L'étranger

Paris 11e
du 2 au 21 avril 2001

L'étranger

CLASSIQUE Terminé

  • De : Albert Camus
  • Mise en scène : Marc Gooris, Marie-Jo Delhaye
  • Avec : Marc Gooris
" Une adaptation théâtrale de l'Etranger ? C'est ce qui s'appelle vouloir se battre contre des moulins à vent ; non mais franchement, il faut savoir jusqu'où on peut aller trop loin !… Manifestement, Marc Gooris, lui, le sait, car on a beau s'être armé d'un profond scepticisme pour aller le voir incarner Meursault, d'u

Préambule
L'histoire
L'étranger - le roman

Dramaturgie
Intérêt pédagogique
Revue de presse
La compagnie de l'Ours

Préambule

Si a de nombreuses reprises dans l'histoire du monde des crises des valeurs ont pu être évoquée, nous croyons que notre époque ne fait pas exception. Il suffit en effet de regarder autour de nous pour voir les effets de ce que l'on appelle depuis plus de vingt ans déjà "la crise". A travers l'enseignement, le chômage, les valeurs idéologiques, notre monde est en pleine mutation, notre société se parcellise. L'internationalisme des économies et des politiques voisinent les politiques ethniques et les exploitations les plus barbares et ce à l'intérieur même des démocraties les plus avancées. Pour tout un chacun, la marginalisation est devenue un risque quotidien.

C'est pourquoi nous avons eu l'envie d'en parler. De mettre sur le tapis des questions fondamentales. Sur notre chemin, nous avons rencontré CAMUS et MEURSAULT. Au-delà de l'anecdote, le personnage et l'auteur tiennent un discours d'une actualité brûlante. Qui oserait encore dire aujourd'hui qu'il ne risque pas d'être demain l'étranger d'un autre, l'étranger d'un système auquel pourtant il participe et dans lequel il vit ? Bien sûr, MEURSAULT n'est pas un martyr, une victime innocente ; Mais nous pourrions tous être le coupable de quelqu'un, ne fut-ce que par la couleur de notre peau, notre langue ou notre religion. Peut-être le serons-nous demain.

L'histoire

Si elle n'est pas la première oeuvre publiée, l'Etranger est néanmoins la première oeuvre connue du grand public.

Quatre mois à peine sépare la rédaction de l'Etranger du Mythe de Sysiphe : Les questions que soulève l'ouvrage de philosophie agitaient donc vraisemblablement l'auteur lors de la rédaction du roman.

Si l'on s'arrête à l'histoire, à l'anecdote pourrait-on dire, nous pourrions résumer le roman de cette façon :

Le jeune Meursault est un petit employé de bureau algérois, pauvre et solitaire. Au début du roman, on lui apprend que sa mère est morte à l'asile de vieillard. Il demande à son patron deux jours de congé pour l'enterrer. Au retour, il retrouve ses habitudes et ses voisins, Céleste, Masson, le vieux Salamano, enfin Marie Cardona, une dactylo qui a travaillé avec lui autrefois. Une idylle se noue entre les deux jeunes gens. Marie devient la maîtresse de Meursault. Un peu plus tard, Meursault fait la connaissance d'un certain Raymond Sintès qui devient son copain et qui l'emmène à la plage. Querelles avec des arabes ; bagarre. Raymond prête son revolver à Meursault qui tue l'Arabe. Après son arrestation, Meursault va passer une année en prison en attendant son procès. Parce qu'il a fait preuve d'indifférence à l'enterrement de sa mère, qu'il est allé voir un film comique avec une femme le lendemain, qu'il ne regrette pas vraiment son crime et qu'il ne croit pas en Dieu, Meursault est condamné à la peine de mort. L'apparente indifférence de Meursault va se transformer au cours de son procès en une révolte presque métaphysique qui éclate juste avant son éxécution.

Notre spectacle a été présenté de façon régulière à des publics estudiantins. Aussi avons-nos rédigé un dossier pédagogique que vous pouvez consulter en ligne.

Vous trouverez dans celui-ci une présentation de la Compagnie, de l'auteur et de l'œuvre, ainsi qu'une analyse des courants littéraires et philosophiques auxquels se rattache Camus.

Vous pourrez également comprendre quelle fut notre démarche pour monter le spectacle en consultant les parties traitant de la dramaturgie et de la scénographie.

