Le Langue-à-langue des chiens de roche

• Course après l'amour

Sur une île fictive, comme à l’aube de l’humanité, un beau bric-à-brac de débiles mentaux oubliés appelle au secours. Au secours d’amour. Neuf personnages, enfin surtout quatre, courent frénétiquement après l’amour, juste avant de mourir, un jour. Heureusement l’amour n’existe pas.

Par la Cie Théâtre du Voir.

• Note d'intention

Ils sont de la matière
ils ont besoin d’être pris et de prendre
de prendre de la glaise a pleine main
la glaise d’un sein
la glaise d’un sexe dur
dans une main
c’est la sienne
que la forme se transforme dans le rythme éternel des formes que Dieu fond
que ses doigts pétrissent
prennent et reprennent
creusent et modèlent
qu’ils s’enfoncent avec violence et dureté
dans le grand charnier des corps
qu’ils portent la matière a ce degré de combustion qui sera fusion avec le vide
dissolution
qu’ils portent le manque au comble de sa demande
juste dans cet espace temporaire
fulgurant et a jamais perdu
du comblement
juste avant le néant
dans cet instant
antichambre des cieux inaccessibles
où le corps tendu libère l’esprit
quand l’esprit quitte la matière
libre enfin
ce corps malmené depuis des millions d’années
ils sont ces corps malmenés depuis des millions d’années
qui recherchent la déchirure secrète des femmes
la grande déchirure de la chair expulsée par la chair
de la chair vagissante
cette autre forme qui croissant deviendra elle-même fissible
à prendre et prenable
malléable et peut-être durcissante cette fois
durcissante à l’air
à l’air des grands froids
à l’air de l’indifférence
ils sont ces corps infertiles et secs que les mammifères ne reconnaissent pas
sans odeur et sans goût
sans l’odeur et le goût donné par le frottement d’autres matières
ce ne sont pas les matières
ni les corps qu’ils craignent
ce sont les esprits en suspension qui regardent du dessus ces formes amalgamées
et qui cherchent en pleurant leur cher petit
leur propre corps
celui couvé depuis tant d’années pour qu’il accède à l’autonomie
au système indépendant et singulier
qui subitement a besoin d’un corps étranger dans sa profondeur
pour une heure pour un temps
pour tout le temps
quelle est cette légende
ce mensonge que l’esprit fait au corps
tu n’es pas libre
corps
tu n’es pas libre de l’autre
tu as besoin de lui
l’autre n’importe lequel
pour venir combler ce grand trou
cette grande dépression de matière.

Christine Farenc, 8 avril 2005