L'Echange (1ère version)

Marseille (13)
du 15 au 26 octobre 2002
2H20

L'Echange (1ère version)

CLASSIQUE Terminé

" J'ai aimé et je n'ai point été aimée. J'ai été unie à lui et tout vivant il s'est séparé de moi. Et il m'a déclaré qu'il m'abandonnait et qu'il se séparait de moi par sa propre volonté. Et il m'a vendue comme un animal ! "

Présentation
Un mot du metteur en scène
La presse
La lettre
Extrait des " mémoires improvisés " : Paul Claudel
La référence
L’analyse
Les échanges du Désir

" J'ai aimé et je n'ai point été aimée. J'ai été unie à lui et tout vivant il s'est séparé de moi. Et il m'a déclaré qu'il m'abandonnait et qu'il se séparait de moi par sa propre volonté. Et il m'a vendue comme un animal ! "

Un jeune sauvage vend sa femme - qui l'adore et s'est exilée pour le suivre - à un richissime Américain, tandis que la maîtresse de ce dernier, une actrice alcoolique séduit le jeune homme et le tue lorsqu'il s'enfuit.

Un quatuor où les couples s'échangent, inventé par le très jeune Claudel en Amérique, dans une langue d'une fulgurance, d'une violence inouïe. Un lyrisme incandescent.

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" Pas d'hésitation. Une seule version. La Première - et toujours - pour toutes les pièces de Claudel. Dans cette première version éclate l'âpreté - une façon abrupte de poser les personnages - De la pure tragédie où les personnages se meuvent poussés par une force élémentaire dans une langue versifiée d'une suprême sophistication pour dire les désirs les plus crus, d'une violence brutale. De ce contraste éclate la beauté foudroyante de ce texte et sa modernité. 

Il n'y a pas d'échange dans L'Echange … plutôt une conflagration violente des âmes en présence dans une totale cruauté. 
Cette cruauté que seul un très jeune homme (Claudel), un homme " intact " qui n'a pas encore été ébranlé par " l'amour épouvantable d'un autre " peut manifester avec innocence…

J'aime la brutalité des personnages, leur force, leur certitude non entamée. Certes ils ne doutent pas d'eux-mêmes, ils sont tout donnés. Pas de conflit intérieur ici. Pas de retournement de l'âme outrée. Pas de souffrance d'un Moi écartelé. Le conflit naît de cette opposition irréductible de quatre forces en présence : inentamables. Ce sont ces êtres d'avant l'ébranlement qui me sont chers, qui m'émeuvent. "

Françoise Chatôt

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" Remarquable et exemplaire spectacle que cette première version de L'Echange claudélien, donnée avec grâce et subtilité. " Le Méridional

" Nous sommes tenus en haleine jusqu'à l'inéluctable. " Taktik

" C'est ici un travail en profondeur sur la musique de ce texte, rythme des corps parallèle à celui du verset claudélien. " Le Soir

" Un Echange sublime et renversant, avec des personnages magnifiés. [...] La création de Françoise Chatôt mérite l'admiration de ceux qui ont besoin de ce Théâtre d'amour et de vérité. " Semaine Provence

"Un grand souffle de vitalité et d'énergie allié à la beauté d'une langue superbe riche en poésie. " France Culture

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adressée à Marcel Schwob en 1893, pour la présentation du spectacle

L’esclavage où je me trouvais en Amérique m’était très pénible, et je m’en suis peint sous les traits d’une jeune gaillard qui vend sa femme pour recouvrer sa liberté.

J’ai fait du désir perfide et multiforme de la liberté d’une actrice américaine, en lui opposant l’épouse légitime en qui j’ai voulu incarner " la passion de servir ".

Tous ces rôles sortent tout entier du thème, comme dans une symphonie, on confie telle partie aux violons et telle autre aux bois.

En résumé, c’est moi-même qui suis tous les personnages, l’actrice, l’épouse délaissée, le jeune sauvage et le négociant calculateur.

Ni dans le rôle de Léchy Elbernon ni dans les apparences du jugement qui sont portées sur elle, il n’y a aucune vérité objective à laquelle j’aie prétendue. 

Paul Claudel 

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L’entretien (interrogé par Jean Amrouche en 1951)

Jean Amrouche : L’idée d’Echange, le mot apparaît pour la première fois dans " La ville ", l’un des personnages dit "ce que tu nommes échange, je le nomme communion ". Il s’agit donc d’une notion très générale, d’une loi susceptible de régir les rapports humains ; mais sans doute est-il des choses qui ne peuvent être échangées ?

