La puce à l’oreille

du 7 mai au 27 juin 2004

La puce à l’oreille

Monsieur Chandebise, honorable assureur, homme honnête ayant réussi dans les affaires, amoureux et fidèle dans sa vie privée, n’a pourtant, le soir venu, plus "rien à déclarer" à Madame dans l’intimité. Ce qui ne manque pas de fort l’angoisser, ainsi que Madame. Camille Chandebise, son neveu et secrétaire, souffre, lui aussi, d’un handicap, (et lequel !) : un trouble du langage. Il n’a que les voyelles à proposer, les consonnes lui font défaut, ce qui rend sa parole inintelligible et - là encore - entrave sérieusement sa vie amoureuse…

Résumé
Scénic-railway

Un comique moderne

Le génie de Feydeau

L’amour doit se taire

Monsieur Chandebise, honorable assureur, homme honnête ayant réussi dans les affaires, amoureux et fidèle dans sa vie privée, n’a pourtant, le soir venu, plus "rien à déclarer" à Madame dans l’intimité. Ce qui ne manque pas de fort l’angoisser, ainsi que Madame.
Camille Chandebise, son neveu et secrétaire, souffre, lui aussi, d’un handicap, (et lequel !) : un trouble du langage. Il n’a que les voyelles à proposer, les consonnes lui font défaut, ce qui rend sa parole inintelligible et - là encore - entrave sérieusement sa vie amoureuse...

Jamais Feydeau n’avait accumulé en un même point autant de pétards et ne les avait allumés aussi vite.
Un véritable feu d’artifice au-dessus d’une fourmilière bouleversée. Le comédien ne sait plus où donner de la tête.
Chaque porte et jusqu’au lit, cache quelque ressort secret. Le moindre geste et un diable sort de sa boîte.
En un mot le monde tremble sur ses bases.
Le vaudeville vole en éclats.

Pierre Marcabru

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Qui sont les personnages de La Puce à l’oreille ? Un noyau d’individus appartenant à la bourgeoisie du début du siècle, occupant les hôtels particuliers du 8ème arrondissement de Paris. Un monde nanti de confort, de bonne conscience, un monde à l’abri. Cependant, sous cet ordre apparent on voit se dessiner quelques brèches qui entrouvrent peut-être les portes d’un ailleurs.

Monsieur Chandebise, honorable assureur, homme honnête ayant réussi dans les affaires, amoureux et fidèle dans sa vie privée, n’a pourtant, le soir venu, plus "rien à déclarer" à Madame dans l’intimité. Ce qui ne manque pas de fort l’angoisser, ainsi que Madame.
Camille Chandebise, son neveu et secrétaire, souffre, lui aussi, d’un handicap, (et lequel !) : un trouble du langage. Il n’a que les voyelles à proposer, les consonnes lui font défaut, ce qui rend sa parole inintelligible et - là encore - entrave sérieusement sa vie amoureuse...

À partir de la faille naît le désir, celui de retrouver le moyen de prouver son amour, les mots pour séduire, celui de se croire toujours aimé, le désir qui va se projeter dans un lieu de rêve, au nom éminemment suggestif : l’hôtel du Minet-Galant, à Montretout.
Mais qu’est-ce que le monde du désir sinon le monde des ombres, un monde de clair-obscur, féérique mais inquiétant, un monde où l’on perd pied, où l’on flotte, où l’on vertigine. et c’est ainsi que se découvre à nous le Minet-Galant au cours de ce deuxième acte où l’action va atteindre une violence prodigieuse, à l’image du rire que provoque Feydeau, un rire qui tient plus de l'épreuve physique que de la partie de plaisir. Au Minet-Galant, pas de fredaine, pas d’après-midi légers, pas de petites gâteries, comme on pourrait le penser, mais des événements ahurissants qui défilent à cent à l’heure, secouent, violentent, comme les montagnes russes ou les attractions foraines de notre époque qui fascinent petits et grands.