Si vous désirez obtenir le dossier ou des renseignements sur le spectacle, n'hésitez pas à nous écrire !

L'étranger - le roman

Si elle n'est pas la première oeuvre publiée, l'Etranger est néanmoins la première oeuvre connue du grand public. Quatre mois à peine sépare la rédaction de l'Etranger du Mythe de Sysiphe : Les questions que soulève l'ouvrage de philosophie agitaient donc vraisemblablement l'auteur lors de la rédaction du roman et bien que L'Etranger aie une existence autonome, Le Mythe en est aussi un commentaire, au moins en partie. L'origine du roman apparaît d'ailleurs comme disparate : Des parentés avec "l'envers et l'endroit" sont évidentes, comme par ailleurs une filiation avec un roman jamais publié "La mort heureuse".

Si l'on s'arrête à l'histoire, à l'anecdote pourrait-on dire, nous pourrions résumer le roman de cette façon : Le jeune Meursault est un petit employé de bureau algérois, pauvre et solitaire. Au début du roman, on lui apprend que sa mère est morte à l'asile de vieillard. Il demande à son patron deux jours de congé pour l'enterrer. Au retour, il retrouve ses habitudes et ses voisins, Céleste, Masson, le vieux Salamano, enfin Marie Cardona, une dactylo qui a travaillé avec lui autrefois. Une idylle se noue entre les deux jeunes gens. Marie devient la maîtresse de Meursault. Un peu plus tard, Meursault fait la connaissance d'un certain Raymond Sintès qui devient son copain et qui l'emmène à la plage. Querelles avec des arabes ; bagarre. Raymond prête son revolver à Meursault qui tue l'Arabe. Après son arrestation, Meursault va passer une année en prison en attendant son procès. Parce qu'il a fait preuve d'indifférence à l'enterrement de sa mère, qu'il est allé voir un film comique avec une femme le lendemain, qu'il ne regrette pas vraiment son crime et qu'il ne croit pas en Dieu, Meursault est condamné à la peine de mort.

Une note de Camus nous renseigne cependant très vite sur la profondeur du roman : "Un homme qui ne veut pas se justifier- L'idée que l'on se fait de lui lui est préférée. Il meurt, seul à garder conscience de sa vérité." Dès 1935, Camus avait rêvé de réconcilier roman et philosophie : "On ne pense que par image ; Si tu veux être philosophe, écrit des romans." Cependant, il révoquera toujours le titre de philosophe et se considérera comme un artiste, reprochant volontiers aux philosophes de perdre le réel de vue et de se griser d'une gymnastique intellectuelle dangereuse pour tous.

On pourrait être tenté de voir en "L'Etranger" une illustration des idées défendues dans "Le mythe de Sisyphe". Si l'on peut les mettre en parallèle, il faut cependant reconnaître que l'on retrouve dans l'ensemble des oeuvres de l'auteur les mêmes thèmes et les mêmes préoccupations.

Par exemple, Les réflexions sur la peine capitale émailleront toute l'oeuvre de CAMUS. Ce n'est pas seulement la barbarie du procédé qui l'émeut, c'est aussi le fondement juridique d'une telle sanction : "Selon un magistrat, rapporte-t-il, l'immense majorité des meurtriers qu'il avait connu ne savaient pas le matin qu'ils allaient tuer le soir." Meursault, bien entendu, est dans ce cas. Logiquement, les thèmes de l'innocence et de la culpabilité seront aussi présent de manière récurrente et liée au thème de la culpabilité, la situation de Meursault devant les hommes, sa qualité d'étranger trouveront des échos jusque dans les dernières oeuvres de l'auteur.

