Note d'intention
A la rencontre d'un sujet
Note de mise en scène
Extraits de texte
Un cabaret… un cabaret un peu spécial où les femmes ne dévoilent pas exactement ce que l'on attendrait... Elles exhibent leurs états d’âme, leurs colères, leurs joies. Elles déshabillent leurs sentiments, mettent à nu leur beauté intime : leur coeur, leur ventre, leur utérus !
Je veux partir du parcours de chaque comédienne et comédien. De nos expériences intimes et de nos sensibilités profondes. Croiser ces chemins et en faire ressortir les disparités et les similitudes. En partant de nos individualités, je désire atteindre et questionner le collectif.
Qu’en est-il de l’émancipation féminine ? Quelles sont les entraves quotidiennes subies par les femmes aujourd’hui ? Comment va l’homme ? Comment faisons-nous cohabiter chacun chacune notre part « féminine » et « masculine » ? Avons-nous progressé en ce qui concerne la liberté du corps, l’image du corps féminin, son utilisation ? Beaucoup de choses ne seraient-elles pas liées à la sacro-sainte consommation ?
Notre génération est héritière d’une émancipation effectuée par nos mères. Il nous incombe de la vivre au quotidien et d’inventer un nouveau rapport entre les hommes et les femmes et de nouveaux schémas familiaux que l’on ne nous a pas transmis.
Car souvent nos mères, bien que théoriquement convaincues, continuaient de reproduire plus ou moins l’ancien modèle, enfermées dans le carcan de leur éducation.
Quelle aventure ! Quel bordel ! Quelle régression aussi parfois !
On s’engage de plus en plus dans des postes de responsabilité au travail, des postes de pouvoir mais on veut quand même réussir notre vie de
famille et de couple, partir « quand ça ne marche plus », être autonomes financièrement, au fait de l’actualité politique et culturelle, détendues, légères et spirituelles et bien sûr toujours jeunes, sveltes et séduisantes… Ca fait beaucoup !
De plus il faut continuer à se battre pour se faire reconnaître dans un monde hyper masculin. On se retrouve le coeur et les nerfs à fleur de peau, au bord de l’implosion.
Sous un extérieur de fragilité extrême, on cache une force intérieure phénoménale… ou le contraire !
Et l’homme ? Il semble écartelé entre différents modèles et cherche à s’encrer dans une nouvelle place : masculin mais avec une part assumée de féminité, papa autoritaire mais câlin, luttant au travail et à la maison contre ses réflexes sexistes… il nous donne l’impression de flotter.
Confusion des repères…
Le travail d’écriture sera collectif et intégré au moment de création, en passant de la table au plateau et vice-versa. Comme au cabaret traditionnel, il y aura une succession de «numéros ». On y dansera, chantera, clamera, chuchotera ! Je serai assistée d’une danseuse chorégraphe qui orientera notre recherche autour du corps et du mouvement.
La forme cabaret permettra de jouer entre les contrastes de la superficialité et de l’intériorité. D’aborder la crudité de certains thèmes de manière légère et esthétique. De mettre une distance « spectaculaire » entre le réalisme des situations, la sincérité du discours et leur rendu visuel. Et aussi de détourner ses codes sexistes pour s’en libérer et s’en amuser.
Vanessa SANCHEZ, le 15 juillet 2012
Cela fait longtemps que le sujet de la femme me tient au ventre. J’ai beaucoup tourné autour dans mon travail mais cette fois-ci je veux m’y jeter à corps perdu. C’est quoi être une femme aujourd’hui ?
Mon père était d’une grande misogynie. Quand je suis née, il s’est dit que la vie allait être plus dur pour moi que si j’avais été un garçon. Il a donc essayé de m’élever en m’armant contre les futures attaques de la société. Ma mère, ancien garçon manqué et féministe, m’interdisait de jouer à la poupée ou à tout autre jouet ménager, trouvant ça avilissant et « gnangnan ».
J’ai longtemps essayé de comprendre ma féminité et ma masculinité, ce qu’il y avait en moi. Jeune adulte, je me sentais plus homme. Je n’avais que des amis hommes. J’aimais leur manière d’être direct, simple, je cultivais un humour potache et débridé. A cette époque, j’alliais une apparence ultra-féminine et provocante à un intérieur proche de celui des hommes. La digne fille de mon père ! Je trouvais les femmes trop chochottes, trop compliquées et faiseuses d’histoires. Je leur semblais trop distante. Je ne parlais pas facilement. Il y avait un blocage entre elles et moi.
