Présentation
In programme du Festival
d’Avignon
En 1662, le 29 janvier, Molière se marie avec Armande ; le 26 décembre, LEcole
des femmes est la seule création de cette année ! Cest le plus grand succès que
connaîtra Molière. Le succès de la pièce et le déchaînement des esprits à son
encontre est bien le signe que ce nest pas une réussite ordinaire, mais
lavènement dune forme nouvelle en rupture avec lordre ancien : de la
farce à la comédie, de LEcole des maris à LEcole des femmes.
Laction dramatique, pour la première fois, est soumise à la logique interne du
héros, cet homme « averti de tout », cet homme dont le savoir permet de tout cerner
sauf la raison pour laquelle il est obsédé. Quelle est cette logique ? Le savoir sur
lautre, savoir absolu qui devrait assurer son triomphe, va se retourner contre lui
et cest en fait lidée obsédante dêtre trompé, lobsession du
cocuage qui lentraîne à sa perte.
Se baladant entre comédie et tragédie, l’Ecole des femmes reprend le thème classique du conflit entre l’âge de raison et l’âge rebelle à la raison. Mais Molière va plus loin qu’il n’est jamais allé. Dans la relation d’Arnolphe, qui veut arrêter à sa porte le mouvement du monde, et d’Agnès, mise à l’écart pour être modelée à huis clos, il y a des éléments de mythologie : la naissance d’une femme, un conte à la Pygmalion, la lutte personnelle d’un homme avec un destin inéluctable. Arnolphe veut fabriquer un être à sa mesure. En scène pendant trente et une scènes (sur trente deux), il mène son combat en multipliant les gestes propitiatoires. Il y a un défi en lui, mais c’est un défi de démiurge bourgeois, aspiré par le conservatisme, hanté par un rêve enfantin et destructeur.
Autour de lui, un groupe de gens - qui n’est pas encore la famille constituée des pièces à venir - fait résistance à cette tyrannie obsessionnelle. Il tente de révéler au tyran combien il est dans l’erreur,combien il est ridicule,combien il est cruel, combien il se trompe dans sa vision du monde. Mais Arnolphe ne les entend pas, ne les voit pas. Il échouera face à Agnès, une jeune fille autodidacte qui a en elle la grande force de la naïveté. Arnolphe est seul. Il est l’homme d’un projet solitaire. Peut-être faut-il lire aujourd’hui L’Ecole d’Arnolphe tout autant que L’Ecole des Femmes, il se pense le maître du jeu alors qu’il a toujours cinq actes de retard sur les autres personnages. Mais c’est lui le cœur de la pièce.
Obsessionnel et malheureux. Odieux et poignant. Monstrueux et humain. Pensif et pensant. (Une conscience isolée que le spectacle, en créant une relation intime au sein d’un immense espace mythique, va rapprocher du double millier de consciences réunies chaque soir dans la Cour d’honneur.) Arnolphe, en même temps que la pièce, passe son temps à frôler le tragique. La représentation pourra se situer dans cette incertitude des genres, en se souvenant que Molière, créateur du rôle, venait de découvrir qu’il ne serait jamais accepté comme tragédien et que, s’il entendait dire des choses terribles sur l’humanité, il ne pourrait le faire qu’en faisant rire...
L’optique de Didier Bezace est celle d’un théâtre populaire
d’aujourd’hui, où le public vient retrouver les valeurs auxquelles il est
attaché. Quelle histoire d’aujourd’hui peut-on et veut-on raconter avec un
grand classique ? Le cheminement d’Arnolphe et l’infinie exposition de son
obsession trouvent leur traduction scénique dans la collaboration entre Didier
Bezace et Pierre Arditi. Un grand acteur éclaire une œuvre d’un jour
nouveau. Leur
recherche commune fait vibrer, d’une moderne sensibilité, la solitude d’Arnolphe,
seul contre tous au pied de la muraille.
30, quai de Rive Neuve 13007 Marseille