L'originalité tient ici au fait que l'histoire est la vie de Meursault racontée par lui-même. Camus délègue donc à Meursault le rôle de narrateur. (Pour définir en profondeur le point de vue du narrateur, nous vous renvoyons au point Dramaturgie) Or, Meursault est un héros ambigu : Jusqu'à quel point est-il vraiment coupable ? Peut-on considérer sa condamnation comme une erreur judiciaire ? Il est vrai que Meursault a fait montre d'insensibilité à la mort de sa mère, qu'il a tiré sur un homme et qu'en tout état de cause il a encore tiré quatre fois alors que son adversaire était hors d'état de nuire. La valeur exemplaire du roman vient de ce que Meursault n'est pas tant victime d'une malheureuse coïncidence que d'un enchaînement logique des faits et de la marche normale de la justice des hommes. Il le reconnaît d'ailleurs lui-même en reconnaissant que la plaidoirie de l'avocat général présentait les faits d'une manière logique : "Ce qu'il disait était plausible." Cependant, dans Le mythe de Sisyphe, Camus écrit : "Ai-je besoin de développer l'idée qu'un exemple n'est pas forcément un exemple à suivre ?

Les ambiguïtés de Meursault ne sont pas des marques d'insuffisances de l'auteur : elles donnent le ton de l'oeuvre et vouloir à tout prix les résoudre serait en un sens trahir l'intention de Camus, et jouer le rôle du prêtre ou de l'aumônier. Nous ne pouvons que reconnaître une prise de conscience chez Meursault, découvrir en même temps que lui son attachement aux êtres et aux choses ; nous pouvons dire "Il est ainsi." Quant à apprécier son niveau d'intelligence et de culpabilité, c'est l'affaire de la société - donc de chacun d'entre nous. Héros ? Martyr ? Disons en tout cas de Meursault qu'il est une victime, victime d'une société qui a besoin de tout savoir, de tout expliquer, et qui préfère à l'homme l'idée qu'elle s'en fait. Pour avoir été lui-même, simplement, et avoir refusé de livrer son mystère, Meursault ne peut attendre d'elle aucune indulgence.

Le style de l'écriture frappe par sa simplicité, par son naturel. Il peut sembler, quand on lit "l'Etranger" que l'art du roman est à la portée de tous ; Mais il faut comprendre que le refus de l'ornement ne vient pas forcément d'une insuffisance, et qu'il n'est pas de chemin plus difficile, en art que la conquête de la simplicité. R. Quilliot (La pléiade p 1917) écrit à ce propos : Le problème essentiel reste celui du style. Or, c'est le style qui fait l'originalité profonde du livre, un style fort bien analysé par SARTRE à l'époque de sa parution, avec ses mots-tampons, ses isolants qui retardent le récit et aggravent le sentiment d'absurdité. Conjonctions, passés composés, répétitions, tout cela visiblement concerté comme l'écrivait CAMUS en 1942. (...) Il me semblait que le style de l'étranger portait la marque du récit de type populaire qui ne joue guère que sur deux temps : l'imparfait et le passé simple, qui juxtapose les phrases et ne les coordonne que par des "et" et des "alors". En un sens, la langue de l'Etranger serait à la fois littéraire - en tant que reconstruction - et profondément populaire.

Populaire parce que c'est Meursault qui parle, dans une retranscription fidèle d'une façon de parler des Français d'Algérie, et la façon dont il traduit ses impressions et les événements dont il a été le témoin leur donne un sens à l'intérieur de la fiction. Reconstruction parce qu'en évoquant par de petites phrases courtes, que ne relie le plus souvent aucun rapport de cause à conséquence, les faits les plus anodins et les plus importants, Meursault paraît dénoncer comme de simples préjugés les points de vues que nous en avons ordinairement. Son style exprime que pour lui, il n'existe pas de petits problèmes ; son observation des détails ou sa manière de peser en toutes choses le pour et le contre révèlent un esprit scrupuleux et observateur. Camus ne prend pas Meursault comme intermédiaire pour écrire un reportage : il s'oblige, à travers lui, à une difficile ascèse pour redécouvrir un monde nivelé par l'oeil neuf d'un personnage indifférent aux valeurs humanistes traditionnelles.

CAMUS avouait volontiers, en particulier au sujet de l'Etranger, ses prétentions au classicisme. Etre classique, c'était pour lui dire le moins et suggérer le plus. A cet égard, l'Etranger est d'un classicisme militant et Camus ne se contente pas de suggérer un univers de tendresse et d'accord avec le monde : il dénonce ceux qui ont besoin de l'emphase du verbe pour avoir la chance de saisir l'ombre d'une idée ou d'un sentiment.

