La pièce
Quelques repères à propos de Edmond Kean
A propos de Frédérick Lemaître
La vie excentrique d’Edmond Kean, son luxe excessif, ses orgies à la taverne, ses aventures galantes, son génie aviné, qui se réveillait aux lueurs de la rampe, offraient à un auteur dramatique un cadre tout tracé. Alexandre Dumas a essayé de le remplir, et il a eu l'heureuse chance de pouvoir faire incarner le grand artiste anglais par un grand comédien : Frédérick Lemaître.
Au moment où l'action s'engage, Kean est adoré de 3 femmes : Betty, fille d'un vieux batelier ; Anna Damby, jeune et riche héritière, et enfin la belle Comtesse de Koefeld, femme d'ambassadeur de Danemark, vivement courtisée par le Prince de Galles. C'est la seule dont Kean soit amoureux, et elle doit venir le trouver le soir même au Théâtre, dans sa loge. En attendant l'heure, il va se griser à la Taverne, parmi des laquais ivres - morts...
Edmond Kean, célèbre comédien anglais, est adulé du Peuple et de la Noblesse qu’il méprise. Il est le rival en amour du Prince de Galles. Ces deux bambocheurs infâmes sont inséparables. Beauté, Royauté, Génie… C’est une pièce sur le "jeu", le "je", les rapports entre le Pouvoir et les Artistes…
Orgueil, Jalousie, Amour… thèmes jetés délicieusement et cruellement dans l’univers de Shakespeare qui hante la pièce à chaque réplique. L'intérêt a été de rendre une dimension sombre, intimiste de Kean, privilégiant ainsi un aspect vrai, de confidences, avec les autres personnages.
Rares sont les scènes qui mettent en présence plus de 2 personnages. Shakespeare plane sur Kean et son souffle est omniprésent : hommage, respect et reconnaissance à cette osmose que Dumas a su saisir et Sartre enrichir.
(Londres le 04/ 11/ 1787, Richmond le 15/ 05/ 1833). Il eût pour mère, la fille du poète Saville Carey et pour père, un tailleur pauvre, Aaron Kean, frère du fameux mime et ventriloque Moses Kean. Il se prétendait bâtard du Duc de Norfolk, mort en 1815.
Dès qu'il put marcher, on le plaça à Drury-Lane, où, sous la direction d'un baladin en renom, ses membres apprirent à se disloquer et, à 5 ans, il figurait à côté de John Kemble, jouant un lutin, dans la scène des sorcières de Macbeth.
A 21 ans (juillet 1808), il épousa Mary Chambers, que la misère seule avait faite actrice, et qui ne voyait dans ce métier qu'un gagne-pain, sans se soucier de l'art, qu'elle ne soupçonnait même pas. Ils eurent 2 enfants, dont l'aîné mourut en bas-âge.
Edmond Kean rencontra en la personne du Docteur Drury un appréciateur équitable de son talent, dont il commençait seulement à montrer les germes, et, le 26 Janvier 1814, il obtint de débuter à Drury-Lane, dans le rôle de Shylock, du Marchand de Venise. Ce fut la révélation d'un art nouveau. Renversant toutes les traditions, Kean présenta, au lieu d'un vieillard rapace, usurier avide de richesse, un persécuté avide de vengeance ; il rajeunit de 20 ans le personnage. Sa réussite fut complète. Il aborda successivement les rôles d'Hamlet, Othello, Iago et Roméo, et produisit dans tous un effet captivant. Mais ses 2 meilleures créations furent celles d'Othello et de Richard III.
Son succès fut tel qu'en moins de 6 mois, ses profits personnels montèrent à 250 000 francs. Cette extrême opulence, succédant à une profonde misère, grisa le grand artiste, qui, d'un côté, put se livrer à une prodigalité sans bornes, et, de l'autre, ne tarda pas à se déconsidérer par des fantaisies excentriques et des goûts crapuleux : écurie splendide, meubles incrustés d'or, bateaux…
Mais ses vrais plaisirs étaient à la taverne, dans la société d'une bande de truands et c'est dans l'une des plus infimes tavernes de Londres, le Coal-Hole (Trou au Charbon), qu'il fallait souvent aller chercher Richard III ou Roméo et le traîner tout chancelant sur la scène. Plus d'une fois, Kean apparut en un tel état d'ivresse sur le Théâtre qu’il fallut le faire rentrer dans une coulisse.
