Les derniers mots d’amour d'une mère à son fils
Contexte historique
Notes du metteur en scène
Sincérité et dépouillement de la mise en scène
Ukraine, été 1941. Anna Séminiovna, médecin à Berditchev, se retrouve expulsée avec les autres juifs de la ville dans un ghetto, les visages dans la rue changent, on refuse de lui donner sa paye, des voisines se disputent ses affaires devant elle, puis compatissent sur son sort. Une fois dans le ghetto, la vie reprend son cours, elle donne des cours de français à un petit garçon, soigne les malades, pourtant ils savent tous quel terrible destin les attend.
La force de cette femme est d’écrire à son fils cette dernière lettre, témoignage de ses derniers jours et aveux sur les quelques regrets du passé. Elle lui délivre ses pensées les plus sincères, essayant de lui faire comprendre les raisons du comportement des Hommes et de sa mort qu’elle sait imminente. Acte d’amour d’une mère à son fils pour combler les manques d’informations qui subsisteront. Elle est déchirée par l’absence de celui-ci mais soulagée de le savoir loin. Bien qu’une force de vie émane du ghetto, la peur surgit la nuit. L’aide qui lui est apportée par des Russes compatissants, la cupidité et l’indifférence des autres, sa lente prise de conscience qu’elle est juive avant d’être Russe renforce à la fois son incompréhension et son émerveillement : « J’ai pu voir ici que l’espoir n’est presque jamais lié à la raison, il est insensé, il est, je pense, engendré par l’instinct. »
Ce texte qui perturbe nos consciences nous interroge sur notre époque actuelle. Les Hommes sont-ils si différents ? L’Histoire peut-elle se répéter ? Une très belle lettre qui témoigne de façon digne et humaine d’un moment de vie.
« Comment finir cette lettre ? Où trouver la force pour le faire, mon chéri ? Y a-t-il des mots en ce monde capables d’exprimer mon amour pour toi ? Je t’embrasse, j’embrasse tes yeux, ton front, tes yeux. Vitenka… Voilà la dernière ligne de la dernière lettre de ta maman. Vis, vis, vis toujours… Ta maman. »
Traduction : Alexis Berelowitch
Par la compagnie Têtes D'Ampoule.
Le 22 juin 1941, Hitler rompt le pacte de non agression signé avec l'URSS et lance une offensive sur le territoire soviétique. En quelques mois, l'armée allemande envahit l'Ukraine, la Crimée, parvient aux portes de Leningrad et est stoppée à 20 km de Moscou. Dans le même temps, elle extermine toute la population juive qui vit sur les territoires qu'elle conquiert. Avant la guerre, quelques 30 000 juifs vivaient à Berditchev, une ville d'environ 60 000 habitants. Les nazis entrent à Berditchev le 7 juillet 1941. Seulement un tiers des juifs avait réussi à s'échapper. Tous les juifs de la ville sont brusquement déclarés hors-la-loi et privés de leurs droits civils. Le 26 août, les Allemands les enferment dans un ghetto, dans le quartier du Bazar. Le 4 septembre, 1500 jeunes gens sont envoyés à des "travaux agricoles" et tués le jour même. Ainsi, il ne reste plus dans la ville que des vieux, des femmes et des enfants. Aucune résistance n'est possible. Le 14 septembre 1941, plusieurs unités SS arrivent à Berditchev et le 15 à l'aube, tous les juifs du ghetto sont réveillés et regroupés sur la place du Bazar. Les nazis sélectionnent des médecins, artisans, tailleurs, cordonniers, barbiers, serruriers et leurs familles. Tous les autres juifs sont emmenés en colonnes dans un champ près de l'aérodrome. Les nazis les assassinent par groupes de 40 personnes au bord d'immenses fosses. Le 15 septembre 1941, 12 000 juifs sont exterminés. Les autres sont tués dans les mois qui suivent. Seuls 10 ou 15 juifs de Berditchev survivront à la destruction nazie.