Paul Claudel : Echange signifie, en général, se priver d’une certaine chose pour en obtenir une autre ; par exemple nous avons une valeur, nous la vendons pour en acheter une autre. Mais dans ce drame, je ne vois pas qu’aucun des personnages se prive de quelque chose qui lui appartient, afin d’en obtenir une autre qu’il ne possédait pas. Plutôt qu’un échange, il semble qu’il s’agit d’un concert. Des âmes très différentes par leurs points de vue, par le but qu’elles poursuivent, trouvent cependant qu’elles ont dans leur possession… une chose qu’elles possèdent le moyen de concerter avec d’autres et de provoquer leur possession, leur habitude, à une richesse qu’ils ne possédaient pas. Plutôt qu’un Echange, il semble qu’il s’agit d’un concert. Des âmes très différentes, trouvent cependant qu’elles ont, dans leur possession…une chose qu’elles possèdent, le moyen de concerter avec d’autres, et de provoquer leur possession, leur habitude, à une richesse qu’ils ne possédaient pas, de sorte que sans se priver de quoi que ce soit, sans se priver d’un bien qu’ils possèdent, ils acquièrent, ils mettent cependant en exploitation, si l’on peut dire, ce bien qu’ils avaient, de manière à lui faire donner des conséquences plus riches ; chacun acquiert une valeur en somme de provocation. De même que dans un concerto la valeur du violon ou de l’alto est provoquée, poussée à son plein exercice, par le dialogue de l’autre violon et du violoncelle. Et le mot Echange aurait plutôt dans ce drame une valeur musicale. 

Jean Amrouche : Dans " L’Echange ", il s’agit d’un drame intime qui se trouve en quelque sorte inséré dans un drame beaucoup plus vaste, qui est la confrontation de deux continents, la vieille Europe qui est en somme représentée par Marthe, et le continent neuf ; et non seulement de deux continents, mais de deux civilisations et de deux systèmes de valeur !

Paul Claudel : Supposez un musicien, qui va faire une symphonie sur l’Amérique, qui vit en Amérique, qui a une raison de bien la connaître, parce qu’il en souffre… Parce qu’on ne connaît plus une femme quand une femme vous a fait souffrir que quand on vit simplement côte à côte avec elle… Supposons ce musicien qui a souffert de l’Amérique, qui par ailleurs a réussi à en mieux connaître les différents ingrédients, les différents éléments qui occasionnent cette souffrance, ce musicien sera en possession de quatre thèmes qu’il fera composer dans les mouvements de son inspiration. L’intérêt de L’Echange, c’est justement qu’il y a une composition presque musicale.

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1937, Paul Claudel écrit un texte pour Georges Pitoeff qui monte " L’Echange " au théâtre des Mathurins à Paris. 

" Il y a deux hommes en moi ", est-il dit dans un cantique célèbre. 

Deux hommes seulement ? Ce n’est pas beaucoup ! Ainsi du moins pensait l’auteur de la pièce que vous allez entendre ce soir.

Enfin va pour les hommes ! Mais pour les femmes ? Il y a aussi les femmes ! Disons deux femmes. Deux hommes et deux femmes, cela fait quatre personnages, tous les éléments d’un conflit et d’un échange, - la matière d’un drame où aux trois unités traditionnelles s’en ajoute une autre, fondamentale.

Le jeune homme qui pour la première fois il y a quarante-cinq ans quittait son pays et une terre où l’attachaient des liens profonds, pour mettre le pied dans cet exil qui dés lors constituait sa carrière et sa destinée, trouvait de l’autre côté de l’Atlantique tout un matériel humain à la disposition de sa crise intérieure : toute une " distribution ".

Louis Laine, le jeune sauvage, à moitié Indien, cet affamé de l’horizon, réfractaire à toute discipline, à toute entrave et à tout ordre imposé, quel poète, et je dirai, quel mâle, enfant d’homme, ne le porte en lui ? Il n’est pas long à trouver un auxiliaire en Lechy Elbernon. Marthe, c’est l’âme en ce qu’elle a de meilleur. C’est une fidélité avec nous de la femme. C’est cette compagne qui ne nous abandonne qu’à la mort de la conscience, cette voix tendre, suave, pleine d’autorité aussi, qui nous conseille le bien. Son autre nom est Douce-Amère. Elle n’est que foi, amour et vérité ; mais elle aussi en ce Monde est une exilée. 