Jusqu’au jour où j’ai vécu une séparation. Où j’ai décidé de tracer seule mon chemin, d’être plus autonomes, plus libre… plus fragile. C’est une période de rupture dans ma vie. J’ai attendu, espéré le réconfort chaleureux de mes amis hommes. Mais ils n’étaient pas au rendez-vous. J’ai clairement vu à ce moment-là que je n’étais pas des leurs et qu’il y avait une frontière invisible entre eux et moi. Eux me voyaient depuis toujours comme une femme.
C’est une femme qui m’a tendu la main, qui a soulagé mes blessures, épanché mes pleurs… Je me suis ouverte, en me découvrant et en plongeant à l’intérieur de moi, au monde des femmes. Elles n’étaient pas toutes chochottes ! Bien au contraire ! J’ai rencontré plein de « pareilles », des femmes pleinement femmes mais aussi portant une bonne dose de « masculinité ».
Puis j’ai rencontré un homme, un homme très féminin qui aimait porter les robes de sa mère quand il était petit ! Ensemble on a pu constater que nous étions bien un homme et une femme dans une société où les repères ont bougé.
L’année dernière, nous avons fêté les 20 ans de la compagnie Etincelles. On voulait faire une grande fête théâtrale. J’ai proposé de mettre en scène un cabaret réunissant toute notre équipe. Or nous sommes majoritairement des femmes… Le sujet était trouvé ! Le premier jet du spectacle fabriqué ! On a travaillé à partir de textes de Franca Rame et Dario Fo et de scènes pré-existantes. 17 personnes participaient au spectacle. C’était une très belle soirée.
Aujourd’hui, je veux développer ce travail en profondeur, avec une équipe réduite, choisie, et aborder des sujets plus intimes, dans lesquels on se reconnaîtrait pleinement. Un travail sans complaisance où l’on prendrait le temps : le temps d’essayer, le temps de se perdre pour mieux trouver, le temps d’approfondir chaque proposition. Avec rigueur et minutie.
Vanessa SANCHEZ, le 15 juillet 2012.
J’ai été très touchée par l’univers du film de Bob Fosse, « Cabaret », avec Liza Minnelli. Sa façon d’aborder des sujets de fond avec une apparente désinvolture, traitée dans une esthétique très prononcée, très visuelle. L’atmosphère de la pièce s’en inspire, et plus généralement des années 30. Il y a, comme au cabaret traditionnel, une succession de numéros liés entre eux par des transitions. Avec un tableau d’ouverture et un de fermeture, sortes de génériques chantés et dansés du spectacle.
Ce à quoi l'on assiste est à la fois le Cabaret lui-même et la Représentation du cabaret, sur la scène et dans les coulisses. Les comédiens sont à la fois les personnages et les artistes de cabaret interprétant les personnages.
Les transitions se font en partie à vue. Elles sont intégrées à l'ensemble et peuvent fonctionner comme de vraies scènes, un " envers " visible du décor. On y voit les personnages « artistes » qui se changent, se chamaillent, se concentrent… Souvent, l’un d’eux s’échappe de la mise en place pour aller témoigner à un micro (sur pied) installé en avant-scène, sur le côté. Comme on va se confier. Envie de raconter son histoire au public, de chuchoter au micro ce qu’il a sur le coeur dans une parenthèse comme hors du temps, hors du Cabaret qui se poursuit. Ces transitions font le lien et le liant du spectacle.
Certains numéros sont muets, simplement chorégraphiés, d’autres sont chantés. Certains sont joués, d’autres clamés. La musique est omniprésente. La danse aussi, sous différentes formes (tango, revue, solo contemporain etc...). On manipule parfois des objets.
Chaque numéro fonctionne dans un univers visuel et musical distinct. Les costumes changent aussi sans cesse, pour s'adapter aux numéros.
La scénographie est quant à elle très sobre : un grand cadre lumineux, deux paravents latéraux, plusieurs chaises et tables de cabaret. Quelques éléments de décor ou accessoires sont apportés et remportés ensuite. Sur le plateau dépouillé, les corps et leurs voix prennent toute la place. La lumière, plus complexe, habille l'ensemble. Elle varie elle aussi à chaque scène, tout en garantissant l'homogénéité visuelle de l'ensemble. Elle est fondamentale dans le rendu général. La lumière, élément fondamental de l'esthétique du cabaret, est ici détournée de sa fonction d'éclairer les corps, pour mieux mettre en valeur les âmes.
Le Tango des femmes solos
Trois femmes en robe rouge, chignon ramassé grâce à un peigne bleu, léger maquillage, bracelet et boucles d’oreilles dansent seules le tango. Elles sont gracieuses et élégantes. Au fur et à mesure du tango, leurs pas deviennent de plus en plus périlleux, hésitants et déséquilibrés. Le texte est chanté-parlé.
