A Paris, sur la place de Grève, s'élève une antique maison, mi-gothique, mi-romane,
qui fait le coin du quai : une étroite lucarne en ogive, fermée de deux barreaux, seule
ouverture à une petite cellule pratiquée au rez-de-chaussée dans l'épaisseur du mur.
La sachette, mère d'Esmeralda, est, hiver comme été, dans cette tombe anticipée,
dormant dans la cendre, vêtue d'un sac....
Les yeux rivés sur un minuscule chausson rose, elle ne s'anime qu'à l'ouïe des
manifestations d'Esmeralda, qu'elle exècre.
Dans son jeune âge, la sachette était une fille légère et frivole. Elle eut un enfant
qui exalta quelques mois sa misérable vie. Les Bohémiens la lui prirent...
Sentiments de haine et de hargne mêlés d'attendrissements de cette femme qui se
trompe...
Lire mai 2000
Lire évoque le silence et l'isolement, mais la lecture peut être un spectacle. Fabrice Luchini a consacré pendant trois ans un récital à La Fontaine, à Nietzsche et à Baudelaire... Dernièrement au théâtre, Jean-Pierre Dreyfus a dit L'accommode sans tiroir de jean Cocteau et Catherine Samie, La dernière lettre de Vassili Grossman. Béatrice Romand, elle, a choisi Victor Hugo : elle interprète La Sachette, personnage méconnu, mère d'Esmeralda dans Notre-Dame de Paris. Depuis plusieurs années, la comédienne, scénariste et metteur en scène, s'intéresse aux figures féminines romanesques et particulièrement aux relations entre mère et fille. Dans le roman d'Hugo, La Sachette est une vieille recluse, hantée par le souvenir d'un enfant qu'on lui a arraché. Elle déteste Esmeralda et découvre que celle-ci est sa fille. Passant alors de la haine à l'amour, elle se dévoue corps et âme à la défense de la bohémienne. Pendant six mois, Béatrice Romand a sélectionné les passages du roman pour dresser son portrait : " Elle transcende l'état de mère. A travers elle, j'ai voulu sublimer la maternité, autre version de la création. " Mais pour la comédienne, sa lecture met en scène, avant tout, la souffrance d'une femme au Moyen Age. Ce projet témoigne de l'engagement d'une mère, d'une femme et d'une actrice : Béatrice Romand a travaillé seule, sans agent ni service de presse avec, en guise de répétition, une représentation encourageante dans son village du Limousin. La lecture est une expérience nouvelle pour cette comédienne qui n'est montée qu'une fois sur les planches, en 1991 (Mesure pour mesure de Shakespeare par Peter Zaclek). Actrice fétiche d'Eric Rohmer dans Le beau mariage (prix d'interprétation féminine au Festival de Venise en 1982) ou dans Conte d'automne, Béatrice Romand a envie d'une nouvelle relation avec le public : " Au cinéma, l'intimité d'un individu ou d'un groupe s'adresse à une immensité, dit-elle. La lecture est davantage un travail sur cette intimité : salle et scène sont très proches. Le comédien ne peut oublier la présence du public et doit recréer l'atmosphère de la lecture, cet instant particulier de solitude, avant le sommeil parfois. " Cela suppose une interprétation différente. " Au cinéma, le corps bouge, c'est comme une chorégraphie chantée. Pendant une lecture, le corps, immobile, doit bouger dans la voix. " Pour cette raison, Béatrice Romand connaît son texte mais ne l'apprend pas, pour mieux l'incarner le moment venu. "Je travaille sur les mots, pour une hypnose du mot. " Dissimulée par une table, le visage dans la pénombre, elle s'absente presque. Seuls demeurent sa voix et Hugo.
Ingrid Merckx
3, rue des Déchargeurs 75001 Paris