Depuis que j'ai décidé de monter La dernière lettre de Vassili Grossman, extraite de Vie et destin, je me suis exposée à de vives réactions de la part de ceux que je croise. L'histoire et la mémoire appartiennent à tout le monde. Oui je suis jeune, oui je suis goy, qu'y a-t-il de perturbant dans le fait que je sois touchée, heurtée, choquée, offusquée, abasourdie, outrée, écœurée par la cruauté humaine ? Qu'y a-t-il d'étrange dans mon envie de hurler au monde entier : « Ecoutez cette femme qui écrit à son fils du fond d'un ghetto. Cette mère murmure des mots d'amour qui résonnent au creux de mon cœur. Cette femme digne, généreuse, humble et dépouillée, cette femme qui pourrait nous ressembler, c'est le nazisme qui l'a tuée comme des millions d'autres juifs, résistants, homosexuels, tziganes... Le nazisme, le fascisme, l'antisémitisme, le racisme, le totalitarisme, le communisme, c’est l'Homme, c'est vous, c'est nous, c'est moi !! » La responsabilité est de chaque instant, dans chaque silence, à chaque ignorance. C'est pourquoi nous cherchons à dire, à voir, à écouter et à faire connaître le témoignage de cette femme.
Effectivement, le sujet de la Shoah dérange ou concerne, mais ne laisse personne indifférent. Dans un premier temps, je trouvais cela réconfortant, l'indifférence serait terrible. Puis, j’ai remarqué que, quelles que soient les positions de chacun, nous étions tous extrêmement mal à l'aise face à ce sujet. Qui pourrait ne pas l'être ? Alors j’ai cherché ceux qui pourraient me guider sur le chemin de la justesse. Ceux qui auraient pris le parti de l’humain. Ils m’ont beaucoup appris et soutenus tout au long de mon projet. Ces gens-là sont malheureusement trop rares. Ils sont une minorité au milieu de pensées mal placées, de paroles effrayantes, d'ignorances criminelles, de regards juges, de soupirs révélateurs, de culpabilités de penser, de désintérêts total, de fatigues de la Shoah, de débuts d'antisémitisme… Ils sont une minorité aussi face aux « bien-pensants », aux « sachants », aux « récupérateurs » de misère, aux communautaristes, aux élitistes, aux débuts d’intolérance… Mais grâce à eux j’ai pu aller au bout de mon ambition. Il serait trop peu de dire que ce projet leur est dédié car ils font partie de ce projet.
Il me semble que la parole est difficile à prendre pour ceux qui ont vécu de près ou de loin l'horreur nazie. Et je suis très impressionnée par les témoins qui brisent le silence, et délient leurs langues. Le savoir ne rend-t-il pas libre ? Cette liberté n'est-elle pas essentielle pour de ne pas répéter l'Histoire ?
Les pages de « Vie et Destin » qui m’ont le plus touchée sont celles du chapitre 17. La dernière lettre d’une maman à son fils avant de mourir au fond du ghetto de Berditchev. Vassili Grossman est né le 12 décembre 1905, à Berditchev, en Ukraine. Sa mère, Ekaterina Savelievna, professeur de français, est assassinée en même temps que tous les autres juifs du ghetto de Berditchev. C’est pourquoi, bien que cette lettre soit tirée du roman de Grossman, elle est perturbante de sincérité et de réalité. Peut-être est-elle le fantasme d’une dernière lettre de sa propre mère. En avant-première page on peut lire « In memorium Ekaterina Savelievna Grossman ».
Et si moi, Nathalie Colladon, à 25 ans, avec toute ma maladresse, ma jeunesse, avec tous mes manques, je montais une pièce de cette envergure. Et si le temps d'un texte nous étions réunis. Et si nous entendions les mots. Et si nous nous laissions porter. Et si nous arrêtions de juger. Et si nous n'avions pas envie que cela recommence. Et si nous nous regardions nous-mêmes. Et si, ensuite, nous étions plus humains…
Sincérité et dépouillement. Voici les deux axes d'interprétation imposés à la comédienne Christine Melcer pour incarner le personnage d’Anna Seminiovna. La mise en scène ne doit pas être visible. Elle ne repose que sur son interprétation, sur la sincérité qu'elle donnera à chaque mot. Nous avons travaillé sur les étapes émotionnelles que vit le personnage en tant que femme, mère, médecin, russe et juive. Anna Seminiovna est une femme d'une grande dignité qui se bat jusqu'au bout pour la vie.
Et la scénographie s'articule autour de deux châssis de bois, des lumières tamisées, un costume sobre, un banc, un panier et quelques objets chers. Elle utilisera chacun des objets une dernière fois avant de les quitter à jamais laissant son empreinte dans les murs. La projection de l'empreinte est réalisée par Michèle Katz. Et la musique créée par Pipo Gomez accompagne la comédienne à chaque instant jusque dans le silence.
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking : Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.