Tout d’abord, il y a quelque chose d’inouï, d'inconcevable : au Minet-Galant, Chandebise a un sosie parfait, Poche, le valet de l’hôtel. "Il est deux" comme dira Camille à l’acte III.
A partir de là, l’étrange et le cocasse voisinent avec le terrifiant. Quoi de plus angoissant que d’être obligé de demander à son collègue qui on est pour se faire connaître ? Quoi de plus inquiétant que d’être traité comme un monsieur alors qu’on est un domestique et inversement ? Un domestique alcoolique, trimant du matin au soir, accablé de coups et d’injures par son maître et y trouvant très grand plaisir, devient brusquement un "maître à qui les gens du monde font mille excuses et devant qui ils vont jusqu’à s'incliner". Un maître, un monsieur, se fait traiter de "cochon", de "canaille" par un inconnu qui, non content de l’injurier, le tabasse vigoureusement.

Le monde de l’ordre, de la loi qui règle les rapports humains, en un mot le monde symbolique éclate et l’imaginaire se déchaîne. Il n’y a pas de maître ni de valet, le monde est à l’envers bien que tous essaient de se cramponner pour cesser de chanceler. Les explications pleuvent : "il a un transport au cerveau... C’est un coup monté, etc." et jusqu’à la fin, aucun des personnages sauf deux ne cessera de dénier cette fantastique interpellation. On va jusqu’à supposer que Chandebise est victime d’un accès d’alcoolisme aigu, pour expliquer son état de dépersonnalisation. Seuls Camille et Chandebise lui-même, peut-être les favoris de Feydeau, un peu plus lucides, un peu moins bornés ou bernés par les autres, auront le privilège de voir ou d’entrevoir l'invraisemblance dans le 3ème acte. Camille apercevra Chandebise dans deux endroits en même temps (" Je suis fou ! Je suis fou !"). Chandebise, lui, aura le coup de grâce puisqu’il se verra dans son lit : "La maison est hantée !... Je suis couché là, dans mon lit ! ".

Mais l'invraisemblance, n’est-ce pas le vrai  ? Chacun n’est-il pas que son image sans le miroir, ou sa propre illusion, et derrière cette image, qu’un amoncellement de fantasmes chaotiques et contradictoires ?
Et Feydeau n’en reste pas là. Les maîtres deviennent les valets, les fantômes rôdent, la loi et l’ordre n’existent plus, la communication elle aussi est interrompue. Le langage est insuffisant. Impossible de se faire entendre. Il n’y a pas de traducteur de ce monde-là. Et si l’on est étranger, Anglais en l'occurrence, et que l’on demande, éperdu de désir et de solitude : “Nobody called?”, on vous bafoue ou on vous sert un vermouth.
Camille, qui avait acquis la parole par le biais d’un bijou merveilleux, un palais d’argent, s’en voit démuni dans une rixe et erre, désespéré comme un mal-voyant à la recherche de ses lunettes.

C’est la jungle, personne ne vous tend la main, ne se risque à vous rendre service, tout le monde cherche une issue, court se protéger de l’ouragan dans lequel on peut non seulement perdre la raison, mais la vie. Un individu déchaîné, un monstre peut-être, “un peau-rouge”, comme dit Poche, circule dans le Minet-Galant avec un pistolet chargé, prêt à tirer sur quiconque. Il hurle, rugit, enfonce les portes, fait trembler les murs, renverse tout sur son passage...
Le lieu du désir, le lieu du rêve est devenu un endroit infernal où tout bascule, même les lits qui vous emportent dans une tornade. Les gens se dédoublent. Une chose reste à faire au plus vite, rentrer à la maison, dans l’univers douillet, immobile de l’immeuble bourgeois. Chacun revient harassé, éreinté, “Mon Dieu, Mon Dieu ! Je suis abruti positivement... Je me fais l’effet d’une plume... d’un pauvre petit duvet emporté par un cyclone”, dira Camille.
La “party” n’est cependant pas complètement terminée, comme si on ramenait avec soi des restes de fantasmes, quelques petites fumées après la fête.

Mais peu à peu la raison et l’ordre reprennent leurs droits, la question du dédoublement est résolue, il y a bien un maître-Chandebise et un valet-Poche qui se ressemblent comme des jumeaux. Le "peau-rouge", Homenides de Histangua, voit sa colère décapitée : il était victime d’une illusion. Le couple Chandebise se réunit, il semble que leurs problèmes subsistent mais la tentative pour les régler a été si périlleuse qu’il ne faut peut-être plus s’y hasarder. Les portes de l’hôtel du boulevard Malesherbes se referment.
Le monde n’a pas tellement changé après le fabuleux voyage. Il n’y a peut-être rien à changer, il faut seulement suivre Feydeau derrière les murs de l’asile de Rueil, Feydeau qui choisit de “faire l’oiseau” pour ignorer les hommes, leur ordre et leurs désordres.