Et cependant de l’autre côté de l’Océan, elle a trouvé un partenaire. Le voici qui apparaît sous ce noir haut-de-forme abrupt et vertical comme une tour. Son nom est Thomas Pollock Nageoire. Toutes les qualités que le Seigneur loue dans l’Evangile de l’intendant fidèle et dont elle cite avec un amer sourire l’exemple aux " enfants de lumière ", il les possède. Il est tout d’une pièce. Il est tout animé de cette honnête simplicité qui ne permet pas à un homme de douter de ce qui est bon, et ce qui lui paraît bon, c’est l’argent, c'est-à-dire cette espèce de sacrement matériel qui nous donne la domination du Monde moyennant un contrôle exercé sur notre goût de l’immédiat. Il possède ce signe de vendre et d’acheter. Pour effectuer cet échange qui est le sujet de la pièce, pour opérer la conjonction, redoutable en son ironie de la sagesse divine et de la sagesse pratique, ne fallait-il pas un commissionnaire et un banquier ? C’est-à-dire un trafiquant de valeurs invisibles ? 

" Je suis pauvre " finit-il par déclarer pensivement en se détachant de la citadelle portative qui le surmonte.

Peut-être après tout est-il de ces " publicains " dont il est écrit qu’ils nous précéderont dans le royaume de dieu. 

Paul Claudel

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Quoi de plus scandaleux qu’un époux, aimé, Louis Laine, qui vend sa femme Marthe, qui s’est exilée pour lui, à un financier réaliste, sans scrupule, Thomas Pollock Nageoire ? Quelle péripétie plus banale qu’un adultère, commis par l’épouse de l’acheteur, une actrice dont on sait la réputation douteuse- une américaine !

Léchy Elbernon- et un jeune homme, le vendeur à moitié sauvage, un indien errant, pressé de partir, que rien , pas même les convenances, n’arrête ? Deux couples se rencontrent, quatre destinées se croisent pour accomplir deux échanges. La fable de L’Echange est bien prosaïque. Dés les premières représentations en 1914, dans une mise en scène de Jacques Copeau au Vieux Colombier, plus de vingt ans après la composition, la critique constatait, parfois avec embarras, combien Paul Claudel, le père de Tête d’Or, le héros de 1889 lancé à la conquête de l’idéal, s’était rapproché en 1893 de la basse réalité…

Dans La jeune fille Violaine (1890, première version), Violaine s’efface devant Bibiane la possessive, la noire qui veut la ferme et l’époux, jacquin Uri. Pour préserver ce qui est à elle, elle tuera sa sœur. Dans L’Echange, Lechy prend ce qui n’est pas à elle, et préfère le tuer à le laisser libre. Le contrat, le droit, le sacrement, Marthe les invoque, mais rien n’y fait : déterminée, brutale, cruelle, Léchy usurpe sa place. Claudel l’a écrit en 1937, quand la pièce fut reprise, avec succès, au Théâtre des Mathurins par Georges Pitoëff- elle représente la Liberté face à l’épouse fidèle, qui aime, qui sait le bien, qui ne se sacrifie pas, mais demande Justice ! à l’univers qu’elle prend à témoin. On le sent, la réalité terre à terre s’effrite, pour qu’à ce conflit de la légitimité et de l’usurpation, de l’amour dans la foi et du désir sensuel qui ouvre sur l’imaginaire, se superposent les voix des âmes. La voix humiliée et forte de Marthe, qu’il ne faut pas jouer " gnangnan ", écrit Claudel à Copeau ; la voix poétique de Louis, ce mystique à l’état sauvage, frère de Rimbaud, innocent exilé dans un monde qui le blesse ; la voix de Lechy désespérée de ne pouvoir apaiser sa soif d’absolu, ce vide qui l’habite, même en lampant un " coup superbe de lait noir ". 

