La Princesse Maleine est une pièce du début, la première pièce d’un poète de 27 ans riche de sa solitude, de son inexpérience, de son irresponsabilité même.
Il faut y entrer par la litanie intime, la chanson basse. Assagir le soir pour recueillir le poème comme une accalmie, s’appuyer sur les douleurs anciennes pour atténuer celles des personnages. Faire fondre la tragédie jusqu’à plus rien qu’une respiration de dormeur, à mi-distance du drame et de la lumière. C’est un film au ralenti où le temps est nouveau, le présent généreusement agrandi, où il y a plus de soixante secondes par minute. Un texte discret qui laisse place à une vie gigantesque. Maeterlinck réunit des instants qui, en s’ajoutant et en se complétant, s’amplifient et se densifient pour rendre quelque chose de notre expérience du monde. C’est le grand théâtre des incertitudes, où le présent se joue en abattant les cartes du passé.
Deux amants qui se perdent obscurément dans le tourbillon sans fin du silence. Elle, la Princesse, a l’arme fatale des charmes, c’est l’éloge de la cigale, on l’entend jusqu’au cœur de la nuit. Elle a le visage pâle mais tout barbouillé, comme une enfant qui s’est gavée de confiture et de fruits mûrs à pleines poignées. Lui, le Prince, a posé une main invisible sur la tête de cette fille. Autour d’eux, une nourrice qui porte l’âme de Maleine sur la paume de sa main, un confident qui est l’écho de l’âme du Prince, un Roi, une Reine et une autre princesse qui doivent faire face à leurs démons, une cour dont la raison bat de l’aile, un enfant et un chien, des spectres, et cinq Béguines qui prennent en charge le service domestique et la voix d’un peuple fantoche. La signification de toutes ces existences ne semble se déterminer qu’au dernier moment, celui de la mort. Mais là encore, grâce à la légèreté, la tristesse peut se réconcilier avec l’envol d’une mouette ; loin de la mélancolie.
Un monde aux antipodes de la brutalité florentine, une Nef des fous qui ne sombre pas grâce à la folie de ses passagers. Un monde où tout se déploie à retardement, où tous les éléments se déchaînent presque imperceptiblement dans le sillage d’une princesse qui traverse l’espace sans toucher le sol. Un monde où les situations complexes cachent des je t’aime. Où le dérisoire, l’inconséquent ont autant de place que les tours et détours du destin, que les vertiges des sens. Où l’émotion n’a de sens que « pour connaître », pour pister le sens des choses. Il faut considérer la pièce comme une matière, un objet qui émettrait des signes à ne pas trop déchiffrer. Il y a de l’esprit dans la matière.
Maeterlinck a placé l’ambiguïté au cœur de son théâtre ; d’une certaine manière, il avoue qu’il ne comprend rien à ce qu’il voit. C’est un apport immense à la pensée humaine. Tchékhov, grand admirateur de l’écrivain belge et chercheur passionné comme lui de formes nouvelles, va dans le même sens quand il écrit : « Il n’y a que les imbéciles et les charlatans pour tout savoir et tout comprendre ». Si « la modernité, c’est le renoncement à la possibilité d’avoir un alibi », comme le souligne Sloterdijk, les problèmes que rencontre l’homme de la modernité se trouvent là : l’impossibilité de vivre en phase avec le temps, la tendance à aller toujours ailleurs et à fuir la mort et les mouvements intérieurs. Maeterlinck est convaincu que l’homme n’est pas naturellement humble et tolérant et qu’à toute époque il utilise des paravents pour camoufler son orgueil et son désir de domination. Mais il voudrait apporter une nouvelle image du monde, il tâche d’imposer une révolution de la prunelle où le regard ne prendrait jamais le pas sur la poésie.
Maeterlinck est constamment pris en flagrant délit de fabuler. Les dialogues quittent la surface, les personnages se mettent à dire ce que d’ordinaire on ne dit pas : leurs mots sont des choses vivantes. Voilà un auteur qui s’est interrogé sur la puissance créatrice des mots, sur leur capacité de faire vivre tout ce qu’ils désignent, même le néant, sur la force sidérante de l’imaginaire - car nous tenons davantage à ce que nous avons inventé qu’à ce que nous avons réellement observé.
Yves Beaunesne
L'idée de monter Maeterlinck était bonne. Il est simplement dommage que le metteur en scène ait cru devoir en faire sa création, avec le parti-pris pénible à force d'être éculé qu'il se situe toujours contre ou à côté de, mais jamais dans la pièce ; la dentelle du texte ne résiste pas à ce traitement. La distribution suit le même schéma décalé, avec la palme de l'inadéquation à la reine Anne, à égalité avec la princesse Maleine. Le roi, la nourrice et les seconds rôles s'en tirent mieux, heureusement ; ils arriveraient presque à sortir la salle de sa léthargie.
L'idée de monter Maeterlinck était bonne. Il est simplement dommage que le metteur en scène ait cru devoir en faire sa création, avec le parti-pris pénible à force d'être éculé qu'il se situe toujours contre ou à côté de, mais jamais dans la pièce ; la dentelle du texte ne résiste pas à ce traitement. La distribution suit le même schéma décalé, avec la palme de l'inadéquation à la reine Anne, à égalité avec la princesse Maleine. Le roi, la nourrice et les seconds rôles s'en tirent mieux, heureusement ; ils arriveraient presque à sortir la salle de sa léthargie.
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