Claire Lasne et son équipe du Centre Dramatique de Poitiers ont choisi l’esthétique foraine et la piste de cirque pour aborder l’une des pièces de jeunesse rarement jouées de Tchekhov, souvent considérée comme la première mouture d’Oncle Vania, tout entière nourrie des contes de la Russie légendaire, et où triomphent en dernier ressort éloge de la nature et principe de vitalité.
L’Homme des bois est la dernière des premières pièces d’Anton Tchekhov. Être sans père, Platonov, le premier Ivanov, et L’Homme des bois sont toutes trois des œuvres de l’inachèvement. Brouillons géniaux des grandes pièces, elles sont appel à invention, mouvement, vitalité, contradictions. Vitez disait que pour diriger un acteur dans Tchekhov, il suffisait de lui demander de faire le mouvement inverse au texte. Le tiraillement intérieur à se séparer de l’enfance et à la rejoindre est le fil, est le travail qui induit tout geste, tout choix de costume ou d’espace. Devenir moins stupide, travailler au lendemain, s’arracher à sa petite histoire personnelle pour être citoyens des arbres : que l’on parvienne ou non à le suivre, le chemin que propose Tchekhov à ceux qui le jouent et ceux qui l’écoutent est merveilleux. Platonov a été rangé dans un tiroir. Le premier Ivanov également. L’Homme des bois fut très mal reçu à sa création. Entre temps, la maladie a gagné cet homme encore jeune, qui a, pour toute réponse, travaillé à toujours plus de compréhension. Cette œuvre n’est pas un exemple de colère. Colère à s’extirper du jugement d’autrui, de sa propre paresse, de son insignifiance. L’humour naît de notre impossibilité à accomplir ce mouvement vers le haut – «j’y vais» dit le texte lorsque la didascalie précise : il reste assis. Un homme se suicide au milieu de L’Homme des bois, et la pièce suit son cours, la vie suit son cours, avec son cortège de bonnes intentions, dans la plus parfaite indifférence à cette mort. Prise à la lettre, l’œuvre est un appel à plus d’humanité, mais sa construction même vient rappeler que pendant que cette petite communauté refait le monde, l’un d’entre eux s’écroule entre deux portes.
Claire Lasne
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