D : Solo.
Je suis une femme solo.
Je voyage solo.
Je cuisine solo.
Je dors solo.
Mieux vaut être seule que mal accompagnée, non ?
Les deux autres de la tête : Non.
L : Solo.
Je suis une femme solo.
Je dépense solo.
Je gère tout solo.
Je picole. Solo.
On n'est jamais mieux servi que par soi-même, non ?
Les deux autres de la tête : Non.
V : Solo.
Je suis une femme solo.
Je veux solo.
Je peux solo.
Je couche. Solo.
Être seule ne veut pas dire pour autant ramer, non ?
Les deux autres de la tête : Si.
D : Solo.
Je suis une femme solo.
Je ris solo.
Je pleure solo.
Je me tiens la main. Solo.
Mais bon si j’étais avec quelqu’un je serai jamais assez bien alors au moins moi je me trouve bien, non ?
Les deux autres de la tête : Non.
Ensemble :
Solo. Solo. Solo.
Deux d’entre elles :
V : Quand est-ce que se finit le one woman show ? Quand est-ce que le duo commence ?
L : J’ai froid dans le lit, j’ai froid dans le dos. J’en ai marre moi des solos.
La femme solo :
Moi j’assume complètement le solo.
Pas besoin de m’épiler, pas de compte à rendre.
Même les araignées, je les chasse… solo.
Et la roue crevée, je la change solo !
La poubelle ? Bah je la descends… solo !
J’ai plutôt du mérite, non ?
Les deux autres de la tête : Oui.
Ensemble :
Solo. Solo. Solo.
J’enterre mes parents. Solo.
Je fais un enfant. Solo.
Et sous le soleil couchant. Solo.
Une femme seule au micro. Pendant son monologue, les autres vont venir la solliciter (sans parole) pour lacer un dos, remettre une coiffe... Elle continue à parler, de plus en plus rapidement, on sent une pression qui monte. Puis les « solliciteurs » vont commencer à lui tirer sur sa robe, comme font les enfants, et celle-ci va s'étendre, s'étendre... jusqu'à représenter une sorte de toile d'araignée très large dans laquelle la femme est piégée et immobilisée.
(...) 7h du matin. Biberon. Lovées toutes les deux dans le canapé, je profite de ce moment hors du temps… avant la course... tout en pensant à la façon dont je vais m'habiller. Il me faut une tenue confortable pour le travail mais en même temps, j’ai un rendez-vous important, je ne peux pas y aller en basket...
Douche ! " Joue mon trésor maman va à la salle de bains " .
Hurlements quand j’ai la tête pleine de shampooing !
« Mama, mama ! » « Viens Thelma, viens toi » « Mama, mama ! » – OK rinçage express – Dégoulinante, j’arrive pile poil au moment où ma fille dégringole de sa chaise.
Sonnerie du téléphone. Pas le temps. Sur le répondeur, j’entends : " Laurence rappelle-moi c'est urgent " . Qu’est-ce qui est urgent ? Il ne peut pas le dire !
" Allez viens mon ange je vais m'habiller " .
Le chauffagiste. Je dois appeler le chauffagiste. Et il faut aussi que je pense à lancer une machine avant de partir, pour l’étendre cet après-midi.
Sonnerie du téléphone. Toujours pas le temps. " Laurence qu'est-ce que tu fous rappelle-moi ! " Mais c'est pas vrai, il ne se lave pas lui le matin ! Je décroche avant qu'il ne raccroche tout en enfilant mon pull : " Allo ? Oui euh un peu speed là mais ça va, qu'est-ce qu'il y a ? "
Il va être en retard et il veut que j’arrive 10 minutes plus tôt que prévu !
Dix minutes ? Dix minutes ! Où est-ce qu’il veut que je trouve dix minutes ?
« Ok Thelma, tu restes en pyjama. Les habits dans le sac. CathyNounou t'habillera. »
Donc : Téléphone. Chéquier pour payer CathyNounou. Tétine. Biberon. Couches. Change. Imperméable au cas où. « Le cheval ? Tu veux vraiment emmener ton cheval ? ». Numéro du dentiste, (1er passage V+D qui discutent à propos des chaises mais font un signe à L de continuer, de ne pas faire attention à elles) ma dent provisoire a maintenant 3 ans. Ah et le vaccin. Thelma a un vaccin à faire ce mois-ci. Trouver aussi du lait de chèvre et… pâte à tarte pour faire les pommes qui sont en train de pourrir dans le frigo.
Voiture - Je suis sur la réserve ! (D entre par jardin et L l'aide à lui agrafer le dos) Je passe prendre de l'essence, trop de monde, j'irai plus tard. Je fais la route le nez sur la jauge...
