Fragments poétiques
La mise en scène
Deux rencontres
Dans le ventre de la baleine, Jonas, qui est aussi Orphée dans le voisinage de la mort et des enfers, rencontre un scribe, qui range, explique et rend lisible, veille sur le fil du temps et tisse patiemment ce qui pourrait tenir lieu de récit. Il y a aussi Eurydice, la femme du Bazar, qui collectionne les objets, l’acteur et ses "prises de paroles", deux idiots, une fiancée, personnages protéiformes et cocasses, et au-dessus, à la surface de l’eau, deux pêcheurs qui observent et lancent des messages. Le texte est composé de fragments, d’éclairs, de monologues, de dialogues ou de polyphonies.
La baleine de Jonas, c’est l’enfer d’Orphée, ce lieu de passage avant une renaissance ou une résurrection - Jonas est resté trois jours dans le ventre de la baleine, comme le Christ est resté trois jours aux enfers avant de ressusciter. Le ventre de la baleine est un microcosme, où sont réunis les êtres, leurs passions, leurs souffrances, leurs manies, leur quête.
Par la Compagnie Dominique Houdart, Jeanne Heuclin et le Théâtre du Cristal.
Les personnages sont des voyageurs, chargés de bagages, de valises, et d’objets,
ils sont entourés de bandelettes, et pendant le déroulement du spectacle, ils vont
ouvrir leurs valises, sortir les objets qui encombrent, défaire leurs bandelettes, pour
enfin sortir de la baleine, purifiés, libérés, transfigurés, prêts pour une renaissance.
Le lieu est noir, humide, la mer entoure ce ventre matrice. Les personnages forment
un chur en transit, un peuple sur le chemin d’une nouvelle vie, qui se débarrasse
de son fardeau, de ses habitudes, de tout ce qui l’encombre.
Voyage initiatique au cur du poisson, symbole de lumière en puissance. Dans
l’Antiquité, le poisson servait de médiateur, d’instrument pour entrer en contact avec
la pensée divine. En Egypte, le poisson à deux jambes représentait l’initié, l’être illuminé. Ce passage dans le ventre du poisson, en enfer, permet d’accéder à la
connaissance. Pour Jung, la descente aux enfers est le symbole de l’inconscient.
Ce texte fragmenté est composé comme des bribes de rêve, des éclairs d’inconscient
qui surgissent de la bouche et des objets de chaque personnage.
Ils sont enveloppés des bandeaux du doute, dont ils se débarrasseront petit à petit,
comme d’un masque.
La Compagnie Dominique Houdart, Jeanne Heuclin avec le Théâtre du Cristal réalise Jonas Orphée ou le ventre de la baleine en 40 fragmentsde Patrick Dubost.
Tout est né de deux rencontres. Un auteur, Patrick Dubost, que nous avons entendu lire un de ses textes à la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon. L’envie d’une collaboration, la naissance d’un spectacle joué par notre compagnie il y a six ans, l’Inventaire des Théories, le souhait de prolonger cette rencontre, la découverte d’un nouveau texte de Patrick Dubost, splendide, poétique, Jonas Orphée.
Ensuite, le Théâtre du Cristal : quelques membres de cette Compagnie composée de comédiens en situation de handicap ont participé à une opération Padox avec nos marionnettes habitables, avec l’Université et la Scène nationale de Cergy-Pontoise. Belle rencontre, là encore, envie de continuer ce compagnonnage, proposition faite par Olivier Couder, le directeur du Théâtre du Cristal, cette Compagnie attachante.
Les deux chemins se sont croisés, et notre Compagnie s’associe au Théâtre du Cristal pour monter Jonas Orphée, que nous jouerons à Létoile du nord du 5 mars au 7 avril 2007, dans un décor de Jean-Baptiste Manessier et une musique d’eau de Véronique Wilmart.
Il ne s’agit pas là d’une histoire continue, l’écriture de Patrick Dubost est une juxtaposition de fragments (nous en avons retenu 44 sur les 147 que comporte le texte d’origine). Écriture poétique, sensible, elle ne fait pas uniquement appel à l’intelligence, mais surtout à l’intuition, à l’émotion. Elle porte des éclairs, des fulgurances, elle est fragmentée, haletante, souvent teintée d’humour et de légèreté. Cette pièce étrange, décalée, renouvelle avec bonheur l’écriture théâtrale contemporaine, tout comme le jeu des comédiens du Théâtre du Cristal apporte un décalage, un basculement dans un univers mental, une sorte d’art brut théâtral, un retour aux origines de la théâtralité la plus essentielle.
Jonas dans la baleine, Orphée aux enfers, nous voilà dans un univers d’enfermement, de psychose, avec ce besoin vital d’en sortir, de s’en sortir, en se débarrassant de ses valises, de ses bandelettes, de ses maux, de ses phobies, de ses manies. La sortie de la baleine, de l’enfer, de la maladie, est une renaissance, une résurrection.
Dominique Houdart
16, rue Georgette Agutte 75018 Paris