Spectacle en anglais surtitré en français.
Chronique d’un Empire aux objectifs démesurés
Synopsis
A propos de Shakespeare
On renverse un tyran pour des motifs troubles, confus et plus ou moins valides…
(…) s’ensuivent une sale guerre sans fin et un monstrueux gâchis de vies humaines... Sommes-nous en 44 avant Jésus-Christ ou en 2003 après ? Deborah Warner le dit elle-même : « L’époque se prête particulièrement bien à un retour sur Julius Caesar. Cette chronique d’un Empire aux objectifs démesurés montre frontalement les conséquences des violences perpétrées, l’individu noyé sous les retombées de décisions absurdes, et la réponse logique que le monde donnera à tout ceci. Quand devant nos yeux l’époque révèle l’actualité d’un texte, c’est passionnant. »
Dès la fin des années quatre-vingt, Deborah Warner se propulse au premier rang des metteurs en scène de stature internationale avec un Shakespeare, Titus Andronicus, mémorable et limpide, un événement si impressionnant que certains spectateurs du Pit à Londres en perdaient connaissance. Elle revient aujourd’hui au célèbre barde et à la Rome antique pour Julius Caesar, avec Ralph Fiennes, Anton Lesser et Simon Russell Beale parmi une distribution de trente comédiens et cent figurants.
Dans le vaste éventail des domaines qu’elle embrasse (depuis le théâtre classique ou les installations dans un lieu précis, jusqu’à l’opéra et aux programmes de chant), le travail de Deborah Warner se caractérise immanquablement par une lisibilité, une détermination inouïes et par une portée particulièrement riche. Elle brûle du désir de sortir le théâtre classique des préjugés contraignants, de libérer la représentation de l’anesthésiante monotonie des salles conventionnelles. C’est radicalement qu’elle perçoit et qu’elle réfléchit. Cela peut la mener à choisir une femme, Fiona Shaw, pour incarner Richard II - un point de vue riche en palpitants rebonds -, à montrer le héros de Don Giovanni tentant l’ultime blasphème de violer la statue de la Vierge Marie, ou à envoyer les gens à travers New York suivre le mystérieux jeu de piste solitaire de l’Angel Project, une aventure qui transformait la ville entière en installation géante.
Quand nous nous sommes rencontrés, les répétitions n’avaient pas encore commencé, mais clairement son singulier instinct ne demandait qu’à s’exprimer. Elle pense, par exemple, qu’après la montée dramatique de la conspiration, de l’assassinat puis des discours déchaînés prononcés lors des funérailles, Shakespeare « envoie sa pièce au front », et pas seulement littéralement : aussi dans le sens où il décide de lancer un raid sur tout un nouveau langage dramatique. Un pari de mise en scène qu’elle entend bien mener de front. « Il va sans doute nous falloir changer de langage pendant le spectacle, pour que notre expérimentation tente de suivre celle menée par Shakespeare. Le public aura peut-être le sentiment, quand il reviendra après l’entracte, de prendre un autre spectacle en route.
Deborah Warner ne s’engage jamais dans un projet en s’embarrassant d’idées toutes faites sur l’interprétation. Pour elle, « c’est au casting que l’on commence à sentir un spectacle. » Ralph Fiennes a travaillé pour la première fois avec elle bien avant qu’il ne jouisse d’une célébrité cinématographique : il interprétait le dauphin dans sa mise en scène du Roi Jean de Shakespeare, en 1988 pour la Royal Shakespeare Company. Ces retrouvailles étaient prévues de longue date. Tous deux s’accordent à penser que Marc Antoine est bien plus que le séduisant opportuniste que l’on montre d’habitude. « Son émotion quand il pleure sur le corps inanimé de César, j’y crois, déclare la metteur en scène. Je n’imagine pas qu’il ait un plan, qu’il manigance quoi que ce soit. Après l’assassinat, il n’a que deux possibilités : prendre l’initiative ou fuir. Marc Antoine n’est pas un fuyard. Il reste, il prend la situation en main. »
Ses choix fascinent. À la tête des conspirateurs, elle a retenu Anton Lesser pour interpréter Brutus, l’intellectuel angoissé. Simon Russell Beale, lui, flamboyant érudit, sera Cassius, l’aigri, le « maigre et affamé ». Elle l’admet volontiers, certains pourront juger ses choix paradoxaux. Mais c’est sous-estimer à quel point ces merveilleux comédiens ont apprivoisé leurs contraires, et ignorer que ces deux amis proches (mais en conflit) partagent les qualités de l’autre. « Il est clair que les faire fonctionner ensemble est plus dynamique que de les séparer, dit Deborah Warner. Je trouve que chez Cassius le besoin d’être aimé est assez violent. »
Selon les époques et leurs exigences, Julius Caesar a parfois été simplifié. On en a fait un acte d’accusation contre des conspirateurs progressistes trop faibles qui ratent leur coup d’état légitime contre un véritable tyran. C’était le cas par exemple quand Orson Welles monta la pièce après l’arrivée des fascistes au pouvoir dans les années trente. Deborah Warner, elle, voit d’abord la pièce comme une tragédie humaine sur le sinistre destin de trois hommes remarquables. La richesse émotionnelle de cette lecture sera sans nul doute soulignée par ce que Deborah Warner montrera du personnage circonscrit mais dévastateur de Portia, épouse de Brutus. Avec Anton Lesser dans le rôle de son mari, leur relation se révélera probablement ici comme un rapport d’attirances fortes, voire tendues, entre deux semblables.