A une représentation à son bénéfice, il entra en scène totalement ivre, ne pouvant ni se tenir droit ni articuler nettement.Kean s'approcha de la rampe : « Ladies et gentlemen, je comprendrais ces manifestations d'un public ordinaire, indifférent à l'Artiste qui se trouverait dans mon état ; mais aujourd'hui cela ne peut se justifier. C'est pour moi, pour me faire fête, pour me témoigner votre sympathie que vous êtes ici, et j'ai pensé qu'entre amis le laisser-aller était chose sans conséquence ».
Dans la première moitié de sa carrière, le public lui passa tout, en faveur de son génie. On applaudissait à outrance jusqu'à ses plus inexplicables écarts. Le bruit de ses triomphes se répandit sur le continent ; de sorte que, lorsqu'il vint en France en Juillet 1818, Talma lui offrit un superbe dîner, où étaient réunis les artistes les plus distingués de notre scène.
Les années 1827 et 1828 virent ses derniers triomphes ; en 1828, il vint à Paris et joua Richard III au Théâtre Favart. On fut obligé d'aller le chercher au Café Anglais où il s'enivrait pendant que la salle pleine attendait le lever du rideau ; et encore faillit-il casser une bouteille sur la tête du garçon de salle qui vint le rappeler à son devoir. Il parut enfin, mais dans un état si pitoyable, qu'il s'en fallut de peu qu'on ne sifflât ; puis retrouvant toutes ses facultés, il joua son rôle avec une telle perfection, qu'il arracha à la salle entière des cris enthousiastes. Ce fût un de ses derniers éclairs.
Quatre ans après, usé par la débauche la plus extravagante, il mourut à l'âge où son talent aurait dû être dans toute sa force, laissant dans la misère sa femme et son enfant.
Sa vie et son nom ont été popularisés par la pièce d'Alexandre Dumas. Frédérick Lemaître, un de nos plus célèbres comédiens contemporains, souvent, d'ailleurs comparé à Kean, a rendu avec une énergique vérité le désordre et le génie du tragédien anglais.
Parmi les plus grands admirateurs de Kean, on doit citer d'abord Lord Byron, qui se rendait au Théâtre chaque fois que Kean devait représenter Richard III. Kean possédait un talent original et des qualités rares ; il déploya parfois une terrifiante énergie, une imitation franche des passions et réussit surtout à bien exprimer la malice et la cruauté. Il retraça les traits rudes et les passions sauvages de la tragédie gothique avec une grande vérité.
Le rôle de Shylock fut toujours un de ses meilleurs, ainsi que celui de Richard III. Ce dernier est son triomphe aux yeux de la multitude, tandis que les connaisseurs placent son plus grand succès dans le 3ème Acte d'Othello, dans lequel il s'est montré pour la première fois simple et pathétique. Il a moins convaincu dans Hamlet et Macbeth, rôles pleins encore du souvenir de John Kemble, avec lequel on l'a trop facilement placé en parallèle.
Kean fut prôné surtout par la foule ; les journaux firent tourner à son avantage ses défauts mêmes, sa voix rauque ; on célébra, comme des inspirations d'un génie original, ses gestes saccadés et sa manière toute nouvelle de réciter.
«…Frédérick commençait cette belle et grande réputation si consciencieusement acquise, si bien méritée. C’était un de ces acteurs privilégiés dans le genre de Kean, plein de défauts, mais aussi plein de qualités ; le génie de la violence, de la force, de la colère, de l’ironie, du fantasque, de la bouffonnerie était en lui… , Chapitre CLXXXV.
«…Frédérick était alors dans toute la fougue de son talent. Inégal comme Kean, sublime comme lui, il avait au même degré les qualités et à un degré inférieur les défauts qu’il a aujourd’hui… », Chapitre CCXVII.
«… Frédérick, homme de talent capricieux, violent, emporté a naturellement dans le caractère de l’emportement, de la violence, du caprice. C’est le Kean français… », Chapitre CCXXXV.
Extraits de « Mes Mémoires » d’Alexandre Dumas
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