Dans cette création collective et décalée, avec peu de moyens, beaucoup d’inventivité et un art incomparable pour les bruitages, les interprètes du collectif Mind The Gap bousculent les codes du Grand-Guignol. Une joyeuse introspection sur nos fascinations collectives pour les crimes.
J’aurais mieux fait d’utiliser une hache est un spectacle dans lequel deux histoires se répondent. Une jeune femme, seule dans sa cuisine, revit en boucle son pire cauchemar. Une bande de scouts chante à tue-tête dans la forêt… jusqu’au drame.
Le 29 mars 1980 aux États-Unis, William Kemmler est condamné à mort pour avoir tué sa femme à coups de hache. Il sera le premier homme sur la chaise électrique, électrocuté à plusieurs reprises dans d’atroces souffrances, sous le regard impuissant de ses bourreaux incapables de dompter ce nouveau mode opératoire. La presse écrira : « Ils auraient mieux fait d’utiliser une hache ! »
À partir d’un référentiel cinématographique et de dizaines de litres de faux sang, Mind The Gap met en place un redoutable jeu de massacre. Flirtant avec un théâtre de genre, elles mettent à nu la machine théâtrale, jouant à faire grincer les rouages de la représentation jusqu’à ce qu’elle apparaisse comme une véritable manufacture du meurtre.
Voici une joyeuse introspection sur nos fascinations collectives pour les crimes, ces histoires vraies qui tissent nos mythologies communes et nous obsèdent autant qu’elles nous glacent.
À l’été 2020, Julia a rendu visite à pas moins de cinq marchands de presse avant de mettre la main sur le dernier Society retraçant l’affaire Dupont de Ligonnès : le magazine s’était arraché dans les kiosques et les deux numéros se sont écoulés à environ 400 000 exemplaires. Quand il était petit, Anthony s’est vu contraint de regarder Scream et ne compte plus les cauchemars qui ont suivi ce visionnage, pourtant aujourd’hui, du collectif, c’est lui le grand aficionado de films horrifiques. Solenn dévore avec engouement les séries documentaires traitant d’affaires criminelles diverses : Making a murderer, Ted Bundy, Le petit Gregory... Thomas nourrit un intérêt sociologique pour les figures de tueurs en série et leur traitement médiatique. Quant à Coline, elle a su dépasser son aversion pour les films d’horreur et se rêve aujourd’hui en Sream Queen.
De toute évidence, ce goût du frisson, si particulier, dépasse le cadre de notre collectif artistique. Faits divers, tueurs en série... Ces thématiques sont abondamment exploitées dans la culture populaire. Des slasher movies tels Black Christmas et Halloween jusqu’au magazine Le Nouveau Détective, le meurtre vend et opère une forme de séduction. Les faits réels deviennent des supports de fictions qui alimentent notre imaginaire, nos peurs, nos fantasmes. Qu’est-ce qui nous captive autant dans ces récits et la violence de ces images, faits, actes ? Comment se fait-il que tant de gens se rendent dans des salles obscures pour regarder des films d’horreurs, gores au point qu’ils en deviennent des franchises cinématographiques ?
En nous inspirant du Grand Guignol et en souhaitant rendre hommage au cinéma d’horreur, nous avons voulu, à notre tour, nous essayer à un théâtre de genre. Nous prenons appui sur un fait divers ayant eu lieu lors d’un camp scout en 1976 aux États-Unis, et empruntons de manière assumée les codes cinématographiques des slasher movies. De la fiction sonore au plateau de tournage, le spectacle dévoile au fur et à mesure ce qui se trouve «hors champ». Les mécanismes traditionnels du film d’horreur se détricotent, mis à nu devant les yeux du public. Tout en nous amusant à décaler les codes du genre et à brouiller les frontières entre réel et fiction, nous jouons avec les attentes des spectateur.ice.s.
Au-delà de l’hémoglobine et de la représentation de la violence J’aurais mieux fait d’utiliser une hache est un spectacle qui parle d’histoires. De la nécessité de traduire en fables nos angoisses et l’âpreté d’une réalité dont la férocité nous dépasse. De la jubilation à se raconter, à soi ou aux autres, des histoires qui font peur.
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