Spectacle en langue catalane présenté en version surtitrée
Dans Jules César, première de ses tragédies historiques romaines, Shakespeare montre un acte révolutionnaire, le meurtre de l’empereur perpétré par Brutus au nom d’un groupe de conjurés, sans qu’ait été envisagée la moindre alternative républicaine à l’absolutisme.
L’ordre ancien anéanti, aucun projet politique nouveau n’a été pensé pour lui succéder : c’est cette béance qu’Alex Rigola, jeune metteur en scène associé au Théâtre Lliure de Barcelone, interroge à la lumière de l’actualité, dans une relecture résolument contemporaine de la pièce.
Rome, 44 avant Jésus-Christ. Vainqueur du grand Pompée au terme d’une âpre et longue guerre civile, Jules César, de retour dans Rome, est réélu consul pour la quatrième fois et proclamé dictateur à vie. Tandis que, crédule, la foule l’acclame et lui réserve un triomphe, les sénateurs les plus modérés s’émeuvent de cet excès de titres et de pouvoirs. En dépit de funestes présages (paroles prophétiques, dérèglements de la nature, songe prémonitoire...) César se rendra quand même au Capitole et tombera sous les coups d’une conjuration menée par Brutus, jusque-là son plus affectueux protégé. Il suffit alors à Marc-Antoine, autre «fidèle» désigné à la hâte pour prononcer l’oraison funèbre - un des plus beaux discours politiques de toute l’histoire du théâtre! -, de renverser habilement l’opinion pour plonger Rome dans une seconde guerre civile, celle-là même d’où sortira victorieux un nouveau triumvirat composé de Marc-Antoine, César Octave et Lépide, les trois futurs protagonistes d’Antoine et Cléopâtre.
Dans une mise en scène résolument contemporaine, fondée sur l’énergie corporelle et chorale de sa troupe d’acteurs, le jeune metteur en scène catalan Alex Rigola pose la question suivante: au-delà de l’élimination prématurée d’un chef encombrant, les conjurés sont-ils guidés par des idées, une utopie, un programme, ne serait-ce qu’un vague projet? La réponse est non: seules tiennent lieu d’objectif politique la fascination pour le pouvoir, l’ambition personnelle et la course aux honneurs...
La lecture que propose Alex Rigola de la tragédie de Shakespeare se nourrit du désenchantement
de toute une génération aujourd’hui confrontée au deuil des idéologies, à l’absence de perspective, et à la manipulation émotionnelle de l’opinion sans que la moindre petite lueur «alternative» n’offre le change et ne réveille la plus petite parcelle d’espoir.
On l’aura compris, dans ce cycle stérile des meurtres et des suicides, carrousel infernal et vain où tour à tour défilent Pompée, César, Cassius, Lépide, Octave, et Marc-Antoine comme autant d’effigies interchangeables, toute ressemblance avec des situations politiques actuellement identifiables en Europe ou ailleurs serait purement accidentelle.
Y. M.
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