Lorsqu’il compose sa dramaturgie de l’or, son drame alchimique où s’opère la transmutation du dollar en une substance plus précieuse, la connaissance de la propre et nécessaire utilité de chacun aux autres et au monde, Claudel est vice consul à New York, puis à Boston : en ce nouveau monde, où il sent " avoir quelque chose à apprendre ", parce qu’il y voit chaque chose " plus en gros ", il vit une période de quiétude, après les années difficiles qui suivirent sa conversion. Tête d’or refusait l’échange : " Crains l’échange ! Car qu’y a-t-il hors de toi ? Le sais-tu ? En toi tu es quelque chose. Vous n’êtes maîtres assurés que de vous-mêmes ; craignez de vous laisser déposséder. " (1889). A sa manière, Louis Laine refuse de troquer l’immédiat et de renoncer à la jouissance de tout l’ici bas- l’horizon- contre l’inconnu. Une même question obsède toujours le poète, peut-être posée par le Christ : " A quoi servira à l’homme de gagner le monde entier si c’est au détriment de sa vie ? Ou qu’est ce que l’homme donnera en échange de sa vie ? " (Mathieu XVI, 26). Sa vie, sa vraie vie, son âme qu’il faut assumer en regardant en face la réalité créée : Marthe, qui passe ses mains derrière le dos de Louis, qui en s’unissant à Louis, unit son souffle au sien, son être au sien, presse son époux de " demeurer ", de résister au mouvement de fuite, d’accepter d’ "être pris ". Mais Louis refuse : il cède au départ, comme s’il pouvait effacer sa culpabilité et étreindre le monde. 

Marthe, Louis Lechy, Thomas Pollock sont quatre figures de Claudel lui-même. L’actrice peut être toutes les femmes : " Le diable a trouvé la maison vide, et il est entré dedans, et il ne peut plus en sortir. " 

Elle tombe inerte sur scène, une fois sa part accomplie, la fortune de Thomas Pollock partie en fumée et son amant tué. Louis peut rêver : il sait très vite qu’il mourra et n’échappe pas à son destin. En Marthe et Thomas Pollock restent en scène le sens pratique et le réalisme : eux qui savent la valeur des choses et des êtres et qui voient dans le papier des dollars. Mais dès l’acte I, Thomas Pollock dit lui préférer l’or qui est tout – le signe qui permet l’échange universel, " le moyen quasi mystique de se procurer autre chose " (1952). Le banquier prêt à tout pour posséder Marthe n’a rien du vieux barbon de comédie ! Il jauge l’autre, l’évalue précisément, durement : Claudel ne dira jamais que la vie est douceâtre. Ce faisant, il participe à un drame auquel il est nécessaire. " Agent de change ", il achète, donne l’argent, sépare Louis de Marthe et de Léchy. Lui qui, à l’acte I croit dominer est dominé, puisqu’il n’est qu’un instrument recruté par le créateur- le dramaturge et le Créateur- pour servir. Que lui font désormais sa fortune et ses rêves de puissance ? Il a appris de Louis " l’enfant prodigue " revenu à la maison, quelle fin il accomplit en changeant : Marthe lui rend l’argent du troc retrouvé sur Louis, pour qu’il remplisse, en connaissance de cause, son " office ".

Didier Alexandre
professeur de littérature 

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(…) Quelques années après avoir projeté " Le Partage de midi " ce " grand souffle d’air qui vous bouscule et vous emporte " (Pierre Marcabru -Le Figaro du 10 avril 1986), le théâtre Gyptis lançait à la mer un autre esquif : " L’Echange ", premier quatuor dramatique composé en 1893 par le tout jeune diplomate Paul Claudel , propulsé aux Etats-Unis. Ce drame virulent confronte tous les fantasmes de l’amour aux puissances et aux fantasmes de l’argent, trafiquant pour dévorer et même pour acheter une femme à défaut de son amour. Au pays où tout se vend et peut s’acheter, ce drame de la liberté sans âme de la possession sans scrupule réunit une actrice, un homme d’affaires, un jeune sauvage un peu perdu et sa compagne au cœur fidèle. En arrière plan, la grandissante Amérique chante " béni soit Dieu qui a créé le dollar " et Claudel reconnaissait dans ses quatre personnages, ses voix intimes. 

Dans sa lecture et sa mise en scène, Françoise Chatôt a voulu exprimer " la conflagration violente des âmes en présence, dans une totale cruauté ". Elle voyait dans ce Claudel de 25 ans l’état antérieur à la connaissance réelle de l’Amour, la sauvagerie d’un désir et d’une âme qui n’ont encore jamais été transpercés, ni transfigurés par l’Autre. Bien servie par ses interprètes, cette mise en scène marquait, après Partage de Midi, " une remontée vers la source du fleuve " ainsi que l’écrivait Françoise Chatôt. Cet " Echange ", dans une scénographie où le plan incliné suggère l’instabilité, le glissement, l’invitation à descendre ou à monter. 

Jean Lamiral
Professeur des Universités, dramaturge 

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Informations pratiques

Gyptis Théâtre

136, rue Loubon 13003 Marseille

Spectacle terminé depuis le samedi 26 octobre 2002

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