La main passe

du 7 janvier au 27 février 2000

La main passe

CLASSIQUE Terminé

La Main passe est par excellence la pièce de la crise du mariage : pris entre leurs coupables pulsions érotiques et les convenances sociales, les époux mal ajustés se trompent, divorcent, les ex-amants adultérins se marient puis, une fois mariés, se trompent à nouveau, songent à divorcer, et ainsi de suite.

La Main passe ou la crise du mariage
La Main Passe, du vaudeville à la comédie
La Main passe, quelques extraits¼
Feydeau vu par Sacha Guitry
Eléments de Bibliographie

La Main passe ou la crise du mariage

Depuis ses origines, le théâtre n’a cessé de s’interroger sur le couple et sur la question du mariage, qui est pour toute société une préoccupation capitale ; Feydeau ne fait évidemment pas exception à la règle.

Il appartient à la société bourgeoise de son temps, qui a fait du mariage une institution clé de son système de reproduction. Elle est censée régler la question de la propriété et de sa transmission, celle de la sexualité, qui ne doit s’exercer que dans le cadre conjugal, non dans le but de plaisir mais dans celui de la procréation et, très accessoirement, celle de l’hypothétique inclination des époux l’un pour l’autre.

Ainsi, cette société prétend-elle corseter les mœurs aussi fortement qu’elle corsette les femmes, mais à trop serrer, il arrive que les coutures lâchent et que le refoulé en profite pour accomplir son grand retour.

Et c’est bien le retour du refoulé, qui va fournir à Feydeau la matière première de son oeuvre dans tout ce à quoi il peut prêter à rire, jusqu’aux confins de la folie et du tragique (tant il est vrai qu’un vaudeville n’est après tout qu’une tragédie qui a mal tourné).

La Main passe est par excellence la pièce de la crise du mariage : pris entre leurs coupables pulsions érotiques et les convenances sociales, les époux mal ajustés se trompent, divorcent, les ex-amants adultérins se marient puis, une fois mariés, se trompent à nouveau, songent à divorcer, et ainsi de suite dans une réaction en chaîne qui semble ne jamais vouloir finir. Des fiascos piteux en replâtrages hasardeux, Feydeau nous offre le spectacle peu glorieux de l’effondrement sur elle-même de l’institution conjugale telle que la classe bourgeoise l’avait rêvée depuis un siècle. Il le fait sans passion, avec une sorte d’objectivité d’entomologiste; la morale n’est pas son fort, il ne prétend rien critiquer ni corriger, et c’est là sans doute l’un des secrets de son exceptionnelle puissance comique : " Lorsque je suis devant mon papier, et dans le feu du travail, je n’analyse pas mes héros, je les regarde agir, je les entends parler... " confiera-t-il. Il est comme le phonographe de la première scène de la Main passe par lequel tout le malheur arrive, " il ne sait pas, il ne distingue pas, il enregistre ce qu’il entend ". Je ne doute pas un instant que Feydeau ne soit représenté sous les traits du phonographe en question; mais pour que le portrait soit complet, il faudrait ajouter à l’innocence de l’appareil, le génie malin du vaudevilliste.

