Écrit dans une Russie écrasée par le souvenir du tsarisme, la menace nazie et la dictature stalinienne, un hymne joyeux à la liberté et à la résistance à toutes les oppressions.
Lancelot, chevalier idéaliste et courageux, décide de débarrasser un village du dragon qui l'opprime depuis des siècles. Malgré la désapprobation de la population, il provoque le monstre en duel, le tue, et pense libérer la cité en donnant sa propre vie.
Mais la petite ville tombe alors sous la coupe d'un Bourgmestre avide de pouvoir qui saisit opportunément l'occasion d'instaurer une nouvelle tyrannie sur ses habitants... Ludique, drôle, tragique, folle, cruelle, festive...
Le Dragon est une pièce majeure (et évidemment interdite sous Staline malgré son apparente légèreté) dans l'oeuvre de Evgueni Schwartz.
À la fois comédie burlesque et politique, conte fantastique, épopée tragique et aventure philosophique, Le Dragon est un appel incroyablement pertinent et moderne au courage et à la vigilance, une fable universelle qui rappelle que le dévoiement de la démocratie est le premier pas vers la dictature.
Une pièce humaine et humaniste, une réflexion profonde sur la responsabilité citoyenne dans le(s) combat(s) pour la liberté.
« C'est en travaillant sur Le Mandat de Nikolaï Erdman, au cours de recherches sur le théâtre russe de la période stalinienne, que j'ai découvert Le Dragon de Evgueni Schwartz. Il m'est immédiatement apparu un lien entre les deux pièces, une sorte de proximité, de continuité même, comme si Le Dragon pouvait être un prolongement du travail que nous effectuions sur Le Mandat. Une continuité historique tout d'abord. Espacées d'exactement 20 ans, les écritures des deux pièces témoignent de périodes fortes du parcours politique de Staline : son accession au pouvoir pour Le Mandat, l'apogée pendant et après la deuxième guerre mondiale de son autorité et de son influence, pour Le Dragon.
Une proximité spirituelle ensuite : Schwartz, comme Erdman, aime jongler avec les mots, les situations, l'humour, s'amuse avec l'exubérance de ses personnages, n'a peur ni de l'excès, ni de la démesure. Tous deux savent s'affranchir d'un réalisme pesant et ont choisi des formes fortes et inattendues pour porter un théâtre politique, dénoncer, et surtout prévenir : Le Mandat est une farce, une parodie de vaudeville inspirée de Feydeau, Le Dragon un conte, une fable philosophique où l'on peut trouver en vrac des références bibliques, mythologiques, à Lewis Carroll, et surtout aux légendes médiévales européennes.
Enfin, et c'est sans doute le plus intéressant, ces deux auteurs partagent certes une interrogation commune sur l'expression de l'autorité politique, mais principalement une réflexion sur l'engagement de l'homme de la rue, sa passivité parfois coupable, la nécessité de la réaction populaire face à l’Autorité et à la tyrannie des dirigeants. L’un comme l’autre, sans parti-pris militant, nous parle simplement de liberté. Au sortir d'un travail de plus de 5 ans avec une équipe de 20 personnes sur la pièce d'Erdman, je n'imaginais pas initier immédiatement un projet mobilisant à nouveau une grosse équipe artistique et technique.
Mais mon enthousiasme pour le texte de Schwartz (ainsi que celui manifesté par les comédiens dont je tenais à m'entourer dans l'éventualité de monter la pièce), l'opportunité qui s'offrait à moi de travailler avec la dramaturge russe Marina Abelskaïa (assistante de Piotr Fomenko entre autres), et la pertinente acuité politique de la pièce, son actualité surtout, m'ont finalement convaincu qu'attendre plus longtemps aurait été une erreur. L'équipe que j'ai réunie sera donc prête dès la rentrée 2012 à présenter une version du Dragon que j'aurai le plaisir (et la grande fierté) de mettre en scène. Elle sera, comme l'était notre version du Mandat, ludique, drôle, tragique, folle, naïve, cruelle, festive. Et, je le souhaite par dessus tout, à la fois surprenante et captivante pour le public.
À la croisée de plusieurs genres théâtraux qu'il est crucial de faire cohabiter, Le Dragon est une pièce qui étonne constamment. D’une scène à l'autre, l’histoire se tisse au gré des interventions des personnages qui habitent le petit microcosme d’un village qui semble perdu, isolé à la fois dans le temps et dans l'espace. Notre guide, ici, se nomme Lancelot. Cet aventurier vagabond qui découvre la vie de cet endroit, ses habitants et ses lois. Son combat est celui, éternel, entre le Bien et le Mal.
Mais derrière la feinte simplicité de sa forme, Le Dragon n'est pas une pièce pour enfants, et si Schwartz utilise les codes du conte et s'amuse avec une symbolique manichéenne, il le fait avec esprit et profondeur, et surtout avec un humour redoutable. Face à Lancelot et au Bien, le Mal prend dans la pièce plusieurs formes, dont la plus remarquable est bien sûr celle du Dragon lui-même. Comme Lancelot, c’est un personnage mythique, détaché des contingences humaines, issu de l'univers des légendes médiévales.
Chez Schwartz, la bête a pris forme humaine, c'est un monstre intelligent, cynique, manipulateur, et même polymorphe. Mais au delà de son univers merveilleux, Le Dragon se caractérise surtout par le foisonnement de personnages bien humains qui gravitent autour des personnages que l'on pourrait qualifier de mythiques. Et ce n'est pas un hasard. Le véritable héros de cette pièce, c'est sans doute le peuple, tous ces habitants et artisans de la petite ville où se déroule l'action et qui semble vouée à voir se succéder les tyrannies. Limiter le propos du Dragon à une dénonciation convenue et consensuelle de la dictature et de l'oppression serait laisser de côté le véritable sujet, bien plus vaste et plus passionnant, sur lequel Schwartz porte un regard. Il s'agit ici de la responsabilité des citoyens eux-mêmes dans l'établissement et le maintien des régimes dictatoriaux et des oppressions politiques.
Le discours final de Lancelot aux habitants qu’il a libérés est le point d’orgue de cette problématique : si l’allégorie du Mal (le Dragon) ne peut être combattue que par l'allégorie du Bien (Lancelot), le Mal incarné en revanche doit être combattu par l'Homme ; à chacun de lutter contre le Dragon qui dort en lui et qui parfois s'éveille. On touche ici à l’un des thèmes politiques qui, au regard de notre époque, est l’un des plus pertinents et des plus intéressants du Dragon : En faisant de Lancelot le champion aveugle d’une démocratisation forcée, Schwartz soulève avec beaucoup de finesse la question du droit d’ingérence, non pas de sa raison d’être ou de ses motivations (pures et honnêtes dans la pièce), mais de son application, et surtout de ses conséquences.
Comment ne pas rapprocher le destin des habitants du village qu’il nous décrit de celui des dizaines de peuples qu’à vouloir à tout prix libérer nos démocraties ont ensuite abandonnés aux griffes de tyrans plus sanguinaires encore que ceux qu’elles avaient chassés ? Comment savoir si certains de ceux qu’on libère aujourd’hui ne seront pas les oppresseurs de demain ?
La réponse de Schwartz tient en peu de mots : l’Homme, quand il ne l’a jamais connue, a besoin d’être éduqué à la liberté. Et prendre le temps de cet apprentissage est indispensable. La vraie démocratie ne peut s’instaurer qu’avec la liberté de conscience de chacun. »
Stéphane Douret
30, rue du Chevaleret 75013 Paris