J'arrive 5 min plus tôt, pas 10.
« Laurence t'es en retard » « Laurence on fait quoi ce matin ? » « Laurence il faudra qu'on voit la question du planning ».
Dix sept enfants aux troubles du comportement viennent faire du théâtre. (les 3 entrent et font du bruit) Entre chaque impro : cris, courses, bagarres, alors recadrage. Silence, Action.
12h15 (D sollicite L qui l'aide à lui mettre une barrette dans les cheveux, tape sur les fesses). Je dois être dans cinq minutes à l'autre bout de la ville. Déjeuner avec Madame le Maire qui s'intéresse à notre travail avec les jeunes. Bientôt les élections ! Vive la culture !
Après-midi libre. Je passe chercher Thelma chez CathyNounou.
Avant : essence (M avec l'enfant entre par cour et lui demande si la chaise est bien mise). J'en profite aussi pour acheter ma pâte à tarte, à cette heure il ne devrait pas y avoir trop de monde, ça va aller vite ! Faute. Il n'y a qu'une caisse d'ouverte !
Téléphone. (V entre par jardin et range les autres chaises) C'est ma soeur : « Ah on est le 17 ? » J’ai complètement zappé l’anniversaire de papa ! Et le cadeau ! Il faut que je trouve une idée de cadeau ! (...)
La femme à demi, seule au micro.
J’ai fait deux fausses couches.
Bien sûr, il y a la tristesse. Martelante. Mais je ne vous parlerai pas d’elle. Je vous parlerai de l’éblouissement. De l’étrange sensation de n’avoir jamais été aussi femme. Femelle. Une chienne, une louve.
La première fois, c’est à l’hôpital. On me parque dans une chambre seule avec deux spasfons. J’ai mal au ventre. Et ça grandit... grandit... La douleur me prend le dos. J’ai peur. Une bataille se livre dans mes entrailles. Bientôt la souffrance emporte tout et déconnecte mon cerveau. Je suis une bête. Sauvage. Et puis plus rien. Juste une sensation chaude entre mes jambes. Je me lève doucement. Dans le lit, un morceau de chair saignante échoué. Mon bébé pas fini. Je le regarde. Je sens mes crocs, j’aurais presque envie de mordre dedans. L’infirmière emporte indifférente mon tout petit cadavre, je marmonne un « au revoir ». Et je reste là. Stupéfaite de la puissance de vie et de mort qu'il y a en moi. De cette force, de cette énergie qui m'ont traversée comme un éclair. Je me sens reliée à l'univers et aux entrailles de la terre. Je suis femme. Universelle. La même qu’au début des temps.
La deuxième fois que l’on m’apprend que je porte la mort, la chienne, la louve s’écarte des sentiers battus. Cette fois je vivrai cette fausse couche à ma manière. Étrange sensation de se dire qu’on a une promesse de vie morte en soi.
Je dois partir en Roumanie pour participer à une parade. Je pars. Là-bas, je commence à avoir mal au ventre. Tant pis, je chausse la marionnette. Je dois porter, je porte... une marionnette géante sur le dos et un cadavre minuscule dans le ventre ! Une fanfare tsigane m’accompagne. Les gamins des rues sont surexcités et heureux, la foule tout autour, je danse avec Rosaluna, je sue, je saigne, je souffre. Etrange communion avec l’univers.
Dès que la parade se finit, je cours aux toilettes. Un poids tombe dans l’eau. Ne pas avoir peur ! La femme du début des temps prend alors les commandes. Elle récupère le placenta et le foetus qui y est accroché, bien à l’abri dans sa bulle d’eau. Elle met le tout dans un sac. A l’hôtel, elle vole une cuillère. Elle sort la nuit. Elle se rend dans un parc avec de très beaux arbres qu'elle a repérés pendant la parade. Avec la cuillère, elle creuse un trou. Au pied du plus bel arbre. Elle y dépose sa promesse de vie, lui murmure ses adieux et la recouvre de terre. « Au revoir, au revoir mon bébé pas fini. » Si elle avait su s’abandonner complètement, elle aurait aimé pousser un cri, un hurlement à la lune. Pour faire trembler tout l’univers.
Les femmes sont des chiennes…
Je suis une chienne. Une louve. Une bête sauvage et redoutable.
Cartoucherie - Route du Champ de Manœuvre 75012 Paris
Navette : Sortir en tête de ligne de métro, puis prendre soit la navette Cartoucherie (gratuite) garée sur la chaussée devant la station de taxis (départ toutes les quinze minutes, premier voyage 1h avant le début du spectacle) soit le bus 112, arrêt Cartoucherie.
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking : Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.