Il était une fois un homme roux, qui navait dyeux ni doreilles. Il navait pas non plus de cheveux et cest par convention quon le disait roux. Il ne pouvait parler car il navait pas de bouche. Il navait pas de nez non plus. Il navait même ni bras ni jambes. Il navait pas de ventre non plus, ni de colonne, il navait pas dentrailles non plus. Il navait rien du tout ! De sorte quon se demande de qui on parle. Il est donc préférable de ne rien ajouter à son sujet.
Daniil Harms, CAHIER BLEU N° 10 (1937)
Notes sur lauteur
Propos de mise en scène
"Et entre eux se tient le dialogue suivant." Hamsun.
Entre la fin mai et la première moitié de juin 1939, Harms écrit La vieille. Dans ce monologue se retrouvent bon nombre des angoisses et obsessions de lauteur liées à ce quotidien nauséabond : faiblesse de lindividu, peur de lautre, "non-sens" du monde qui nous entoure, angoisse de la page blanche, arbitraire dun système totalitaire auquel Harms croyait très fort...
Dès la première lecture de ce cauchemar burlesque le lecteur est fasciné : lécriture de Harms tourne en rond : répétitions, phrases courtes, avortées. Dénigmatiques personnages surgissent et le héros harmsien senfonce de plus en plus.Le personnage est bringuebalé tel un pantin, esclave de la cruauté du monde, un clown jeté hors des cabarets.
Une vieille fait irruption chez un auteur en mal dinspiration, sinstalle et meurt dans son fauteuil. Et tout bascule. Toutes les peurs du personnage ressurgissent : comment vivre avec un cadavre sur les bras ? IL semble en attente dun miracle qui le sortirait de ce cauchemar. Mais rien ne vient, IL est seul avec cette vieille morte. A-t-IL encore la foi nécessaire au miracle ?
Pour transposer ce personnage sur une scène de théâtre, il fallait le faire évoluer dans un cadre moins violent que le cadre social.
Il fallait le mettre en confiance, lui laisser une chance de sexpliquer, de nous raconter cet événement. Le lieu devait être impersonnel, inoffensif, un lieu où IL oserait nous parler. Une salle dattente, pour lui tout seul. Une salle qui attendrait quIL puisse nous parler, à nous, public : trois fauteuils usés, un tapis rouge au sol et un coin bien à lui au fond de cette salle protégé de nos regards par un rideau rouge.
Ce lieu clos, fermé est sa prison, sa piste de cirque; là, IL est à labri de ce quotidien dont IL va peut-être nous parler. Le public devient alors juge, confident, voyeur, psy... LorsquIL sera prêt, IL se lancera dans son exposé. Alors, IL osera se mettre en scène. Ultime tentative de connexion Tout est prêt. IL essaye de faire de son mieux afin que nous lentendions, le comprenions. Et même si tout est faux, sil ny a pas de public, IL le croit et ça lui suffit.
Sans doute, au contact du public, va-t-IL être submergé par ces émotions, IL perdra pied, malgré les gardes fous qui jalonnent sa pensée : précision des déplacements, voix claire et précise, sourire aux lèvres, gestes mécaniques.
Surement, ca-t-IL sembrouiller, se perdre dans ses propos et le spectateur sera là, en attente de sa désintégration totale.
Jean-Paul Mura
157, rue Pelleport 75020 Paris