La vie, ce songe si magistralement écrit par Calderón, reflète l’âge d’or espagnol, mais résonne toujours aussi fort aujourd’hui. La vie est un songe est une séance onirique et expérimentale racontant, entre autres, les méandres existentiels d’un père, Basyle, face à son fils, Sigismond. L’homme est-il libre d’être sauvé d’un présage, ou bien tragiquement prédestiné à rester dans l’ombre ?
Calderón, cousin de Shakespeare et parent de Hugo, excelle dans la démesure lyrique où folies meurtrières et psychanalyse cohabitent allègrement.
Qui régit les lois humaines ? Les astres, la raison ou l’amour ? Cette pièce questionne l’homme qui cherche son identité, qui cherche à redevenir lui-même et non plus un leurre ou une projection à phantasmes. L’amour n’est-il pas finalement la seule réalité qui vaille ?
Les tentatives scientifiques, émanant du spectre des étoiles, désirent contrôler et contenir les pulsions destructrices et meurtrières d’un enfant présumé coupable qui est devenu un adulte. Comment comprendre la présomption d’innocence lorsque le crime n’est pas encore consommé ?
La pièce démarre, la souffrance jaillit, les remords gagnent, la machine à rêve est en marche.
Adaptation et collaboration artistique Charlotte Escamez.
La pièce se passe en Pologne et se déroule sur trois journées. Le roi Basile a vu des présages funestes lors de la naissance de son fils Sigismond dont la mère est morte en couche. Les signes annoncent que Sigismond renversera et tuera son père, puis deviendra un tyran cruel envers son peuple. Pour échapper à ce destin, le roi a donc déclaré le Prince mort-né et l'a fait enfermer dès sa naissance dans une tour, avec pour seule compagnie son geôlier chargé de son éducation.
Cependant, le roi doit à présent songer à trouver un successeur au trône. Il n'a pas d'autre héritier que son fils emprisonné, et il hésite à confier le royaume au duc de Moscovie. Il décide donc de tenter une expérience : Sigismond sera drogué et à son réveil, il se retrouvera Prince. S'il déjoue les présages, il deviendra roi. S'il échoue, il sera renvoyé dans sa prison.
Au début de la deuxième journée, Sigismond s'éveille donc dans le lit royal et est traité comme un prince. Mais quand il apprend qu'il est le Prince légitime et comment son père l'avait fait enfermé pour échapper à la fatalité, Sigismond entre dans une telle rage qu'il manque de tuer plusieurs personnes. Il manifeste un comportement violent et même bestial face à une femme dont la beauté le séduit. Le roi décide donc de le droguer et de l'enfermer à nouveau dans sa prison, et de lui faire croire à son réveil que tout ce qu'il a vécu n'était qu'un rêve…
La vie est un songe, jeu de boîtes dans lequel un monde – celui de Sigismond, misérable cobaye enfermé dans une cage en plexiglas d’où l’on peut épier les moindres faits et gestes – cache en réalité un autre monde – celui de la cour, ou plus exactement du clan du père, le roi Basyle, astrologue acclamé et scientifique reconnu.
Ce monde-là est la face cachée d’un terrible secret, hantise paternelle, ce monde est celui de la démesure où planètes, étoiles, fioles et bouteilles propres aux expériences les plus folles, ampoules, compas et livres richement farcis de savoir astrologique, pendent, se reflètent, tintent au-dessus de tous et font et défont les lois des hommes de ce royaume. Cette imposture, ce leurre ne sauraient pourtant dissimuler le malheureux Sigismond qui crie silencieusement dans sa boîte transparente en regardant des écrans qui font défiler les images d’un monde fabriqué de toutes pièces.
Étoile, la nièce de Basyle, vit dans une robe gigantesque tandis qu’Astolphe joue de la mandoline pour amadouer la belle en se lovant dans ses jupes constellées. Clothalde, le terrible tuteur, teste, dans son fumeux laboratoire, de nouveaux breuvages qui drogueront chaque jour, toujours mieux son fils d’adoption, Sigismond, tandis que Rosaura débarque en champion (-ne) de course automobile embrumée de cambouis, avec à sa suite le fou, Clairon, plus transformiste qu’un caméléon. En quête de vérité, la jeune aventurière débarque pour se venger d’un homme, pour déjouer le jeu des faux-semblants.
La vie est un songe, un jeu de boîtes, de dupes, où les personnages décident de fabriquer et de transformer eux-mêmes leurs destins en se mettant en lumière et en mettant leur vie en scène. Ils sont du siècle d’or espagnol, mais aussi de notre temps car ce qui se trame dans cette fable d’hier renvoie à nos drames existentiels d’aujourd’hui.
Les personnages seront libérés de convenances datées, pour être d’un temps suspendu, celui où les visages sont tatoués pour se reconnaître, où la cire a déjà attaqué le jeune vieillard qu’est Sigismond, où un Clairon se croit au bal masqué, où un père (Basyle) cherche enfin à être père, où une femme (Rosaura) veut retrouver le sien (Clothalde) sans le savoir, où esécrans de vidéosurveillance troublent la réalité, où les soldats sont des pieds qui lacent leurs rangers, où les prisonniers sont des rats de laboratoires, où l’on tente d’oublier les astres pour retrouver la vie…
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