Gildas Bourdet

La Main Passe, du vaudeville à la comédie

La Main passe, est créée aux Nouveautés le 1er mars 1904. La pièce obtient un important succès : elle est jouée 211 fois pendant l’année de sa création. La critique est très bonne: on approuve Feydeau d’avoir, cette fois-ci, mêlé à son vaudeville des scènes de comédie : " Voici écrit Stoullig, du tout nouveau Feydeau, un Feydeau méconnu que nous soupçonnions à peine sous sa réputation de vaudevilliste avéré. N’allez pas croire, surtout qu’il soit le moins du monde inférieur à l’ancien, bien au contraire (...). De la vraie, sérieuse et fine comédie, s’il vous plaît, et pas le plus petit quiproquo, voilà qui est rare et fort beau! ". De même, dans le Théâtre, Félix Duquesnel apprécie, outre " un acte de gaieté folle, le second, un acte de fine comédie, le quatrième, dont la psychologie est tout à fait charmante, son comique voisinant avec une émotion à fleur de peau ". Comme Stoullig, il semble inciter Feydeau à quitter le vaudeville pour la comédie littéraire, en écrivant à propos de ce quatrième acte : " Le vaudevilliste, si débridé d’ordinaire, s’y révèle auteur dramatique d’une valeur plus élevée qu’on ne pouvait le supposer. " De Même, encore René Maizeroy loue l’auteur d’avoir " mêlé des scènes d’exquise comédie à des situations de vaudeville ".

Cela dit, la critique apprécie également les qualités qu’elle a coutume de rencontrer chez Feydeau : innombrables situations comiques, péripéties inattendues, mots plaisants, comme celui de Francine qui, du fond du lit adultère où son mari l’a surprise, lance de toute son effronterie, le célèbre " Qu’est-ce que tu vas encore imaginer ? " Mais ce qui soulève particulièrement l’enthousiasme du public, c’est l’irruption du pochard Hubertin chez Massenay et le long soliloque qui la précède, lorsque, d’une main maladroite, il essaie de trouver l’orifice de la serrure.

Les critiques de 1904 ne se trompaient pas lorsqu’ils croyaient discerner dans la nouvelle pièce une part de comédie d’observation nettement plus importante que dans les précédentes ; disons plutôt que cette matière psychologique y était répartie d’une façon nouvelle. Ordinairement, Feydeau, dès l’exposition, dessinait brièvement ses personnages et les douait d’emblée d’une sorte d’existence concrète ; puis il les jetait dans les mésaventures les plus folles, ne se souciant plus d’enrichir les portraits qu’il en avait initialement tracés. Ici, au contraire, tout en procédant comme d’habitude lors de l’exposition, il était, au quatrième acte, revenu sur ses personnages, pour en enrichir la peinture. Sans quitter vraiment le vaudeville, l’auteur s’orientait donc vers la comédie et donnait même une sorte de morale à sa pièce. Il s’attardait non sans quelque mélancolie désabusée, sur la déception de cette épouse qui se rend compte, une fois remariée à son amant, qu’il ne vaut pas son mari.

La pièce comporte d’ingénieuses trouvailles. Ainsi l’auteur se montre fort habile à exploiter les inventions modernes et les applications pratiques de la science. C’est un phonographe enregistreur - et aussi reproducteur - ancêtre de nos magnétophones, qui, trahissant Francine, va révéler à son mari l’infidélité dont elle s’est rendue coupable. Mais comme le son est assez mal reproduit - nous ne sommes qu’en 1904 - pour permettre un quiproquo sur l’identité de l’amant, le mari va se lancer sur une fausse piste. Par ce genre de procédé, l’auteur renouvelle la dramaturgie traditionnelle du vaudeville et l’articule sur la réalité contemporaine, ce que ses confrères ne savaient pas faire.

Dans un tout autre domaine, citons aussi une de ces inventions drolatiques qui fourmillent dans le théâtre de Feydeau : l’auteur a imaginé ici l’étrange personnage du maçon Lapige qui s’exprime normalement en temps ordinaire mais aboie comme un chien dès que quelque émotion s’empare de lui. On devine quelle atmosphère ubuesque peut créer ce Lapige lorsqu’en présence de nombreux témoins qui attendent ses révélations, il est interrogé par le commissaire de police...

Henry Gidel

La Main passe, quelques extraits¼

Acte I, scène VII
Chanal : Aha! A la bonne heure! Toujours le même!... vieux copain!... Je disais donc : " Tu ne te rappelles pas Chanal ? "Massenay, cherchant : Attends donc!
C’est pas un petit dont on disait que le père était cocu ?
Chanal : Mais non voyons, c’est moi!
Massenay, décontenancé par son impair : Oh! Oh!... Mais oui que je suis bête! je le sais bien parbleu, que c’est toi, puisque je suis ici!... Où avais-je la tête ?

