Le Prince

Reims (51)
du 30 au 31 mai 2001

Le Prince

CLASSIQUE Terminé

Qui ne connaît pas Le Prince de Machiavel ? Écrit en quelques semaines en 1513, ce texte conserve son pouvoir de provocation. Il s’agit d’une double réflexion sur les rapports entre « Le Prince » et le peuple puis sur l’art de dire et de séduire.


Présentation
Intentions de Anne Torrès (metteur en scène)

Présentation

En proie à une mélancolie furieuse, Machiavel écrit Le Prince en quelques mois, à l’automne 1513, dans l’exil et la pauvreté que lui valent l’effondrement de la République et le retour des Médicis à Florence. Cinq siècles plus tard, le pouvoir de provocation de son petit livre reste entier. Empreint de liberté, lucide, d’un réalisme fulgurant, Le Prince nous hante plus que jamais. Le Prince appartient d’emblée à l’espace du théâtre. La voix s’échappe du livre. Il faut aller du théâtre vers la politique, de la passion vers la pensée, pour jouir du suspense du Prince. Pour entendre la logique et les coqs-à-l’âne, le rire et la cruauté. Tout va très vite dans Le Prince, allegrissimo, avec une bonne humeur endiablée.

A l’orée de la Renaissance, Machiavel inscrit la question du désordre et de la guerre au cœur de sa vision d’un monde qui se pense déjà orphelin du divin. Table rase de la transcendance. Machiavel impose la transparence. Mais en éclairant pour le Prince les moindres recoins de la maison du Pouvoir, il en donne d’abord les clés au peuple. Le Prince est un appel, une invitation à l’action. Diplomate, homme politique et… homme de théâtre, Machiavel pose moins la question du pouvoir que celle de son apparence. Il mêle indissociablement le registre du politique et celui de la représentation. A l’attention du souverain, mais aussi de l’autre, le citoyen, le spectateur. Machiavel construit une dramaturgie idéale du pouvoir, rêvée dans la liberté du théâtre. Et une analyse très politique de l’art de dire et de séduire. Le Prince pourrait s’appeler L’Acteur. Chaque jour, composant Le Prince, Machiavel relisait Dante. Deux écrivains, deux hommes d’action engagés dans un combat pour dire le monde et pour le changer. En donnant pour la scène une nouvelle traduction du Prince, personne ne pouvait en éclairer mieux l’unité poétique et politique que Jacqueline Risset, poète et traductrice de La Divine comédie.

Anne Torrès

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Intentions de Anne Torrès (metteur en scène) - Allegro furioso

Le théâtre est présent partout dans Le Prince, il est intimement lié à sa pensée, à sa composition et surtout à son projet littéraire et politique. Bien entendu, il ne s’agit pas d’un texte dramatique au sens formel, d’une pièce de théâtre. Mais la construction, le ton, le rythme, les entrées des personnages et des idées, la subtilité et la brutalité des changements de situation, tout cela est du théâtre. Machiavel écrit avec beaucoup de distance et d’humour, et un art consommé de la chute et de la conclusion. Je ne dis pas que cela ressemble à du théâtre, je dis que cela en procède. C’est une stratégie d’écriture et, partant, d’intelligence du texte.

Il faut, pour comprendre - et se laisser emporter par l’énergie du Prince - retrouver l’extraordinaire état de tension intellectuelle et émotionnelle qui est celui de Machiavel au moment où il l’écrit, « dans la fange et la boue » de l’exil, au cours de ces quelques mois de l’hiver 1513. Il y a une osmose entre son humeur - cette mélancolie furieuse qui l’habite - et l’objet de son étude - l’état d’une Italie déchirée par les guerres et les conflits, en proie au chaos, en pleine crise. Ecrivain et homme d’action, diplomate et auteur dramatique, Machiavel a écrit d’un côté des essais politiques et historiques, de l’autre des pièces de théâtre. Mais on ne peut lire Le Prince ni comme les Discours sur la première décade de Tite-Live, ni comme La Mandragore. Le Prince est hors catégorie. Le théâtre y fonctionne comme ressort et comme dévoilement de sa pensée. Machiavel s’en sert comme d’un moyen, en partie imposé par les circonstances de son histoire personnelle et celles de l’Italie, pour condenser et masquer sa pensée, pour dire une vérité. […]

