Avant-propos
Propos sur l'adaptation
La mise en scène
scène et la scénographie
On connaît forcément « l’étranger », au moins de réputation. On n’a pas forcément lu ce bref roman d’Albert Camus, qui montre à quel point le « malentendu » est au cœur même de la condition humaine. Plus rarement, sans doute, a-t-on eu l’occasion de voir et d’entendre sur scène une version du récit de Meursault, criminel par hasard, à la suite d’un concours de circonstance, témoin de la « tendre indifférence » du monde dans lequel il vit, où il ne peut que se sentir innocent et où la (sa) mort, à l’évidence, n’a pas plus de sens que sa naissance.
De cette rencontre avec un matériau sensible de la littérature moderne, Vincent Barraud nous livre une pièce solitaire, en se jouant d’une quasi-fraternité avec le héros du roman, tel un double, tel un prolongement de l’âme et de la voix de Camus. Voici comment Vincent Barraud présente lui-même sa création théâtrale :
« L'étranger » a accompagné mon adolescence et mes premiers pas d'adulte, après le choc « Germinal » et son esprit contestataire, il y eut « L'étranger » et son vague à l'âme. Meursault fut et reste un frère, un double. Cette fraternité jamais oubliée me pousse maintenant vers une rencontre plus étroite, une version théâtrale, seul en scène.
Meursault est un aimant qui fascine et répulse… Il cristallise autour de son discours, des sensations d’étrangeté, de malaise et de fraternité. Témoin et acteur d’une logique naturelle, implacable et dérangeante, il provoque émotion et tendresse par la beauté , la justesse et la simplicité du regard et des mots qu’il porte sur les choses. Indissociable de la forme narrative du texte, il est mot, image et silence. il lui donne toute son humanité, qui est immense, car elle est celle d’Albert Camus.
Unique, il demande humilité et respect à l’adaptateur et interprète, alors… il lui donne toute son humanité, qui est immense, car elle est celle d’Albert Camus.
Bruno Williame ( Pour le programme des Féron’Arts 2000 )
« L’étranger » est une œuvre où le moindre mot, le moindre détail confinent à l’essentiel, où le fond et la forme se rejoignent dans une fusion parfaite, cette perfection générant sa part de mystère, ce quelque chose qui donne à chaque lecteur l’impression d’être unique dans sa compréhension. C’est cet ensemble parfait de la forme, du jeu des sentiments, de l’humanisme de Camus et de mystère qui me fascine et me touche. C’est cet ensemble qui est la chair de Meursault, ce personnage qui ne peut et ne veut se laisser réduire à une lecture psychologique ou philosophique, tant son être est composé de tout ce qui fait « l’homme » Camus, lui-même si peu enclin aux réductions. C’est ce Meursault que je désire faire vivre, découvrir ou redécouvrir au spectateur/lecteur. Mon ambition est de le restituer sur scène dans toute sa diversité, en aucun cas, je ne saurais, ne voudrais lui imposer une lecture particulière. Ainsi mon approche d’adaptateur s’est faite tout en douceur, en jouant du facteur temps ( étalé sur plus d’un an ), par passages successifs sur l’intégralité du texte et de constants retours en arrière. Avec pour grandes orientations de resserrer la toile un peu plus autour du personnage de Meursault, réduire le texte de moitié tout en gardant intacte la palette de Camus et l’ensemble des strates du roman, respecter l’équilibre et les interactions des deux parties et créer un rythme par l’alternance des dialogues et des monologues, en basculant certains passages en dialogue. Tout en gardant à l’esprit que dans le temps des répétitions certains choix se feraient ou se déferaient de façon organique, ce qui fût effectivement le cas.
Meursault se remémore, rejoue, revit son existence à partir du moment de la mort de sa mère. Pour lui, arrivé à la fin de son parcours, tout est signe et symbole. Nu-pieds, chemise blanche et costume gris, sûr de son avenir et de son présent, il abolit les frontières du temps et de l’espace. Il redevient le Meursault d’avant. Par souci d’intégrité et de mémoire, il prête son corps et sa voix aux partenaires et témoins de ce passé, et retranspose leurs dialogues. Doué de ce recul qui en fait un être à part, dérangeant et attachant, Meursault est également un être de chair et d’émotion, un sensuel, un mystique de la Nature au sens large. C’est dans la compréhension et l’intégration de ces deux visages que se trouve la clef du naturel de Meursault.