Acte II, scène I
Francine, bondissant : Moi ? moi, oser avouer à ma mère ?... (Avec décision en passant devant lui.) Jamais!
Massenay : Bah! une mère est une femme et toute femme a eu plus ou moins dans sa vie...
Francine, revenant sur lui, indignée : Maman! maman! des amants!

Acte II, scène III
Massenay : Qui êtes-vous, monsieur ?
Hubertin, avec explosion : Je suis cocu!
Massenay : Qu’est-ce que vous dites ?
Hubertin : Je dis que je suis cocu.

Acte III, scène II

Auguste : Non!... J’ai bien fait tout ce que Madame m’a dit : d’abord, la tournée des restaurants ; tous fermés !... Chez Maxim, j’ai trouvé des garçons qui balayaient... et un pochard qu’on balayait... Ce n’était pas Monsieur... De là, j’ai été, comme Madame m’a dit, à la Préfecture ; j’ai fait la déclaration... au bureau des objets perdus...

 

Acte III, scène V
Sophie : Eh! bien, qu’est-ce que c’est ?
Auguste : Madame, c’est un maçon.
Tous : Un maçon ?
Auguste : Qui apporte les vêtements de Monsieur.
Tous : Hein ?
Sophie : Comment, les vêtements de Monsieur ?
Auguste : Oui, Madame... qu’il a trouvés dans la rue.
Tous, Stupéfaits : Oh!
Sophie : Dans la rue ?
Belgence : Les vêtements de Monsieur ?
Sophie : Eh! bien, et monsieur ? Et Monsieur ?
Belgence et Planteloup : Oui ?
Auguste, avec un geste découragement : Il n’était pas dedans!

Acte III, scène V
Lapige : C’est ma mère qui a été impressionnée par un lévrier...
Planteloup, profond : Un lévrier! oui... oui!
Lapige : Qui lui était grimpé dessus.
Planteloup : Oui, je comprends! de sorte que vous seriez né de madame votre mère et de ce lévrier ?
Lapige, se récriant : Mais non! Mais non! c’est pendant que ma mère était dans une position intéressante que ouah-ouah! ouah-ouah!
Planteloup, Vivement : Oui-oui, oui-oui! ne vous donnez pas la peine, j’ai compris. C’est comme qui dirait une envie à l’envers! une envie dont on n’aurait pas eu envie! Voilà oui, oui.

Acte III, scène XII
Chanal : Mais non, il faut être comme ça !... (La main sur le dossier du fauteuil de sa femme.) J’estime que le mariage est comme une partie de baccara! Tant que vous avez la veine, vous gardez la main... Après une série plus ou moins heureuse, arrive un monsieur plus veinard qui prend les cartes contre vous; il gagne le coup ?... La main passe !... Eh bien, c’est ainsi que j’entends qu’il en soit : j’ai perdu le coup; il y a une suite : à toi les cartes ! LA MAIN PASSE !

Acte IV, scène VI
Massenay : Oui ! Oh ! ça, mon pauvre vieux, on croit toujours... avant; et puis quand une fois ça y est!... Connais-tu seulement bien la femme que tu épouses ?
Belgence : Oh ! oui !
Massenay, incrédule : Oho!
Belgence : Je t’assure !... C’est ta femme !
Massenay, bondissant : Hein !

Acte IV, scène VII
Massenay : Ah! (Présentant Chanal à Belgence.) M. Chanal!... l’ancien mari de ma femme.
Belgence, s’inclinant : Monsieur!
Chanal s’incline en même temps.
Massenay, présentant Belgence : M. Belgence!... le futur mari de la mienne.