Julius Caesar montre le dangereux pouvoir de l’orateur sur les masses, et la vitesse terrifiante à laquelle une foule peut se transformer en meute (dans le texte, on lynche le poète Cinna parce qu’il porte le même nom qu’un des conspirateurs). Deborah Warner déploiera ici une foule conséquente de cent figurants. À Salzbourg, dans Coriolan, elle avait déjà dirigé une distribution de deux cent cinquante personnes, mais elle pense avoir plus appris sur la dynamique des masses en préparant son Angel Project à New York, quand son « interprétation » des foules de Manhattan faisait partie prenante du projet. Cela montre tout ce que nous apporte la diversité et la largeur de point de vue de Deborah Warner. Les scènes cruciales des hordes romaines sont souvent, sur scène, une épouvantable déception, soit hésitantes et clairsemées, soit denses et désordonnées. Ce Julius Caesar semble sur les bons rails pour prouver que, cette fois et avec un grand metteur en scène aux commandes, les grands rassemblements sont capables de grandes choses.
Paul Taylor, traduit de l’anglais par Harold Manning
Les ambitions de César provoquent un complot parmi les défenseurs de la liberté romaine, Cassius et Casca en sont les chefs ; ils persuadent Brutus, qui est un adversaire des visées de César, mais non de César lui-même, d’y participer ; aussi n’accomplit-il qu’à regret les actes auxquels il ne peut se soustraire. Nous voyons Brutus se défendre contre l’insistance de sa femme Portia à vouloir partager son secret ; puis Calpurnia, l’épouse de César qui, avertie par un songe, cherche à détourner son époux de se rendre au Capitole pour les ides de mars. Mais l’un des conjurés, Decius, arrive à le convaincre que sa présence est nécessaire, et les efforts déployés par le sophiste Artemidore pour le mettre en garde demeurent vains. César est assassiné ; les cris de « Liberté ! Indépendance ! » éclatent dans la ville, suscités par les conjurés qui espèrent avoir le peuple pour eux.
Mais Marc Antoine, par l’habile oraison funèbre qu’il prononce sur le corps de César, soulève la foule qui était restée froide devant le discours trop sec de Brutus. L’insurrection populaire contraint les conjurés à la fuite : un gouvernement de triumvirs est formé avec Antoine, Octave et Lépide, qui marchent contre les troupes de Brutus et Cassius. A la veille de l’épreuve, ces deux amis ont une altercation, puis se réconcilient ; Brutus apprend alors à Cassius la nouvelle de la mort de Portia. Ce célèbre colloque (« half-sword parley ») fut une des scènes les plus admirées par les contemporains de tout le théâtre de Shakespeare. Le spectre de César apparaît à Brutus. dans la plaine de Philippes, Brutus a l’avantage sur les forces d’Octave, tandis que Cassius est battu par Antoine. Croyant que Brutus a lui aussi été vaincu, Cassius se tue ; le fidèle Titinius suit son exemple. Dans la seconde bataille, Brutus à son tour, découragé par la mort de Cassius, connaît la défaite ; lui aussi se donne la mort.