Dramaturgie

Le monologue
Le roman étant écrit à la première personne, il nous était évident que l'adaptation théâtrale devait mettre Meursault seul en scène. Nous avons opté pour la forme du monologue pour deux raisons : Premièrement, les événements, les différents personnages et leurs paroles sont chaques fois rapportés par le héros lui-même, qui a un point de vue subjectif. En mettant d'autres personnages en scène, on obtiendrait un effet d'objectivité qui fausserait la perspective voulue par CAMUS et qui fait la spécificité de son roman. Ensuite, nous croyons qu'en ne rapportant les événements que par le point de vue de MEURSAULT, nous restons plus proche de l'oeuvre originale tant au niveau du texte qu'au niveau de sa signification. SARTRE, dans son "explication de l'Etranger" écrivait : "Entre le personnage dont il parle et le lecteur, CAMUS va intercaler une cloison vitrée. Qu'y-a-t-il de plus inepte en effet que des hommes derrière une vitre ? Il semble qu'elle laisse tout passer, elle n'arrête qu'une chose, le sens de leurs gestes. Reste à choisir la vitre : ce sera la conscience de l'Etranger. " C'est cette conscience que nous avons voulu présenter sur scène ; il fallait donc absolument que tous les événements soient relatés à travers les filtres de la perception de MEURSAULT, et qu'il soit donc seul à prendre la parole. Ce personnage est une simple conscience interposée entre l'auteur et le monde (les spectateurs en l'occurrence) au travers de laquelle sont perçus, sans qu'intervienne un créateur tout-puissant qui les organise et les hiérarchise, les êtres et les choses. Meursault est à la fois la conscience au travers de laquelle on perçoit les autres personnages mais également son personnage à lui. Ceci répond de façon parfaite à la nécessité théâtrale : le théâtre n'est pas la vie mais un point de vue sur elle. MEURSAULT en prenant la parole ne nous raconte pas sa vie objectivement, il nous livre son point de vue. C'est ce point de vue qui le fera condamner et dont on peut dire qu'il fait de lui un Etranger pour les autres, mais aussi à lui-même.

Une critique, Claude Edmonde Magny écrit ceci : "On dirait que sa vie se projette sur un écran au fur et à mesure de son déroulement et qu'il la contemple de l'extérieur. Les sentiments, les réactions psychologiques qu'il cherche à atteindre en lui, il ne les y trouve pas : il ne trouve que sa vision, absolument semblable à celle que peuvent avoir les autres de ses propres comportements. Aussi s'apparaît-il comme étranger à soi-même : il se voit comme le voient les autres, du même point de vue qu'eux."

Le point de vue du narrateur
Une fois admis le principe du comment théâtral de la prise de parole du personnage, il nous faut réfléchir sur le pourquoi.

Dans le roman, cette définition n'est pas très claire : ce n'est manifestement pas un journal, même tenu épisodiquement : Meursault semble parfois nous rapporter des événements presque sur le vif, mais à d'autres moments, il manifeste une conscience et une analyse qui marque nettement une réflexion nettement postérieure : "J'avais l'impression que cette morte couchée au milieu d'eux ne représentait rien à leurs yeux. Mais je crois maintenant que c'était une impression fausse." D'autre part, jusqu'au moment où il est jugé, MEURSAULT ne sent étranger en aucune manière, ni par rapport à la réalité, ni par rapport à la société. Les mots "amitiés, amour" supposent chez celui qui les prononce une prise de conscience de ses rapports avec ses semblables. MEURSAULT ne se pose pas le problème des rapports humains : il les vit, et il est étonné (Mais disponible) quand Raymond lui offre son amitié ou Marie son amour. Il est indifférent à la mort de sa mère ou à la promotion que lui offre son patron. Tout cela change à partir du procès : auparavant il montre une étonnante passivité devant les êtres et les choses. Le procès est une prise de conscience : on lui impose le fait qu'il n'est pas comme tout le monde, on décide pour lui que sa façon d'être, de se conduire, de parler, de percevoir les choses sont néfastes. Il en restera très étonné, puis se révoltera (Face au juge d'abord mais surtout au prêtre en suite) et revendiquera sa condition d'homme différent.