Feydeau vu par Sacha Guitry

Je pense qu’aucun homme, jamais, ne fut plus favorisé que lui par le Destin.

Il avait, dans son jeu, tous les atouts : la beauté, la distinction, le charme, le goût, le talent, la fortune et l’esprit.

Puis, le Destin voulant parachever son œuvre, il eut ce pouvoir prodigieux de faire rire des personnes assemblées dans ce but. D’autres, me direz-vous, l’avait eu avant lui et d’autres l’ont encore, ce pouvoir. Eh! bien, non. Ce que d’autres ont eu, ce que d’autres ont encore, c’est le don de faire rire, c’en est la possibilité - et ce n’est pas moi qui vais contester à Courteline son génie, ou bien à d’autres leur talent et leurs trouvailles - mais lui, Georges Feydeau, ce qu’il avait en outre, ce qu’il avait en chef et sans partage, c’était le pouvoir de faire rire infailliblement, mathématiquement, à tel instant choisi par lui et pendant un nombre défini de secondes.

Ses pièces étaient conçues, construites, écrites, mises en scène et jouées à une cadence particulière et que, vingt ans après sa mort, on est tenu de respecter.

Ses vaudevilles, puisque c’est ainsi qu’on appelle ses œuvres, portent sa marque indélébile. D’autres vaudevilles ressemblent aux siens, mais les siens ne ressemblent pas aux vaudevilles des autres.

Faites sauter le boîtier d’une montre et penchez-vous sur ses organes : roues dentelées, petits ressorts et propulseurs - mystère charmant, prodige! C’est une pièce de Feydeau qu’on observe de la coulisse. Remettez le boîtier et retournez la montre : c’est une pièce de Feydeau vue de la salle - les heures passent, naturelles, rapides, exquises...

Il était un ami fidèle, attentif et discret. C’était un solitaire - et cet homme qui faisait éclater de rire ses contemporains, a traversé la vie mélancoliquement. Son visage était si fin, si beau, si français que c’est celui que M. Larousse avait choisi pour illustrer le mot " moustache ".

J’ignore ce qu’il adviendra de son nom, mais j’ai la conviction que lorsqu’il se présentera devant le Tribunal de la Postérité et que le Président Suprême lui posera cette question :
- Avez-vous des titres de Postérité ?
Feydeau pourra répondre :
- Oui.
- Quels sont ces titres ?
- Champignol malgré lui, Mais n’te promène donc pas toute nue, Feu la mère de Madame et la Dame de chez Maxim’s!

Eléments de Bibliographie

Sur Feydeau :
Tout l’humour de Feydeau, Robert Nahmias, Grancher, 1995
Georges Feydeau, Henry Gidel, Flammarion, 1991
Le Théâtre de Georges Feydeau, Henry Gidel, Klincksieck, 1979
Georges Feydeau, Jacques Lorcey, Table Ronde, 1972

De Feydeau :
Dormez, je le veux !, Avant-Scène, 1997
La Puce à l’oreille, Avant-Scène, 1996
Occupe-toi d’Amélie, LGF, 1995
Occupe-toi d’Amélie, Hachette, 1995
La Dame de chez Maxim, Avant-Scène, 1994
Théâtre, Omnibus, 1994
Notre Futur, Librairie Théâtrale, 1993
Les Pavés de l’ours, Librairie Théâtrale, 1993
Tailleur pour dames, Librairie Théâtrale, 1993
On purge Bébé ! Librairie Théâtrale, 1991
Théâtre Complet, 4 vol., Garnier, 1988-1989
Le Dindon, LGF, 1989
Mais n’te promène donc pas toute nue, Librairie Théâtrale, 1988
Léonie est en avance, Librairie Théâtrale, 1986
La Puce à l’oreille, Comédie-Française, 1979
Feu la mère de Madame, Librairie Théâtrale, 1977

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Spectacle terminé depuis le dimanche 27 février 2000

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