Le problème de l’interprétation de ce drame, qui ouvre la série des grandes tragédies shakespeariennes, est assez compliqué. La plupart des critiques s’appuyant sur le fait que la mort de César a lieu à un stade prématuré de l’action, estiment que César n’est pas le protagoniste de la tragédie et soutiennent que ce rôle est dévolu à Brutus. En revanche, d’autres font valoir que l’esprit de César domine tout le drame, même après sa mort, et que son nom est sur les lèvres de Brutus et de Cassius quand ils se suicident. A première vue, il peut sembler que le véritable protagoniste soit Brutus, d’autant qu’à la fin de la pièce celui-ci est évoqué par Antoine avec des paroles qui, par analogie, pouvaient s’appliquer à Shakespeare lui-même : « De tous les Romains, c’était le plus noble ; tous ces conspirateurs, excepté lui, firent ce qu’ils ont fait par jalousie du grand César ; il s’est associé à eux, lui seul, dans l’honnête pensée du bien public, du bonheur de tous. Sa vie fut noble, et ses qualités si bien mélangées que la Nature pouvait se dresser et dire à l’univers entier : « C’était un homme ».
Mais Brutus au Ier acte est dans une position secondaire par rapport à Cassius ; dans le IIIe acte, sa personnalité est éclipsée par celle d’Antoine ; dramatiquement parlant, son rôle n’est de premier plan qu’aux IIIe et IVe actes. Pour résoudre le problème, certains ont pensé que le véritable protagoniste était l’idée que personnifiait César, c’est-à-dire l’idéal d’autorité absolue, auquel s’oppose l’idée républicaine, incarnée dans les défenseurs de la liberté de l’antique Rome. D’autres enfin ont trouvé ces recherches bien vaines, puisque les destins de César et de Brutus sont indissolublement liés, puisque enfin, lorsque le propre destin de Brutus, son démon, lui apparaît (acte IV, sc. 3), c’est avec le visage de César. La tragédie a un rythme haletant qu’on sent conduit par une Némésis sans pitié. Les passages principaux sont, dans la première partie, la mort de César ; dans la seconde, le suicide de ses agresseurs. Entre ces points culminants, il y a une pause : la réunion des triumvirs qui, à l’écart du tumulte tragique, le contemplent d’un regard froidement calculateur.
L’élément comique est à peu près absent dans cet austère drame romain comme il l’est dans Coriolan ; s’il y a rire, c’est un rire amer suscité par le sort du poète Cinna, que la foule massacre par erreur, et par la naïveté de cette même foule si facilement conquise par les impudents expédients oratoires du discours d’Antoine. Parmi les vers de cette tragédie, l’un d’eux est passé en proverbe, celui de la scène 2 de l’acte III, quand Antoine montre les déchirures faites par les poignards dans le manteau de César : « De tous ces coups, celui-là fut le plus cruel ; car, quand le noble César se voit frappé par lui, plus puissante que les armes des traîtres, l’ingratitude l’acheva » (This was the most unkindest cut of all…).
Dictionnaire des œuvres, collection Bouquins, Ed. Robert Laffont
« He was indeed honest, and of an open and free nature. » Ben Jonson
« Toutes les œuvres de Shakespeare sont des feuilles volantes arrachées au grand livre de la Nature, des chroniques et des annales du cœur humain, non une morale articulée en chapitres et illustrée d’exemples éloquents. » Goethe
« Cet infini, cet insondable, tout cela peut être dans un esprit, et alors cet esprit s’appelle génie, et vous avez Eschyle, vous avez Isaïe, vous avez Juvénal, vous avez Dante, vous avez Michel-Ange, vous avez Shakespeare, et c’est la même chose de regarder ces âmes ou de regarder l’Océan. » Victor Hugo
« Shakespeare n’a jamais voulu que quelqu’un étudiât Shakespeare. Ce n’est pas par hasard qu’il a gardé l’anonymat. Ce n’est qu’en oubliant Shakespeare que nous pouvons commencer à le trouver. » Peter Brook
« En quoi consiste avant tout la grandeur de Shakespeare ? Il semble que ce soit dans la constance de son génie. A son époque même, ils furent nombreux à produire des œuvres de qualité, mais aucun ne fournit cette régularité dans l’excellence que reflètent les pièces de Shakespeare à partir de 1593. Il réussissait dans la tragédie aussi bien que les spécialistes du genre, voire, dans des œuvres aussi stupéfiantes que Hamlet, beaucoup mieux. Cette excellence dans tous les genres est servie par une langue inouïe. » Anthony Burgess
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