présentation
intentions de mise en scène
"Un homme à la mer!" Ca vaut mieux pour lui puisque c'est la fin du monde. Mais Jacob Jacobson acceptera-t-il d'émerger pour être un nouvel Adam? On retrouve ici, le très corrosif humour de Zeitlin. Ne manquez sous aucun prétexte la mise en scène aquatique que vous propose Stéphan Boublil.
A lentrepont dun navire, une nuit sur locéan, Le Travailleur, La Prostituée et Guignardélus, le poète jurent contre les nantis qui festoient sur le pont. Jacob Jacobson, le roi du bouton de culottes, les rejoint. Justement, le capitaine annonce une nouvelle guerre mondiale. Les misérables de lentrepont se révoltent contre la mobilisation avant de lacclamer sous linfluence dun député et du poète exalté par la récupération poétique des gaz toxiques. Seul Jacob Jacobson pressent la destruction totale, il saute du navire et disparaît, emporté par le Seigneur des Eaux quil est le seul à voir. Dans un abysse de lAtlantique, Jacob Jacobson assiste à la fin de lHumanité dont la chute des carcasses davions et de bateaux en sont lécho.
Seule lémeut véritablement, la vision de Lucy, sa femme très infidèle, enlacé dans la mort avec un pilote. Certains Esprits des Eaux tentent de le chasser mais, au nom de lesprit juif dassimilation, il insiste pour demeurer parmi eux. Un ange, Sansenoï, plonge pour apprendre à Jacob quil est le dernier, donc le premier homme du monde à venir. Jacob résiste à lappel de lEden : il ne veut pas participer à une Création aussi mauvaise que la précédente mais plutôt renégocier la place de lhomme. On ressuscite sa femme et elle le traîne vers lEden contre son gré. Lucy, nouvelle Eve, courtise le Serpent, ancien premier danseur dun dancing parisien. Jacob, demande à voir les générations à venir qui se présentent comme de piteuses marionnettes présageant la répétition à lidentique de lhistoire de lHumanité. Il préfère donc se pendre à lArbre de la connaissance. Quà cela ne tienne, un nouvel Adam est créé à partir de la côte dEve.
Jacobson. « Le juif et le nez, cest quasiment tout un. ». La pièce de Aaron Zeitlin est remplie de nombreuses affirmations péremptoires ou souvent catégoriques qui agissent comme autant de paroles minées prêtes à éclater à tout moment. On ne les remarque que parce quelles évoquent une situation grotesque à la réalité improbable. Il y a pourtant là quelque chose de tout à fait paradoxal, comme une négation du texte même, comme un inéluctable anéantissement. Dun « état de pesanteur » imposé par le texte - ce quil a de concret le lecteur se laisse entraîner dans des hypothèses des plus invraisemblables, happé par une authentique régression.
Chaque instant vécu par les personnages de cette pièce bouscule leur vérité et impose des situations qui uvrent souvent « malgré » ou « contre » leur volonté Fiction pure chahutant le réel pour le faire entrer dans un ordre « nouveau », obsédant, lancinant comme le doute. Le réel na de place que pour préserver contre linsensé. Et tout comportement irréfléchi engage la vie dautrui de façon irrévocable. Le réel ici sert plus à désapprendre quà découvrir. Il engage à un combat où la défaite - le rêve de Jacobson dun monde pur et sans Histoire- aurait plus à y gagner que la victoire.
Lécriture lyrique et incisive de cette pièce où la poésie de Aaron Zeitlin sert à exciter les personnages dans ce quils ont de plus secret, semble vouloir se passer du théâtre. Précisément parce que la densité du corps de lacteur la rend dangereuse, démesurée événementielle comme un attentat ou un tremblement de terre faisant la couverture du journal. Or, cest précisément entourés dun grotesque décor de théâtre que les personnages saffranchissent, livrent leur incontournable désir dexister et de dépasser ce qui les travaille et les construit dans le secret de leurs blessures. La mise en scène sattachera à observer et à protéger tous les possibles, du moment que les héros sacharneront à les revendiquer. Le combat sera donc celui pour ne pas mourir de la représentation, pour sélever jusquau désordre intérieur quitte à ce que celui-ci détruise lultime part de vérité derrière laquelle chacun de nous sabrite. Une tragédie sans doute, sans rivage lointain où sévader, où même les profondeurs de lOcéan ressemblent à un musée sinistre. Plus de refuge nul part semble nous dire Zeitlin, « et où trouver le repos ? » Lenjeu de la mise en scène sera de montrer que Jacob Jacobson appelle la scène pour mieux la fuir. Paradoxe pas si fuyant que ça.
3, cité Souzy 75011 Paris