Théâtre en Nicomédie
Jouer avec Nicomède
La presse
En travaillant sur le théâtre de Corneille, j’aiété frappée par le nombre important pièces que Rome lui avait inspiré (treize), particulièrement celles dont l’action se déroule dans « les pays alliés » de Rome. Cinq oeuvres forment un ensemble que j’ai intitulé : le théâtre colonial de Corneille. En font partie : La Mort de Pompée (en Egypte), Nicomède (en Turquie), Sophonisbe (en Tunisie), Sertorius (en Espagne) et Suréna (en Iran). Corneille y décrit la politique impériale des Romains et les stratégies hasardeuses, de collaboration ou de résistance, des populations dominées : c’est qu’il excelle à mettre en scène les relations dialectiques qui se tissent entre eux, la fascination qu’ils exercent les uns sur les autres, singulièrement par le biais des femmes.
Parmi ces cinq pièces coloniales, Nicomède est sans doute la plus résolument politique, la plus résolument critique. Voici comment Corneille s’explique à son lecteur : « Mon principal but a été de peindre la politique des Romains au dehors, et comme ils agissaient impérieusement avec les rois leurs alliés, leurs maximes pour les empêcher de s’accroître, et les soins qu’ils prenaient de traverser leur grandeur, quand elle commençait à leur devenir suspecte à force de s’augmenter et de se rendre considérable par de nouvelles conquêtes. »
Tout en s’inspirant comme à son habitude d’un historien de l’Antiquité, il imprime à cette pièce un ton particulier qui la détache des autres tragédies. Dans un monde absolument noir, désespéré, il fait surgir un homme libre, un héros intrépide, sans peur et sans reproche et que rien n’ébranle, tandis qu’autour de lui tout n’est que calculs, complots, trahisons.
Nicomède ne cherche pas à susciter la pitié ou la crainte mais, ironique, cinglant, provocant, avec une jubilation et une énergie à peine imaginables, il renvoie chacun à son triste secret : la soif de pouvoir qui se mêle à la faiblesse morale, la jalousie, l’envie devant la grandeur qui les conduisent au pire. Nicomède dénonce certes la politique romaine mais aussi la soumission honteuse du roi de Bithynie, son père, ainsi que les intrigues de la reine, épouse séductrice, marâtre de « Ni-Comédie ».
Rarement en effet les genres auront été plus mélangés : il s’agit d’une tragédie politique, mais chaque scène ou presque atteint à la bouffonnerie ! Corneille s’essaie à un nouveau genre : selon lui, Nicomède doit provoquer l’admiration chez le spectateur, et non plus l’effroi ou les larmes. Grâce à cette nouvelle règle, la théâtralité est poussée à l’extrême. L’ironie cinglante et l’intrépidité du héros mettent le spectateur à distance; au lieu d’une empathie respectueuse, il doit éprouver une intense jubilation devant la mise en pièces de la machine politique, devant les intrigues, les mensonges du théâtre de la politique. Face à ce héros résistant, au-delà de toute mesure, Corneille veut un spectateur lucide et heureux.
Cette pièce aujourd’hui est passionnante du point de vue politique, mais également du point de vue de sa forme: il y a constamment du théâtre dans le théâtre et c’est cette théâtralité exhibée (comédie/tragédie du pouvoir) qui fait de Nicomède une pièce singulière, et m’a donné envie d’expérimenter une mise en scène contemporaine dans laquelle les spectateurs seront proches des acteurs, invités en quelque sorte dans le théâtre en train de se faire ! Les sentiments amoureux, les situations politiques, sont connus pour être les ingrédients essentiels de ce théâtre.
Pourquoi ne pas en profiter pour s’interroger sur le tour qu’ils prennent dans cette pièce : ces sentiments, peut-on les éprouver encore ? Ces situations, ne ressemblent-elles pas à d’autres, très actuelles ? La résistance et la collaboration avec les Romains sont-elles modernes ? Sont-elles de tous les temps ? La distance qui semble nous éloigner d’abord de ce théâtre n’est-elle pas aussi celle qui, précisément, nous en rapproche ? Car toute grande pièce est une histoire qu’on raconte, mais elle a aussi les effets d’un oracle : nous y lisons notre destinée.
Brigitte Jaques-Wajeman
"Brigitte Jaques-Wajeman procède à une mise « en jeu et en mouvenment vif » de cette comédie tragédie du pouvoir dans un désir de « théâtralité exhibée ». Un dispositif de bancs installés en carré [où prennent place les spectateurs] transforme [le Théâtre] en salle à manger à longue et immense table. Depuis toujours, elle oeuvre avec un complice en intelligence : François Regnault. Chez Corneille ils sont chez eux en magiciens. Huit acteurs leur ont emboîté le pas, vivement, allégrement : octuor de choc. Tantôt effréné. Tantôt si serein." Mathilde La Bardonnie, Libération, 12 février 2008
"Fine lectrice de Corneille, Brigitte Jaques-Wajeman s'empare de cette pièce politique avec une troupe qui libère une juste énergie." Gwénola David, La Terrasse, 12 février 2008
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