Luce Proby

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J’ai déjà monté une première fois La Puce à l’oreille en 1985 au Théâtre National de Marseille / La Criée. Retrouver aujourd’hui ce texte est pour moi un immense plaisir. Feydeau en effet atteint là une sorte de perfection, de quintessence du comique et nous offre à profusion cette belle et trop rare vertu théâtrale : le fou-rire.
Feydeau nous entraîne dans un monde contaminé par la folie comique et langagière, un monde où règne la logique loufoque de l’absurde. Ionesco n’est pas loin.

Dans La Puce à l’oreille, un comique d’une violence inouïe dynamite tous les poncifs du vieux vaudeville. On assiste, comme le dit Robert Abirached, à la naissance du “comique moderne”. 
Le monde petit-bourgeois se déglingue devant nous et glisse à toute allure sur un toboggan infernal où la raison chavire, où le langage explose, où les personnages, en déséquilibre constant, se dédoublent. Maître et valet s’inversent. Les objets fichent le camp. Les lits tournent sur eux-mêmes. Et sans cesse il faut courir, courir encore, comme dans le pire des cauchemars, pour échapper aux coups - coups de pied, coups de poing, coups de feu...

La Puce à l’oreille a été représentée pour la première fois en 1907. Sept ans seulement avant la guerre. Et ce n’est pas un hasard si nous avons l’impression, en voyant courir les personnages de Feydeau, qu’ils sont emportés comme fétus de paille par le vent de l’Histoire et se précipitent, inconscients et joyeux, vers le gouffre où s’engloutira bientôt l’occident.

“Avoir la puce à l’oreille” avait, au XVIè et XVIIè siècle un sens érotique qu’on retrouve entre autres dans Rabelais. La pièce de Feydeau est avant tout une pièce sur le désir. Sans en avoir l’air, avec “l’insoutenable légèreté” du burlesque, Feydeau, nous dit tout sur cette faille qui est en chacun de nous et d’où naît le désir qui va se projeter en un lieu - l’hôtel du Minet Galant, à Montretout (!) - aussi fantastique et inquiétant que la lande où erre le roi Lear...

Pour cette troisième création, j’aurai le bonheur de réunir de nouveau la jeune troupe des Tréteaux de France avec laquelle nous venons de donner 90 représentations de Ruy Blas un peu partout en France.
Je jouerai pour ma part le double rôle de Chandebise, bourgeois parisien, directeur d’une grande compagnie d’assurances, et de Poche, homme à tout faire de l’Hôtel du Minet Galant. Maître Puntila et son valet Matti entre les mains d’un même acteur ! Un rêve.

Marcel Maréchal

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Un des artisans majeurs de la scène européenne au XXème siècle - Robert Abirached
Feydeau a inauguré, au confluent du XIXème et du XXème siècle, un comique moderne, purement théâtral, dénué de toute visée pédagogique, moins soucieux de vraisemblance que d’efficacité, rapide et léger par méthode, sensible avec gourmandise à l’absurdité des choses et à ce qu’elle autorise de fantaisie et de libre délire, habile enfin à conjurer l’inquiétude croissante devant les temps nouveaux par la joyeuse imagination du jeu. Aucun écrivain, jamais, n’a maîtrisé comme lui les innombrables registres du rire et n’en a usé avec virtuosité si sûre : en s’en tenant à ce seul titre, on peut reconnaître aujourd’hui, en Georges Feydeau, l’un des artisans majeurs de la scène européenne au XXème siècle.

Le rire arrache les masques - Gilles Sandier
Plus je vais, plus le génie de Feydeau m’ébahit. Chez lui, la machine comique est aussi, pour finir, une “machine infernale”. Une fois déclenché le ressort, la machine mathématiquement happe, dévore, renverse, bouscule. D’inventions en inventions, un univers absurde se crée, à la fois parfaitement logique et parfaitement fou. Dans une série de réactions en chaîne, une société s’atomise avec ses faux-semblants et ses préjugés : le rire arrache les masques, dans une cascade de quiproquos échevelés.

