C’est dans un monde paradoxal, encore humilié des guerres passées contre les Prussiens et en pleine confiance de ses moyens à venir, qu’un auteur, Henry Becque, ami de Zola et de Rodin, va donner ses lettres de noblesse au vaudeville en inventant une forme nouvelle de « comédie de moeurs ». Il raconte l’histoire du mensonge et celle du désir en même temps. Les répliques vont droit au but, telles des flèches. Le verbe est précis, la pensée condensée, l’expression forte et directe.
L’intrigue commence après que le ménage à trois, le mari, sa femme et son amant, s’est établi. Tout repose sur un superbe et inquiétant personnage féminin incarné par l’extraordinaire comédienne Marie-Armelle Deguy. La femme, demi-mondaine ambitieuse et intrigante, jouit des hommes et les manipule avec une redoutable efficacité. Tout se passe dans le dialogue et dans l’état de désir
des personnages, état qui crée le ridicule et le pathétique parfois, bref, le comique.
Après avoir travaillé sur un certain nombre de textes contemporains (Renaude, Minyana, Durif, Lagarce, Barker…) et sur des registres différents : drames, comédies, tragédies, Frédéric Maragnani va voir du côté de la comédie de mœurs, légère mais aussi cruelle, avec l’intuition que cette « école-là », celle de la comédie, celle du vaudeville, celle du rire, parfois grinçant, est pleinement celle du théâtre !
C’était un crépuscule et une aube nouvelle, en même temps. C’était un temps incertain où le sol semblait se dérober sous les pieds du vieux monde et où le Nouveau Monde, l’Amérique, venait de connaître sa toute première récession et celle-ci semblait se propager. C’était un monde paradoxal, encore humilié des guerres passées contre les prussiens, et en pleine confiance de ses moyens à venir (l’affirmation d’une république sociale et laïque). Phase de transition, de mutations sociales et sociétales importantes, y compris pour les femmes, qui, si elles sont plus nombreuses à exercer des responsabilités dans la fonction publique et entrent enfin dans les études secondaires, restent mineures aux yeux de la loi. Il faudra attendre 1907 pour qu’une salariée puisse disposer de sa paye sans l’aval de son mari. La France avance avec hésitation.
Dans ce contexte, un auteur, Henry Becque, va donner toutes ses lettres de noblesse au vaudeville en inventant une forme nouvelle de « comédie de mœurs » qu’il qualifiera lui-même de « comédie rosse ». Il est le seul auteur français à pouvoir être sur un pied d’égalité avec un Strindberg, son contemporain. Comme lui, il raconte l’histoire du mensonge et celle du désir en même temps. Il raconte avec des mots rapides, brefs, tranchants, le sens de la réplique, des phrases ping-pong, le sens du théâtre. Les répliques de Becque dans La Parisienne n’ont pas de « gras ». Elles sont sans joliesses superflues, sans ornements, mais droites et efficaces : elles vont droit au but, telles des flèches. Le verbe est précis, la pensée condensée, l’expression forte et directe.
L’intrigue commence après que le ménage à trois se soit établi, le mari, sa femme et son amant. Pas d’intrigue réelle (les personnages garderont jusqu’à la fin leur statut de « mari », « d’épouse » et « d’amant »), juste un vrai sujet de comédie en cette succession de scènes. Chaque scène en soi est curieuse, d’une remarquable vérité, pleine de mots d’un comique profond, de mots de situations et de caractères. Et toutes les scènes n’aboutissent à aucun incident, à aucun dénouement. Il n’y a pas de lutte ni intérieure ni extérieure. Tout se passe dans le dialogue. Et dans l’état de désir des personnages, état qui crée le ridicule et le pathétique parfois, bref, le comique.
Becque s’inscrit dans la lignée du vaudeville moderne. Et je situe cette tentation du vaudeville dans mon parcours de metteur en scène. Après avoir travaillé sur un certain nombre de textes de nos contemporains aux registres différents, drames, comédies, tragédies, cette « tentation du vaudeville » est réelle et je souhaite aller voir du côté de cette comédie de mœurs, légère mais aussi cruelle. J’ai l’intuition que cette « école-là », celle de la comédie, celle du vaudeville, celle du rire, parfois grinçant, est pleinement celle du théâtre.
Un espace coupé en deux, par un haut mur à rayures très colorées (j’aime les plateaux de forts contrastes de couleur) sera celui de ce « passage » que je souhaite représenter, une pleine lumière centrale, s’effaçant peu à peu sur les marges et permettant des apparitions soudaines. Du mobilier et des accessoires bien entendu, ceux justes nécessaires à la bonne exécution du vaudeville (le secrétaire, la lettre), une base de musique accompagnant certains passages, certaines scènes d’intensité rare (la scène du dépit amoureux de Clotilde dans l’acte 3), une exécution assez rapide des mots, ce sont, un peu en vrac les premiers éléments qui, pour moi, construisent mon désir de mise en scène et lui permettent de prendre corps.
Frédéric Maragnani
1, place de Bernard Palissy 92100 Boulogne Billancourt