Il y a dans Le Prince une multitude d’histoires et de personnages, que Machiavel réunit soit à partir de sa « longue expérience des choses modernes », soit de « sa continuelle lecture des anciennes ». Beaucoup de ces exemples sont très facilement superposables à des situations que l’on peut connaître aujourd’hui. On pourrait imaginer, à partir de quelques formules de mise en scène, un spectacle se servant de ce procédé de transposition. Je n’ai pas voulu le faire parce que l’essence machiavélienne du texte est précisément le fait qu’il est ancré dans l’immédiateté. Si l’on perd cet aspect de l’histoire du texte, on perd du même coup son émotion. Or c’est cela qui me touche le plus dans Le Prince, l’émotion de la politique : la politique, c’est une émotion humaine, un rapport à l’autre avec des pensées troubles, des pensées claires, des pensées furieuses, des pensées arrangeantes, des pensées rusées, des pensées mauvaises, des pensées heureuses et bonnes. Beaucoup de personnages nous sont connus et appartiennent à notre communauté historique et culturelle, Borgia, Savonarole, Moïse, Alexandre le Grand, Louis XII, les Romains. D’autres le sont moins. Mais je me suis aperçue qu’il était moins important de connaître leur histoire dans le détail que de capter comment ils surgissent et pourquoi ils agissent. Ce qui importe, c’est de comprendre qu’il y a nœud, état de crise et nécessité de trancher ce nœud. La plupart de ces personnages, d’ailleurs, ont des destins rapides et tragiques. Les autres, on n’en parle pas, ou peu.

La question du « comment  allez-vous faire ? », c’est d’abord la distribution. J’ai vu d’emblée que l’on pouvait donner au Prince plusieurs voix, plusieurs corps, plusieurs facettes. En fait, quatre figures récurrentes que Machiavel nomme dès le début du texte : la Virtù, la Fortune, la Guerre et bien sûr le Prince, qui sera ici le Prince-Machiavel, le double corps de l’auteur et du sujet. La Virtù, que nous traduisons par Vertu, la Fortune et la Guerre sont des allégories comme les pratiquent couramment la littérature ou la peinture de la Renaissance. Ce ne sont donc pas exactement des personnages au sens du théâtre. Mais Machiavel les utilise de manière dramatique : à travers tous les exemples historiques, le texte est une très habile composition, une négociation permanente entre ces figures. L’enjeu est bien de savoir comment elles réussissent ou non à cohabiter, comment elles s’allient ou s’opposent, se partagent l’espace du récit - et du pouvoir. Comment elles portent au pouvoir et à la chute. […]

Il y a au moins trois façons, très distinctes, de vivre ce texte théâtralement : le mode épique, dans un certain nombre de récits comme la traversée de l’Italie par Louis XII ; le mode de la discussion, du débat sur les points soulevés par ces récits ; et le mode de l’adresse publique, du discours et de la tribune, presque comme dans un meeting politique. On y retrouve tous les éléments du théâtre : identification, émotion, critique et si possible catharsis ! Il y aura aussi une voix musicale   - des thèmes de jazz à la trompette. Ce qui est le plus jubilatoire dans le jazz, c’est l’art de l’improvisation, des entrées, du break, des variations et des reprises, de la transformation des motifs et de la mélodie. C’est un art de l’écart et du renversement et cela rend triste et gai. Le Prince est écrit exactement de la même manière.
Le scandale de Machiavel, c’est sa franchise. On lui prête les défauts qu’il constate, les turpitudes qu’il analyse. La fortune du terme « machiavélisme » ne tient à rien d’autre qu’à cette fusion de l’auteur avec son sujet. Je trouve intéressant par rapport à cette identité brouillée de Machiavel de poser sur scène quelque chose d’authentique, c’est-à-dire le texte dans son déroulement.

Je veux montrer que Machiavel est un grand auteur. Si le monde est tel qu’il est, quel est le remède ? Il n’y a pas de poudre de perlimpinpin, nous dit-il. Le seul remède, c’est la connaissance et la pratique. J’aime sa manière de le dire : allegro furioso.

J’ai demandé à Jacqueline Risset, de traduire Le Prince (à paraître au printemps 2001 chez Actes Sud-Babel) parce qu’elle est en premier lieu poète et qu’elle a merveilleusement traduit La Divine comédie de Dante. Machiavel  lisait Dante, il était comme lui florentin et comme lui partagé entre l’écriture et l’engagement politique. Il faut presque à mon avis avoir vécu Dante pour vivre Machiavel, cette passion littéraire et politique qui les habite tous deux. Et la personne qui a vécu Dante est, pour moi, Jacqueline Risset. Elle a aussi su entendre la théâtralité du texte lui-même, car elle a immédiatement capté le secret littéraire du Prince – c’est-à-dire son oralité.[…]

D’après un entretien réalisé pour le Magazine Littéraire, numéro spécial consacré à Machiavel (avril 2001) par Marie Gaille-Nikodimov

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Informations pratiques

Comédie de Reims

3, chaussée Bocquaine 51100 Reims

Spectacle terminé depuis le jeudi 31 mai 2001

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