Le récit pourrait être construit de façon linéaire, nous montrant la progression de cette prise de conscience : hors ce n'est pas le cas puisqu'en nous rapportant certains événements, il projette de lui-même un éclairage différend sur ceux-ci, nous prouvant par-là que le récit ne peut qu'être postérieur au procès, même si certains événements ont l'air d'être vécu au présent. Si l'on admet que le récit est composé par Meursault dans sa cellule après le verdict, on gagne de donner à l'histoire une perspective plus cohérente. A partir de cela, nous avons pu opter pour certains choix qui, tout en enrichissant la spécificité théâtrale, ne dénature pas le roman : Nous prenons comme options que MEURSAULT, sachant qu'il va mourir, fait le bilan de sa vie. Pourquoi le fait-il ? Parce qu'en prison, il n'a rien d'autre à faire qu'à se souvenir. " J'ai fini par ne plus m'ennuyer du tout à partir du moment où j'ai appris à me souvenir. (...) J'ai compris alors qu'un homme qui n'aurait vécu qu'un seul jour pourrait sans peine vivre cent ans dans une prison. Il aurait assez de souvenirs pour ne pas s'ennuyer." D'autre part, ces souvenirs peuvent à certains moments être des tentatives d'explications de sa personnalité. Attention, il ne s'agit pas d'un plaidoyer en faveur d'une innocence hypothétique : il s'agit plutôt d'une explication d'un comportement logique dans un monde qui cherche une cohérence, puisqu'il lui faut analyser le passé pour juger au présent. Meursault est un meurtrier puisqu'il était déjà insensible à la mort de sa mère. Son roman "La Chute" sera défini comme un soliloque avec un interlocuteur muet : "Tantôt l'homme se parle à lui-même, tantôt, il s'adresse à quelque auditeur invisible, une sorte de juge." Nous pourrions, pour MEURSAULT dans sa cellule, reprendre cette définition.

En faisant ce choix, nous obtenons une cohérence théâtrale très grande, et pour ainsi dire, une construction théâtrale classique respectant la règle des trois unités :

Le cadre
L'action du roman se passe presque entièrement à Alger, ainsi que sur une plage proche de celle-ci ; Nous situons l'action dans la cellule de Meursault, qui est aussi l'espace de sa mémoire. Il peut donc recréer les lieux des différents événements de sa vie.

L'action
Le fait que MEURSAULT se souvienne des événements de sa vie ramène l'action à une cohérence qu'elle n'aurait pas si 1- au départ, il enterrait sa mère, puis 2 - il rencontre Marie, puis 3 - il tue par hasard, etc. Ces événements disparates, sans aucun lien entre eux, ne prennent sens qu'à partir du moment où, au procès, ils deviennent causes et effets. Ce dont Meursault se défend, bien entendu. C'est cette défense, qu'il ne tient pas au procès, qu'il nous présente depuis sa cellule. Cette défense est son point de vue, et le point de vue est une nécessité théâtrale.

Le temps
En jouant la carte du souvenir, nous pouvons dire que le spectacle se passe en temps réel. Nous sommes au dernier bilan, c'est la dernière fois que MEURSAULT peut se souvenir ; Le spectacle commence une heure et demie avant l'exécution. Si l'image n'était pas vulgaire, nous pourrions imaginer qu'après sa dernière phrase, nous assisterions à l'entrée des avocats et du bourreau, qui viendrait le chercher afin de le conduire au supplice. Mais le supplice en lui-même n'est pas important et il nous le dit lui-même : Je suis coupable, je paye mais on ne peut rien me demander de plus. Bien sûr, il a peur, mais il n'est pas désespéré. Ce qui est important, c'est qu'il revendique son droit à la différence et qu'il meurt en accord avec lui-même.

Scénographie
Suite aux choix dramaturgiques, la scénographie s'est imposée d'elle-même, dans sa simplicité et son dénuement. Une cellule, avec son minimum, couchette, tabouret, table, quelques accessoires : une photo de Marie, une trousse de toilettes... Toute la vie de MEURSAULT est dans sa tête et son imaginaire. La scénographie l'est donc aussi. Toutefois, nous avons décidé de présenter un MEURSAULT contemporain dans l'image, par son habillement. La portée de l'oeuvre est telle qu'elle est universelle et nous pourrions présenter un personnage intemporel. Mais après nous être adressé à un public d'adolescent, il nous a semblé qu'ils étaient sensibles à une situation dans le temps et qu'ils pouvaient rapporter le contenu du spectacle et les questions posées à eux-mêmes, aujourd'hui. Nous avons donc décidé d'actualiser "le look" de MEURSAULT.

