Lorsqu'il compose ce qui sera sa dernière pièce, Molière se sait au plus mal ; peut-être même se devine-t-il condamné. On colporte dans le «Tout-Paris» de l'époque, et parfois avec une délectation répugnante, des nouvelles alarmantes de son état de santé. Il n'en ignore rien. I1 a fait interdire Elomire hypocondre, une pièce d'un certain Le Boulanger de Chalussay. Il en connaît donc le contenu ; il sait que l'auteur y décrit sa toux insistante, son extrême maigreur, sa mélancolie hypocondriaque et ses emportements paranoïdes. A l'en croire, Molière serait « sur le grand chemin de l'hôpital des fous». Il y revient même avec une complaisance qui confine à la diffamation. La sagesse eût commandé de s'en tenir à la sentence du juge de police, de «demeurer en repos» et de ne pas répondre à ce monument de bassesse laborieuse. Mais Molière n'est pas sage. « Songez à vous guérir vous en pourrez un jour faire une comédie», conseille hypocritement son valet à Elomire ; la provocation est trop vive. Rassemblant ce qui lui reste de force pour «vider le fond du sac» et puiser dans son être rongé corps et âme par le mal la matière d'une stupéfiante introspection, Elomire à l'endroit, c'est-à-dire Molière, répond, au risque de hâter sa propre fin. On ne saura jamais si la farce eût exorcisé en lui le mal de l'âme, mais elle ne pourra rien contre le mal du corps. Elle fera office de testament littéraire. (…)
Gildas Bourdet
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