Kafka Père et fils

Paris 18e
du 22 juin au 1 juillet 2007

Kafka Père et fils

Père/Fils, un solo d'acteur tragique mais non moins humoristique qui mêle et fait dialoguer deux textes de Kafka : onze fragments de la Lettre au père avec onze portraits du récit des Onze fils.
  • La diffraction des voix qui traversent l’écrivain

La lettre que Kafka écrivit à son père ne parvint jamais à son destinataire. Elle fut par la suite publiée et devint La Lettre au père. Dans Onze fils, récit inventé par Kafka, un père évoque successivement ses onze fils et règle leurs comptes. Autant dire que dans ces deux textes, Kafka tient tour à tour le rôle du père et celui du fils.

C'est cette situation duelle que reproduit François Poujardieu en interprétant seul en scène cette confrontation d'un père avec, vraisemblablement, onze facettes d'un même fils. Les deux textes se mêlent et se répondent tout comme l'acteur se divise pour, alternativement, adopter les postures de l'un et de l'autre. Dans ce dialogue de sourds, chacun entend ce qu'il peut, ce qu'il veut: le tragique n'est pas exempt d'humour voire de drôlerie. Une certaine et secrète tendresse côtoie les méchancetés trop manifestes. Et quand le pathétique devient trop poignant c'est le récit bouffon, avec ces onze clowns de fils, qui prend la relève.

Un père et ses fils. Un fils et son père. Il semble qu’on soit au cœur du drame de Kafka. S’il y a un tel cœur et un tel drame. Mais déjà la question fuit, car Onze fils est un récit, une fiction tandis que la fameuse Lettre au père n’en est devenue une que parce que Franz Kafka s’est arrangé pour qu’elle ne parvienne jamais à son destinataire. Il y fait d’ailleurs les questions et les réponses, et à supposer que le père eut consenti à répondre, c’eut été moins bien que du Kafka ! L’artiste entend être le dernier à parler, et demeure souverain, « dût la honte survivre ».

Du même coup, cette fiction des Onze fils à qui, comme autant de rounds, le Père entend régler leurs comptes en nous parlant d’eux, elle fait éclater la vérité que toute fiction contient, comme si Kafka se parlait à lui-même, s’infligeant « onze vérités » sans merci, et bien d’autres encore, car onze, c’est dix vérités et toujours une de plus, comme les Mille et Une nuits qui sont un nombre infini.

François Poujardieu propose à la scène cet exercice troublant de symétrie non réciproque, pour faire entendre au travers d’une seule voix, celle d’un acteur, la sienne, la diffraction des voix qui traversent l’écrivain s’imaginant le père de tant de fils et s’expliquant fils avec un tel père.

Combat de soi avec soi, et pour l’auteur et pour l’acteur, afin que, dans le public, chaque fils, et peut-être aucun père, entende ce qu’il peut en entendre : l’inexpiable, mais aussi le drolatique, le tragique et l’humoristique, et jusqu’à cette secrète tendresse qu’une méchanceté trop appliquée ne peut manquer de contenir.

Par la Cie Prologue.

  • Tragédie intime

L’acteur donc se divise en deux pour jouer ce père, et ce fils. Pour jouer aussi ce qui est entre les deux. Un rapport difficile. Peut-être impossible. Sans doute mortel. Le visage de l’acteur dessine cette division. Non de façon représentative. Plutôt comme ces dessins dont certains Amazoniens ornent leurs visages, et où se déchiffrent oppositions et correspondances.

On se fait lentement le témoin du drame qui se joue entre tel père et ses fils, entre ce fils et son père, sans qu’on sache s’il s’agit de tout père et de tout fils. Comme ce rapport entre père et fils hante le théâtre depuis fort longtemps, Œdipe, Hamlet, Les brigands, Le Pain dur, mais comme le drame se joue avec un seul protagoniste, on pourrait appeler cet exercice tragédie intime, monodrame, théâtre de chambre.Cet « exercice » (nous avons plaisir à l’intituler ainsi) pourrait s’accompagner, dans un futur proche, d’autres textes de Kafka autour de cette même question.

Il ne s’agit pas d’analyse, mais de théâtre. Kafka, fasciné par le théâtre Yiddish, mais n’en ayant lui-même écrit que fort peu, écrit des récits et des nouvelles qui sont essentiellement romanesques, et ne passent pas la rampe sans de sérieuses transformations (ainsi La Métamorphose), d’autres, adressés (comme Onze fils, comme Lettre au père), ou dialogués (comme La colonie pénitentiaire) donnent aisément lieu à du théâtre ou à un théâtre.

  • Enjeu dramatique

Au début, dévoilement alterné des profils du visage qui place le spectateur dans l’engrenage d’une double tension : point de vue du père / point de vue du fils. Traque obsessionnelle d’une paternité idéale dans les portraits des Onze fils. Acharnement de Kafka à trouver un salut dans les récriminations épistolaires faites à son père.

La force dramatique du spectacle tient à la transformation des prises de parole : adresse et confidence, véritable ou faux soliloque selon la posture adoptée… La mise en espace de F. Regnault expérimente les formes de leurs relations au public autour de trois manières d’entrer sur le plateau, d’y rester ou d’en sortir. De leurs combinaisons, se trame une action très soutenue, fluide et dense à la fois.

Son avancée ne conduit pas à une résolution possible du conflit mais à son dépassement le plus absolu : « il me semble qu’on arrive malgré tout à un résultat approchant d’assez près la vérité pour nous apaiser un peu, et nous rendre à tous deux la vie et la mort plus faciles. » (Kafka, Lettre au père)

François Regnault

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Spectacle terminé depuis le dimanche 1er juillet 2007

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