Intérêt pédagogique

Les exploitations pédagogiques de L'ETRANGER sont nombreuses ; Au-delà du romancier, nous trouvons en CAMUS une des pensées les plus importantes de la littérature française du siècle. Cependant, comme nous l'avons déjà vu, l'auteur se définissait comme un artiste et non comme un philosophe. C'est donc autant dans sa production fictionnelle que dans ses essais qu'il a développé sa pensée. Il a, de plus, toujours affirmé que son cycle de l'absurde (L'Etranger, Caligula, Le mythe de Sisyphe) n'était qu'un point de départ et non des réponses à des questions. Celles-ci sont nombreuses dans l'oeuvre de l'auteur mais tournent toutes autour de quelques idées maîtresses, déjà présentes dans l'Etranger et qui se retrouveront dans toute son oeuvre.

Si, comme Camus le disait, tous les grands romanciers sont des philosophes, il ne fait aucun doute que l'Etranger est une initiation captivante à la littérature et à la philosophie contemporaine.

Le classicisme de Camus

Le classicisme de CAMUS n'est pas seulement un classicisme littéraire : c'est également un esprit formé à la pensée classique, c'est à dire aussi ouvert sur l'universel. L'auteur a puisé les sources de son inspiration et le développement de sa pensée auprès des plus grands noms, quelles que soient leurs origines : Plotin, Saint-Augustin, Epictète, Kierkegaard, Proust, Malraux, Dostoïevsky. Il suffit de se rappeler que son mémoire de fin d'études s'intitulait "LA METAPHYSIQUE CHRETIENNE ET LE NEOPLATONISME."

Dans "L'HOMME REVOLTE", son dernier essai, il explore les voies ouvertes par Nietzsche et Dostoïevsky pour une nouvelle compréhension du monde et du destin de l'Etre Humain, et ce dans la droite ligne des penseurs occidentaux depuis deux siècles. Cette recherche l'amènera à approfondir le point de vue défendu dans le "Mythe de Sysiphe" et à donner la révolte en réponse à un monde absurde, et ce au nom de la dignité humaine : "Je me révolte donc nous sommes."

Au niveau de l'écriture, et plus particulièrement de "L'Etranger", Camus a toujours revendiqué son classicisme. Il écrit (Pléiade p 1898) "On s'approchera sans doute de la vérité en disant seulement que la grande caractéristique de ces romanciers (Mme de Lafayette, Stendhal, Proust, etc. ) est que, chacun de leur côté, ils disent toujours la même chose et toujours sur le même ton. Etre classique, c'est se répéter. On trouve ainsi, au coeur de nos grandes oeuvres romanesques, une certaine conception de l'homme que l'intelligence s'efforce de mettre en évidence au moyen d'un petit nombre de situations. (...) Etre classique, c'est en même temps se répéter et savoir se répéter" Cette définition de Camus lui-même nous renseigne tout de suite sur l'évidence de son classicisme. En effet, les thèmes, les réflexions s'entrecroisent sans cesse dans son oeuvre, et se retrouvent aussi bien dans l'Etranger que dans La Peste ou La Chute, pour ne citer que les romans. Il pousse d'ailleurs les analogies jusque dans les noms de personnages : Dans la mort heureuse, premier roman jamais publié, le héros se nomme MERSAULT.

Le nouveau roman

L'Etranger, à sa sortie, avait surpris par son style naturel, sa simplicité. Camus, bien qu'en travaillant sur le schéma du roman américain (Privilégiant l'étude du comportement du personnage au détriment de la psychologie de celui-ci) et en se réclamant du classicisme, avait révolutionné l'écriture ; On ne trouve pas derrière la sienne les habitudes rhétoriques et les volontés d'expressions propres aux romanciers français du XIXeme siècle. Cette révolution verra naître plus tard "le nouveau roman". Roland Barthe (Le degré Zéro de l'écriture) écrit : "Cette parole transparente, inaugurée par L'Etranger de Camus, accomplit un style de l'absence qui est presque une absence idéale de style."

