représentations ; chaque soirée s'offre comme une nouvelle possibilité sans épuiser toute la richesse de la pièce.
Maïa Bouteillet, Libération, 27 mars 2001
"Hamlet-machine" sensuelle et interactive
Le dispositif pour porter l'écriture très dense de Müller s'avère vite d'une grande pertinence. Chaque phrase recycle la mémoire d'un monde. Le processus imaginé ici maintient ouvert le sens du texte et procure une juste idée de cette pensée en mouvement.
Les acteurs évoluent dans cette zone fluctuante avec un calme et une écoute extrêmes, solides sur leurs positions et parés à l'improvisation, libres de reprendre ou non les propositions des spectateurs au vol. Sur ce fil périlleux, la partition d'Anne-Sophie Juvénal sur le monologue d'Ophélie est d'autant plus remarquable que ce passage est l'un des plus délicats. Yann Allegret offre son corps sous tension à Hamlet. Avec leurs compagnons de scène, ils nous entraînent dans un théâtre-machine sensuel.
Maïa Bouteillet, Libération, 9 février 2001
1-5, place de la Libération 93150 Le Blanc-Mesnil