Un soir au coin du feu, papy Johan pique du nez dans son café et clamse illico ! Pour comble d’infortune, sa veuve Edith se découvre un cancer foudroyant : plus de passé, plus d’avenir… Quid de son présent ? Sa petite-fille Amanda l’écoute à peine, qui vient de rencontrer le bel Herbert alors qu’elle voulait justement larguer son petit ami, lequel Sonny a autant d’ambition qu’un lémurien au chômage, malgré les encouragements paternels à se rêver une autre vie loin de ce trou perdu, même si ledit père (qui est aussi pasteur) est lui-même au bord de l’implosion et se retient pour ne pas (se) défroquer, bien incapable en tout cas d’aider son propre fils, lequel, fou de rage, décide de dézinguer au fusil celui qui lui aurait volé sa fiancée, c’est-à-dire (vous suivez ? !) Herbert, lequel n’est tombé sur Amanda qu’en courant après son chien Morty, lequel s’était échappé en pleine rue, lassé des sautes dépressives de son maître, lequel a tendance à dire « non » quand il pense « oui » et à regretter aussitôt l’un et l’autre, surtout quand il s’agit de déguerpir d’ici avec cette hystérique d’Amanda qui lui a sauté dessus comme une bombe H sur un village gaulois, pardon : viking, puisque toute l’histoire se passe au fin fond de la Suède, mais bon, les fins fonds, y en a partout, n’est-ce pas ?
Bref, toute cette pagaille, c’est de la faute à Morty, et il le paiera cher, le pauvre cleps ! - tandis qu’Edith s’enverra littéralement dans les airs, et que le public aura couru après tous ces pauvres hères, qui cherchent leur bonheur en se fuyant eux-mêmes, dans un maelström de folie pas douce et d’humour fort noir, où l’espace/temps déraille, les corps se catapultent et les cœurs explosent, à l’image de notre humaine trop humaine humanité.
François Rancillac
Tout part d’un coup de fil de Johanny Bert, directeur du Fracas, peu avant Noël en 2012 qui me proposait d’imaginer un spectacle avec les cinq comédiens associés à son théâtre. Et ce fut un vrai cadeau.
Avec la satisfaction (certes un brin narcissique) d’être soudain sollicité, avec l’envie d’apporter ma petite pierre à ce nouveau projet dans ce Centre Dramatique déjà si riche en belles histoires de théâtre. Avec le plaisir aussi de retrouver quelques comédiens passés comme moi par la Comédie de Saint-Étienne et de découvrir les autres…
À mon habitude, après moult détours, mon idée de départ fut la bonne : Le Mardi où Morty est mort de Rasmus Lindberg (formidablement traduit du suédois par Marianne Ségol et Karin Serres !) collait parfaitement à la distribution « imposée » et à ce que j’aime au théâtre : une langue-monde, une écriture qui rende compte dans le détail comme dans sa forme générale d’un regard singulier sur nous autres, les humains…
Soit une petite ville de province (de Suède ou d’ailleurs, qu’importe !), où les jours succèdent aux jours et où l’on ne peut que croupir ou rêver de s’enfuir à la première occasion : comme si la vie serait forcément plus intense, plus romanesque « là-bas », au « centre ». Encore faut-il avoir le courage de partir… et ne pas être trop décentré soi-même… Ce mardi-là (puisque tout se cristallise sur une seule journée) un chien fugueur (Morty) et une série d’incidents vont mettre en branle Édith, Amanda, Herbert, Sonny et le pasteur, tous englués jusqu’à la gorge dans leur médiocrité, leurs renoncements ou leur découragement. Et alors la vie reprend les rênes et les fait valdinguer cul pardessus tête hors de leurs ornières, de leurs oeillères. Et alors explosent les coeurs rétrécis, les désirs refoulés, les âmes compressées. Alors le temps perd les pédales, les situations s’emboîtent comme des poupées gigognes, l’espace sort de ses gonds et les personnages s’entrechoquent comme des marionnettes d’un Guignol affolé.
Rasmus Lindberg (qui a à peine trente ans et fait montre déjà d’une étonnante maîtrise de plume !) a le chic d’écrire du théâtre comme de la BD, maniant le rire et l’absurde pour saisir au plus près l’angoisse et le désarroi de ces hommes et femmes perdus au bout du monde, au bord d’eux-mêmes. C’est un théâtre excitant au possible, à jouer à toute vitesse (mais avec une précision diabolique), un théâtre insolent et désespéré, qui donne du courage à vivre et à créer.
François Rancillac
Amanda (à Édith, sa grand-mère) :
La première fois que je l’ai vu, tous les atomes de mon corps se sont transformés en petits pistolets qui « freeze motherfucker ! ». Et moi je « Ooh ».
Herbert : Vous n’auriez pas vu un chien passer en courant ? Assez moche en fait mais c’est la plus belle chose que j’aie.
Amanda : Ooh…
Herbert : À l’instant. Il répond au nom de Morty, il a quatre ans et…
Amanda : Ooh…
Herbert : Il s’est passé quelque chose ?
Amanda : Quoi ? Oh, non, rien, rien du tout. Oui bien sûr, il est… Mais après ! Tous les pistolets « Motherfucker ! We said freeze ! » et après « pan pan pan ! » ils ont fait exploser mon cerveau en mille morceaux ! Quoi un chien ? ! Pourquoi vous me parlez de ça ? C’est pas de ça que je vous parle, moi ! Enfin je veux dire, c’est pas que je m’en fous de vous je m’en fous pas. Enfin je veux dire, on se connaît pas mais vous êtes plutôt beau. ENFIN JE VEUX DIRE, ha ha c’est pas comme si vous étiez horrible et que vous méritiez pas de vivre. Enfin je veux dire, ÉVIDEMMENT QUE VOUS LE MÉRITEZ ! Tout le monde le mérite. Enfin je veux dire, vous êtes super beau, j’aimerais vachement faire l’amour avec vous. NON ! MERDE ! MERDE ! MERDE !
Herbert : Pardon, vous voulez dire….
Amanda : (…) AARGH ! (Elle part en courant)
Édith : Et ensuite vous êtes sortis ensemble ?
Amanda : Oui, un peu après. On s’aime vraiment beaucoup.
Férocement drôle, court, intense. A voir et revoir absoluement.
Pour 1 Notes
Férocement drôle, court, intense. A voir et revoir absoluement.
La Cartoucherie - Route du Champ de Manoeuvres 75012 Paris
En voiture : A partir de l'esplanade du château de Vincennes, longer le Parc Floral de Paris sur la droite par la route de la Pyramide. Au rond-point, tourner à gauche (parcours fléché).
Parking Cartoucherie, 2ème portail sur la gauche.