Cependant, s'il y a des parentés entre L'Etranger et des oeuvres d'auteurs de ce mouvement et si certains de ceux-ci voient dans ce livre de Camus un précurseur, celui-ci, on l'a vu, revendique le classicisme de son récit. Même si à certains niveaux une parenté profonde peut se traduire par des similitudes au niveau de l'expression (Remise en question du personnage ou de la personnalité), Camus ne s'est pas inscrit dans un mouvement littéraire ; Il fut peut-être un précurseur, certainement pas un disciple.

Quelques jours avant sa mort, il déclarait : "Le goût des histoires ne s'éteindra qu'avec l'homme lui-même. Ca n'empêche pas de chercher toujours de nouvelles manières de raconter, et les romanciers dont vous parler ont raison de déchiffrer de nouveaux chemins. Personnellement, toutes les techniques m'intéressent et aucune ne m'intéresse en elle-même. Si l'œuvre que je veux écrire l'exigeait, je n'hésiterais pas à utiliser l'une ou l'autre de ces techniques ou les deux ensembles. "

La philosophie de Camus

L'œuvre de CAMUS est de celles qui résistent obstinément aux généralisations. On la résume parfois en disant qu'elle exprime une philosophie de l'absurde.

La place de L'Etranger dans l'œuvre CAMUS n'est-elle qu'une illustration de cette philosophie de l'absurde ? SARTRE, dans son analyse de L'Etranger, nuançait cette opinion en disant que le Mythe de Sysiphe vise à nous donner la notion de l'absurde et L'Etranger le sentiment de l'absurde. Mais qu'est-ce que l'absurde ?

Camus écrit : "L'absurde naît de la confrontation de l'appel humain avec le silence déraisonnable du monde." De tout temps, les hommes ont interrogé leurs destins, voire leurs dieux, pour trouver une justification à l'existence du monde, à la leur propre, et trouver un sens, une direction où aller et une bonne raison d'y aller. Pour CAMUS, il n'y aura jamais que ces appels des hommes et l'incohérence du monde. En effet, Dieu n'existe pas ou plutôt : Dieu est inimaginable et n'a pas à être imaginé. C'est l'absence de Dieu et même de désir de Dieu. Reste donc l'homme, seul, face au monde. Ce constat pourrait emmener au désespoir. Ce n'est pas le cas de Camus; cette conscience de l'absurde le mènera à une philosophie de la lucidité et de la révolte. Conscience et révolte sont le contraire du renoncement. Il s'agit de mourir irréconcilié avec le monde, et non pas de son plein gré. Cette révolte néanmoins, reste "humaniste". Ce n'est pas parce que le monde n'a pas de sens que tout y est permis.

Dans le Mythe de Sysiphe, CAMUS envisagera l'opportunité du suicide en réponse à l'absurde, et dans l'homme révolté, il étudiera la réponse qui passerait par le crime, avec les conséquences perverses d'une révolte mal comprise, comme par exemple la montée des états concentrationnaires de notre siècle.

L'homme révolté, l'homme absurde sera donc cet homme qui sait qu'il doit se tenir debout par lui-même mais aussi pour les autres. Pour chaque homme, il y a une action et une pensée possibles au niveau moyen qui est le sien, et la recherche de l'Absolu n'est pas affaire de société, elle est celle des hommes.

C'est pourquoi CAMUS tire comme conclusion : "JE ME REVOLTE, DONC NOUS SOMMES."

Revue de presse

" Coup de cœur du festival : L'Etranger, d'après Camus, production de la Compagnie de l'Ours, de Belgique, dont le directeur artistique, Marc Gooris, est l'interprète magistral. (…) Par son jeu subtil et nerveux, l'acteur, en pleine possession de ses moyens, nous offre le texte de Camus sur un plateau. Nous sommes pendus à ses lèvres. S'adressant directement à nous pendant le procès, il fait de chaque spectateur un juré. Troublant et fascinant. " R. BERTIN " VOIR " (Montréal) 20/06/96

" (…) Seul en scène, Marc Gooris se met dans la peau de Meursault et donne toute sa dimension au texte de Camus.(…) Lorsqu'il évoque les propos des autres personnages de l'histoire, Gooris module sa voix, ses intonations, ses mimiques : tout est limpide. (…) Allez voir M. Gooris dans l'Etranger : Il réalise une très belle performance d'acteur. " I. DEBROUX " La MEUSE " (Liège) 16/09/97