La mise en scène joue donc sur trois tableaux – donner la possibilité au spectateur de s’identifier à Meursault par le naturel de l’interprétation – créer le rythme et la diversité avec la mise en vie des autres protagonistes de l’histoire – une transposition visuelle où la recherche et l’élégance de l’image rejoignent et poursuivent le style littéraire de Camus.
Pour accompagner Meursault dans ce voyage dans le temps et les autres : quatre chaises et un carré dessiné avec du sable ( 3,50m de côté ). Ce carré est la cellule, la morgue, le tribunal… le lieu où les choses arrivent, y pénétrer n’est jamais anodin pour lui… Il est scène dans la scène. Les chaises dessinent l’espace, Meursault les utilise au gré du chemin, elles sont des restes de mémoire, les ombres du souvenir, les autres passagers de ce voyage initiatique, il leur parle, elles l’accueillent, deviennent grilles de prétoire, jurés ou vieillards. Cette scénographie volontairement dépouillée, cisèle l’image, met en valeur les lignes, le corps, l’objet et la relation des uns par rapport aux autres ; chaque élément devient signe, symbole, essence de vie ou de mort.
Soie et lin pour le costume, des matières nobles, naturelles et légères telles qu’on en porte dans les pays de soleil. Une coupe qui rappelle, avec ses tailles hautes, les années 30 mais ne les imposent pas. Le costume lui aussi joue dans le registre de l’évocation : par sa souplesse naturelle, la qualité de ses tissus et sa silhouette, il est l’Algérie, le soleil, l’amour sensuel de Camus pour sa terre natale et son dandysme que l’on peut sans trop se tromper appliquer également à Meursault.
VINCENT BARRAUD :
Vincent Barraud est né à Paris, il y fera toute sa scolarité de petit citadin derrière les grands murs de pierre des écoles parisiennes. Rencontre avec l’existentialisme et L’étranger d’Albert Camus. Les années 70 poussent aux voyages, il suit le mouvement et délaisse les études. Après un petit bout de Route et une grosse passion pour le cinéma, il croise l’art du silence à la Schola Cantorum et de là rebondit tout naturellement à l’école de Mime de Marcel Marceau. Ebauche d’une première adaptation de L’étranger pour une troupe de danse, un comédien et un mime. Les premiers spectacles : La prohibition, Le chapiteau des clowns, … Suivront des années très denses en complicité et en recherche, entre autre avec le Memory Mouvement Théâtre et sa création Bancs présentée au Déjazet. Deuxième ébauche d’adaptation de l’œuvre de Camus. Il a soif de plus de mouvement et de danse, il quitte le théâtre visuel et plonge dans la danse contemporaine : Les chichis de Clichy, Raccords, … sa plus belle rencontre se fait avec Stéphanie Roussel et sa Cie La Clepsydre : Terre de Sienne. Nouveau changement de cap, il laisse la danse. Suit une période entre deux où il coache, met en scène ou interprète les projets des autres leur faisant partager la multiplicité de son cheminement : Curriculum vit’fait, R-V à Lafontaine, Le bal des corbeaux, … L’envie et le besoin d’une création en solo regroupant tout ce qu’il aime grandit en lui. Parallèlement, il assiste son ami Adriano Sinivia dans ses mises en scène d’Art Lyrique à travers la France : Le barbier de Séville, La Périchole, La petite renarde rusée, … L’étranger vient comme une suite logique de ce parcours, une étape naturelle, où tout se met en place de soi-même, comme si toutes ses années et tous ces spectacles n’avaient qu’une unique destination : aller au bout de sa rencontre avec ce Meursault ce qui ne l’avait jamais quitté, et l’interpréter seul en scène.
78, rue du Charolais 75012 Paris