Une absurdité grandiose - Henri Jeanson
Feydeau a renouvelé le théâtre comique. Il a créé la mécanique du rire. Il y a chez lui une violence comique, un certain délire, une invention, une sorte de fantaisie fantastique et burlesque, une absurdité grandiose, un dialogue, un mouvement qu’on ne trouve nulle part ailleurs

Feydeau ramène le théâtre à ses origines - Paul Morand
Feydeau ramène le théâtre à ses origines ; son vaudeville rend à la fatalité, et à des opérations enchaînées, leur vertu irremplaçable, cette même fatalité qui mettait les Euménides au service de la douleur et de mort; seule différence, chez Feydeau elle mène à la joie et au rire.

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8 décembre 1862. Naissance à Paris de Georges Feydeau, premier enfant d’Ernest Feydeau, romancier, et de Lodzia Zelewska, jeune juive polonaise, belle et frivole, qui fut surprise un jour volant des dentelles au Bon Marché. On murmure que le vrai père pourrait être Napoléon III.
Encore adolescent, Feydeau écrit sa première pièce au titre évocateur, L’amour doit se taire, histoire d’un enfant qui meurt pour sauver l’honneur calomnié de sa mère.

1886. Tailleur pour dames. C’est le premier succès. Feydeau a 24 ans. Il peint aussi mais ses toiles restent empilées dans un coin.
Comment je suis devenu vaudevilliste ? C’est bien simple, par paresse, tout simplement. Comment cela vous étonne ? Vous ignorez donc que la paresse est la mère miraculeuse, féconde du travail ! Et je dis miraculeuse, parce que le père est totalement inconnu...

14 octobre 1889. Après de multiples aventures féminines, il se marie. Elle s’appelle Marie-Anne. Ils auront quatre enfants. Hors les premières semaines de son mariage, Feydeau ne soupera presque jamais chez lui.
Quand je fais une pièce, je cherche parmi mes personnages quels sont ceux qui ne doivent pas se rencontrer. Et ce sont ceux-là que je mets aussitôt que possible en présence.

1892. A trente ans, Feydeau a déjà écrit treize pièces. Pendant vingt quatre ans il va enchaîner les triomphes. Il écrit le jour et passe ses soirées dans les brasseries, surtout chez Maxims, ouvert en 1894.
Je ne ris jamais au théâtre, et rarement dans la vie privée. Je suis taciturne, un peu sauvage

2 mars 1907. Première de La Puce à l’oreille. C’est Feydeau qui règle lui-même la mise en scène de ses pièces, avec un soin maniaque du détail. Pour jouer mes pièces, je prends toujours des comédiens qui ont en eux un ressort tragique.

Septembre 1909. Feydeau s’enfuit de chez lui. Pour seul bagage : un peigne, une brosse à dents, un pyjama. Il s’installe à l’hôtel Terminus, appartement 189. Il y vivra dix ans.
Quand je commence une pièce, il me semble que je me verrouille dans un cachot et que je m’en évade quand je la termine. Oh ! non, je ne suis pas de ceux qui enfantent dans la joie !

1916. Divorce. Maladie d’origine vénérienne. Neurasthénie. Comme Proust, Feydeau s’intéresse maintenant aux petits grooms des grands hôtels.
Je n’écris jamais de scénario. Quand je commence le premier acte, je ne sais même pas ce qui se passera au second...

Octobre 1919. On l’enferme dans une maison de santé, à Rueil - Malmaison. Délire de persécution. Il découpe des roses en papier dans un catalogue Vilmorin et les colle en souriant sur les murs de sa chambre.
Pour faire un bon vaudeville, vous prenez la situation la plus tragique qui soit, une situation à faire frémir un garçon de morgue, et vous essayez d’en dégager le côté burlesque. Il n’y a pas un drame humain qui n’offre au moins quelques aspects très gais. C’est pourquoi d’ailleurs les auteurs que vous appelez comiques sont toujours tristes : ils pensent triste d’abord.

5 juin 1921. Mort de Georges Feydeau. Il a cinquante huit ans. Inhumation au cimetière Montmartre.

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Informations pratiques

Théâtre Silvia Monfort

106, rue Brancion 75015 Paris

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  • Bus : Morillons - Brancion à 104 m, Brancion - Morillons à 166 m, Fizeau à 186 m, Porte Brancion à 236 m, Vercingétorix - Paturle à 360 m
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Théâtre Silvia Monfort
106, rue Brancion 75015 Paris
Spectacle terminé depuis le dimanche 27 juin 2004

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