" (…) C'est avec une énergie phénoménale et un talent immense que Gooris interprète tous les protagonistes de la pièce, que ce soit le héros, son patron, en passant par les avocats. Donc, si vous voulez qu'un grand acteur vous raconte de façon prodigieuse l'histoire de l'Etranger, rendez-vous au Théâtre Denise Pelletier jusqu'au 11 octobre. " R. RICH " Le Polyscope " (Montréal) le 29/09/97 "

" (…) En conclusion, cette pièce est une de celle que j'ai le plus appréciées depuis longtemps. Tant le sujet que la manière dont il est traités sont remarquables et valent la peine d'être applaudis. " C. FRASSON " Le Polyscope " (Montréal) le 06/10/97

" Une adaptation théâtrale de l'Etranger ? C'est ce qui s'appelle vouloir se battre contre des moulins à vent ; non mais franchement, il faut savoir jusqu'où on peut aller trop loin !… Manifestement, Marc Gooris, lui, le sait, car on a beau s'être armé d'un profond scepticisme pour aller le voir incarner Meursault, d'une défiance ferme et apparemment inébranlable, la métamorphose ne nous épargnera pas ; un par un, il nous retourneras comme des crêpes et à la fin du spectacle, c'est dans un état proprement absurde qu'on le quittera, troublé et touché, embarrassé et perplexe, mais somme toute, fasciné et très impressionné. Petite alchimie d'un tour de force. Sans autre forme de procès. (…) " S. BADILESCU " Quartier libre " (Montréal) 30/09/97

" (…) Marc Gooris a fait preuve de grands talents d'acteur. L'émotion était invitée à cette soirée et chacune des lignes du livre a été studieusement analysée pour en finir avec un produit magique.(…) " P. Roy " The plant " (Montréal) 24/09/97

" (…) On prendra donc plaisir à cette relecture de Camus. Marc Gooris, seul en scène, a non seulement de l'intelligence mais de la présence. Il exploite à fond la mobilité d'un visage particulièrement expressif, remodelé à l'effigie de chacun des intervenants. Toute la longue scène du procès, par exemple, en devient bouleversante et fascinante. " J. Henrard " Vers l'avenir " (Huy) 18/08/98

La compagnie de l'Ours

Créée en 1989 par des élèves du Conservatoire de Liège, les activités de la Compagnie furent reprises en 1993 par l'équipe actuelle.

"LEONIE FAIT DES HISTOIRES " (1995-96) basé sur " Léonie dévore les livres " de Laurence Herbert, " Le monstre poilu " et " Le roi des bons " de Henriette Bichonnier. Avec : Fréderique Geron, Alexandra Marotta, Scarlett Schmitz, Philippe Peteers, José Rodriguez. Mise en scène : Vincent Goffin

" L'ETRANGER " (1996-2000) D'Albert CAMUS. Avec Marc Gooris Mise en scène Marc Gooris et Marie-Jo Delhaye.

" ESCURIAL " de M. de GHELDERODE (1996-97) en collaboration avec le Théâtre ARLEQUIN, Avec Georgy Ivanov, Alexandre Tireliers, Marc Gooris. Mise en scène : Marc Gooris

" LE PENDU VOUS SALUE BIEN ou François de Montcorbier, dit FRANCOIS VILLON " (1998-99) de Marc GOORIS Avec Marc Gooris, Jean François Warmoes, Dorothée Lambinon Mise en scène Jean-Pierre Laruche

Ces spectacles ont été présentés un peu partout en Belgique ainsi qu'au Canada pour trois d'entre eux : " 5 ANS ET DES CADEAUX " présenté à Montréal et Québec en décembre 1993 " L'ETRANGER " Festival Fringe de Montréal 1996, Théâtre Denise Pelletier Montréal Septembre Octobre 1997 et octobre 1998 " LE PENDU VOUS SALUE BIEN " présenté au Théâtre Denise-Pelletier en septembre/octobre 1998.

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Aktéon

11, rue du Général Blaise 75011 Paris

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  • Bus : Saint-Ambroise à 109 m, Chemin Vert - Parmentier à 198 m, Voltaire - Léon Blum à 339 m
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Aktéon
11, rue du Général Blaise 75011 Paris
Spectacle terminé depuis le samedi 21 avril 2001

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